2669

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : Queneau

Merveilleux continent

Roubaud.jpgJacques Roubaud, La Princesse Hoppy ou le conte du Labrador. Illustrations de François Ayroles et Étienne Lécroart,Éditions Absalon, 2008

                            

Que le lecteur ne compte pas sur le critique pour raconter le conte du Labrador ; il faut qu’il compte sur lui-même, le lecteur, pour se diriger dans le labyrinthe où Jacques Roubaud se complait à conter les aventures du Comte du Labrador, qu’il ne faut pas pour autant prendre pour argent comptant. Dans sa recherche, il sera peut-être content, le lecteur, de lire « L’épluchure du conte-oignon » d’Elvira Laskowski-Caujolle, qui contient un certain nombre d’explications complétant utilement « Le Conte conte le conte et compte » de Jacques Roubaud soi-même, rattachant clairement La Princesse Hoppy à l’influence de Queneau et aux contraintes oulipiennes.

On se contentera donc de saluer la réédition de cette œuvre commencée en 1972, jamais achevée mais paradoxalement et tout compte fait très complète. Car « le conte dit toujours vrai », et il le dit d’une manière exhaustive tout en s’amusant comme un enfant, en jouant oralement dès le titre (qui enferme le terme OuLiPo), en « complotant » une « compote » de jeux verbaux ou typographiques qui peuvent aller jusqu’à transcrire le langage « chien » ou « sauterelle », voire jusqu’à produire des schémas traduisant une nouvelle langue, le « canard postérieur ».

Inutile de dire que les mathématiques et la physique tiennent ici, comme toujours avec Roubaud, une place prépondérante, et que les énigmes sont telles qu’il faut parfois tout reprendre à zéro (ce à quoi nous incite, au passage, le chapitre 00). C’est ainsi que le lecteur, comme toujours avec Roubaud, est personnellement sollicité, intimement questionné, poussé dans ses retranchements, et qu’il est donc obligé non seulement de tout lire, mais encore de collaborer à la composition du conte.

Est-il utile, en outre, de dire que le livre est beau ? Beau par sa narration, par sa poésie, par l’attitude respectueuse que l’écriture adopte envers les œuvres et les auteurs du passé (Le Conte du Graal, Alice au pays des Merveilles, Baudelaire, Apollinaire, Queneau bien sûr, et beaucoup d’autres), beau par son non-conformisme et sa conformité aux règles du genre, beau par les illustrations colorées, médiévales, baroques, enfantines, savantes de François Ayroles et Etienne Lécroart, beau dans sa présentation générale.

Il est donc compréhensible qu’on tienne à recommander la délicieuse consommation de La Princesse Hoppy ou le conte du Labrador, qui nous convie à explorer incontinent un pays contenant toutes sortes de merveilles – que dis-je, un pays ? Un continent !

Jean-Pierre Longre

http://www.editionsabsalon.com

 

http://www.oulipo.net/oulipiens/JR

Lire la suite

04/08/2010 | Lien permanent

Coup d’essai, coup de maître

couv-jolicoup.jpgPatrick Ledent, Joli coup. Éditions Calliopées, 2009.

 

 Patrick Ledent est un disciple d’André Blavier, lui-même disciple de Raymond Queneau. Filiation de grand prestige, difficile aussi, qui exige la maîtrise des mots, de l’écriture et de la construction narratives, la mainmise sur les personnages, sur leurs gestes et leurs réactions, le sens du rire, avec tout ce qu’il montre et qu’il sous-entend…

Les dix-sept nouvelles du recueil répondent à ces exigences, pour le grand plaisir du lecteur ; plaisir d’une lecture savoureuse, d’une délicieuse cruauté distillée par le suspense, les retournements de situation et les dénouements inattendus. Le « joli coup » final conclut parfaitement les « coups » précédents ourdis par certains personnages, par les narrateurs ou tout simplement par l’auteur et le destin dont il dispose à sa guise.

L’art du récit s’assortit en outre d’un goût patent pour les leçons humaines qui, sous l’apparence de la méchanceté, recèlent une véritable lucidité. Les faits quotidiens, les souffrances, les plaisirs, la vie, la mort sont relatés avec le sourire sans concessions des moralistes, et le tout pourrait se prêter à une belle analyse sociologique. Les gens ordinaires qui peuplent ces nouvelles, victimes ou comploteurs, trop bons ou trop mauvais, naïfs ou machiavéliques, nous ressemblent étrangement, et en même temps ils nous échappent, comme s’ils illustraient ce dont nous serions capables si nous osions aller jusqu’au bout de nos désirs. En attendant, pas d’hésitation : allons jusqu’au bout de ce coup d’essai prometteur.

 

 Jean-Pierre Longre

 

Editions Calliopées : www.calliopees.fr

Lire la suite

26/04/2010 | Lien permanent

Littérature poids léger

Roman, poésie, sextine, francophone, Paul Fournel, P.O.L., Jean-Pierre LongrePaul Fournel, La liseuse, P.O.L., 2012, Folio, 2013

Le troubadour Arnaut Daniel, poète influent du XIIe siècle, est dit-on l’inventeur d’un genre à forme fixe qui, pour complexe qu’il soit, a connu et connaît encore le succès : la sextine. Les six mots qui forment les rimes tournent sur eux-mêmes, revenant selon une savante rotation hélicoïdale à la fin des six vers de chacune des six strophes. En oulipien virtuose et en fidèle disciple de Queneau (qui construisait ses romans selon de rigoureux schémas préétablis), Paul Fournel a composé La liseuse selon la forme de la sextine, et il a même la gentillesse de nous livrer ce secret de fabrication à la fin de son roman.

Car La liseuse est bien un roman, dont chaque ensemble de six chapitres s’assimile à une strophe, ce qui fait que les trente-six chapitres équivalent à trente-six vers aux rimes constantes et tournantes : « lue, crème, éditeur, faute, moi, soir ». Qui plus est, les vers-chapitres sont d’une longueur régulièrement déclinante, de 7500 à 2500 signes, figurant ainsi le déclin progressif de la vie du protagoniste.

roman,poésie,sextine,francophone,paul fournel,oulipo,p.o.l.,jean-pierre longreEt ce roman en est bien un vrai, avec un personnage principal autour duquel se meuvent des personnages secondaires. Qui plus est, c’est un roman où il est question de romans, puisque Robert Dubois est un éditeur « à l’ancienne », qui regarde d’un œil malicieux s’agiter tout ce monde, et contemple de même sa propre vie, dont les innovations technologiques semblent vouloir bouleverser le cours. La « liseuse » en question, qu’on vient lui offrir, est une tablette électronique qui contient un nombre de livres tel qu’il ne pourra jamais en transporter dans son cartable. Il ne vire ni au vieux grincheux réfractaire ni à l’obsédé de l’écran, mais se prend au jeu, s’amuse à semer le désordre dans le monde éditorial en s’appuyant sur sa tablette et sur les stagiaires, ces êtres plus ou moins visibles sans lesquels la profession de l’édition ne pourrait pas subsister. S’observant, il en profite pour revenir sur sa vie de lecteur : « Je suis assis dans le canapé, ma tablette posée sur les genoux, je n’ai pas encore l’énergie d’appuyer pour la mettre en marche et faire jaillir le texte. Ce qui est dedans me menace. J’en veux à ce métier de m’avoir tant et tant empêché de lire l’essentiel, de lire des auteurs bâtis, des textes solidement fondés, au profit d’ébauches, de projets, de perspectives, de choses en devenir. Au profit de l’informe ». Un retour sur soi qui prépare le dénouement…

Récit à contrainte, roman-poème, La liseuse se consomme à différents niveaux : l’histoire d’un homme vieillissant, bon vivant, aux petits soins avec sa femme, sujet aux regrets ; un portrait ironique des milieux éditoriaux et de la littérature médiatique ; une description des changements radicaux qu’imposent les inventions modernes ; une réflexion sur les rapports entre le livre et le lecteur, etc. Quoi qu’il en soit, c’est bourré de références et d’allusions (à l’histoire de la littérature, depuis le manuscrit médiéval jusqu’à l’écriture électronique en passant par l’invention de l’imprimerie, et aussi à une quantité d’auteurs, aux collègues de l’Oulipo, à Raymond Queneau…), c’est savant, c’est livresque, c’est léger, c’est profond, c’est drôle, c’est enlevé… C’est du Paul Fournel.

Jean-Pierre Longre

www.pol-editeur.com  

www.paulfournel.com

www.oulipo.net

www.folio-lesite.fr 

Lire la suite

09/07/2013 | Lien permanent

De la littérature en dix mots

Maudits.jpgOuLiPo, Maudits, Éditions Mille et Une Nuits, 2003

 

Savez-vous ce que sont un baobab, un cornichon, un trident ? Oui, sans doute, en général. Mais en particulier, ici, dans ce petit volume de l’Oulipo, ces mots prennent des acceptions bien originales. Qui pense Oulipo pense littérature à contraintes. Et on peut dire (en dix mots) : là, les contraintes se superposent, se combinent et se multiplient. Il s’agit d’une commande (première contrainte) de la Délégation à la langue française et aux langues de France, faite à partir des « dix mots » proposés lors de la semaine de la langue française (deuxième contrainte), et qui cette année, on le sait, ont été puisés dans les titres d’œuvres de Queneau : « Dimanche, vol, campagne, exercer, bleu, chiendent, rude, mille, instant, courir ». Sur la base de cette contrainte consentie (qui ne dit mot consent), les membres de l’Oulipo s’en sont donné à cœur joie, en soumettant ces « maudits » aux triturations les plus diverses, en onze chapitres : dix consacrés à chacun des mots, et un onzième consacré à la totalité. Une heureuse initiative, qui confirme et renforce le côté « grand public » de cette édition : quelques-unes des contraintes utilisées sont explicitées à la fin du volume (le lecteur y trouvera donc la réponse à la question sur le baobab, le cornichon et le trident).

 

Les procédés employés dans la mise en valeur des mots sont des plus divers : contraintes traditionnelles (mais toujours productives) comme l’homophonie, le monovocalisme, l’antonymie ou les aphorismes ; contraintes à succès (de la part des auteurs, mais qui méritent aussi celui des lecteurs) comme les ouliporimes, les ambigrammes ou « Morale élémentaire » ; contraintes apparemment plus légères que d’autres (mais qui demandent pour cela un travail au moins aussi attentif) comme les définitions, les dialogues, les textes à démarreur ; contraintes originales, ou plus méconnues que les autres (et qui, à l’appui des explications finales, demandent un joli travail de décryptage) comme (outre les trois citées dans la question initiale) la terine (un seul r), la belle absente, le bris de mots, le quenoum, le sonnet de mille lettres ou le sonnet mince...

 

Que de littérature en dix mots et cent pages... Car les textes ainsi produits ne sont pas que tours de force à caractère ludique. Ils sont bel et bien un hommage à la langue française, et à sa littérature. Hommage à certains écrivains, et d’abord – le contraire eût été stupéfiant – à Queneau et à ses cent ans (dix fois dix) : le modèle de Morale élémentaire, son dernier recueil, où il inventa une nouvelle forme poétique, les citations puisées dans certaines de ses œuvres (et pas seulement dans les titres), la pratique de l’exercice de style, de la quenine et du quenoum, et plus largement de toutes ces manipulations qu’en tant que cofondateur de l’Oulipo il contribua à mettre en place et à définir. Hommage à d’autres, aussi : Perec bien sûr, d’une manière récurrente (les « Je me souviens » et autres « textes à démarreur »), Rimbaud (qui finit par envahir « quelques vers bleus » et ainsi à l’emporter sur Hérédia, Baudelaire, Hugo et Mallarmé), Raymond Roussel et sa « bande du vieux billard », Michel Leiris avec son procédé définitionnel etc. Hommage à toute la littérature, à travers des titres de livres, des séries de citation, des résonances et des échos plus ou moins identifiables, et finalement à travers ce que nous montre ce petit ouvrage collectif et discret : que l’écriture littéraire n’a jamais fini de s’élaborer, n’a jamais fini de se déchiffrer.

 

Jean-Pierre Longre

 

www.1001nuits.com

 

www.oulipo.net

Lire la suite

11/04/2010 | Lien permanent

Journal d’une reconstruction

Récit, autobiographie, francophone, Philippe Lançon, Gallimard, Jean-Pierre LongreLire, relire, 5 ans après... Philippe Lançon, Le Lambeau, Gallimard, 2018, Folio 2019.

Prix Femina 2018. Prix spécial du jury Renaudot 2018

À l’hôpital de la Salpêtrière, quelques jours après l’attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie-Hebdo qui lui a emporté la mâchoire, Philippe Lançon, pensant à l’infirmière de nuit qui « avait le prénom d’un personnage de Raymond Queneau », se prend à évoquer deux vers de l’écrivain : « Je crains pas ça tellment la mort de mes entrailles / et la mort de mon nez et celle de mes os ». Quelques strophes plus loin, Queneau écrit ceci, qui pourrait s’appliquer à ce que Lançon tente de dépasser : « Je crains bien le malheur le deuil et la souffrance / et l’angoisse et la guigne et l’excès de l’absence / Je crains l’abîme obèse où gît la maladie / et le temps et l’espace et les torts de l’esprit ».

récit,autobiographie,francophone,philippe lançon,gallimard,jean-pierre longreRescapé de la tuerie dont il fait un récit à la fois terrifiant et subjectif, le récit d’une « abjection » vue du point de vue particulier d’une victime qui attend « simultanément l’invisibilité et le coup de grâce – deux formes de la disparition », l’auteur, journaliste à Charlie-Hebdo et à Libération, consacre le reste des 500 pages de son livre à la reconstruction : celle de sa mâchoire, qui va nécessiter de nombreuses opérations, et celle de sa personne tout entière, corps et esprit. Aucun détail ne nous est caché de ces mois de soins, de greffes, de suintements, de silences, d’interrogations, d’espoirs, de souffrances, d’attente au long desquels Chloé, sa chirurgienne, prend une importance médicale et humaine de plus en plus grande. L’entourage aussi tient une place prépondérante dans l’accompagnement du « patient » : son frère, ses parents, son ex-femme Marilyn, sa compagne Gabriela, ses nombreux et chaleureux amis ; et la lente progression du récit de la réparation, avec ses hauts et ses bas, est si prégnante, les précisions sanitaires et psychologiques si circonstanciées que nous, lecteurs, sommes complètement pris dans la nasse, au point de nous confondre avec l’auteur adressant ses plaintes au corps médical : « Docteur, vous m’écoutez ? La jambe et le pied droit me font mal, la cuisse droite aussi, plus encore la nuit que le jour. Le simple contact du drap m’irrite le pied entier et m’empêche de dormir. Les nerfs semblent à vif. La malléole me fait particulièrement souffrir. […] Le menton, de plus en plus envahi par les fourmis, est vivant. J’en suis venu à croire que je pense par le menton. Heureusement, je pense peu. ». Nous sommes avec lui, pleinement.

Le récit n’est pas pour autant égocentré. Outre la leçon de courage et l’éloge du personnel hospitalier, nous avons affaire à une émouvante et pittoresque galerie de portraits : ceux des familiers, mais aussi ceux de pas mal d’inconnus, soignants et soignés, hommes et femmes croisés en chemin, policiers chargés de la protection de celui qui reste une cible potentielle, policiers pour qui il se prend d’une amitié reconnaissante, quand ce n’est pas d’une complicité souriante, silhouettes entrevues, toute une humanité bien campée dans son environnement ou perdue dans l’incertain. Et l’écriture acérée, poétique, chargée de sens ou pétrie de questions de Philippe Lançon est à bonne école. On ne le trouve jamais sans son Proust, son Kafka ou son Thomas Mann, qu’il emporte jusqu’au bloc pour lire et relire ses passages favoris ; sans oublier la musique : Bach le plus souvent possible (Les Variations Goldberg, Le Clavier bien tempéré, L’Art de la Fugue), le jazz aussi… Le lambeau n’est pas une simple « hostobiographie » (pour reprendre le mot-valise d’Alphonse Boudard), mais le roman d’une tranche de vie personnelle qui vaut toutes les destinées (comme l’a écrit Sartre cité par Lançon : « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. »), toutes les destinées donc, avec leurs inévitables paradoxes : alors que l’auteur, jouissant de ses premiers instants de vraie liberté, peut enfin rejoindre sa compagne à New-York, éclate l’attentat du 13 novembre 2015 à Paris. Même de loin, c’est un nouveau « décollement de conscience ».

Jean-Pierre Longre

www.gallimard.fr

www.folio-lesite.fr/

Lire la suite

08/01/2020 | Lien permanent

Avec les « corps errants »

Roman, francophone, Jean-Pierre Martin, Éditions de l’Olivier, Jean-Pierre LongreJean-Pierre Martin, Mes fous, Éditions de l’Olivier, 2020

La famille de Sandor, vue de loin, ne sort pas des normes sociales actuelles. Une femme dont il est séparé mais avec laquelle les relations restent solidairement stables, quatre enfants harmonieusement échelonnés. Sauf que… Sa fille Constance souffre d’une folie qui le ronge perpétuellement ; quant à ses fils, l’un est addict aux écrans, un autre s’est mis en tête de « sauver la planète », et le dernier « est tellement adapté au monde qu’il s’est préservé de la profondeur comme de l’angoisse. » Bref, « nos enfants se sont mis sérieusement à dérailler les uns après les autres autour de la vingtaine, enfin au moins trois des quatre. » Quant à Sandor lui-même, qui a sans doute hérité de la mélancolie de son père, il est comme un aimant pour les fous, qui l’abordent dans les lieux publics comme s’il était l’un des leurs, et pour qui il ressent une sincère affection (« Mes fous », clame le titre).

Son récit est rythmé par ces rencontres dans les rues de Lyon, par les conversations parfois déroutantes qu’il a avec ceux qu’il appelle les « corps errants », et par l’épreuve que représentent pour lui l’état et les délires de Constance. Une « étrange coïncidence » lui permet de revoir avec plaisir Rachel, qui avait été étudiante avec lui, et dont le frère est lui aussi plongé dans la folie. « Avec Rachel, on s’est dit d’un commun accord : il y a deux catégories de personnes, celles qui ont eu affaire à la folie de près, et les autres. Je me suis trouvé une sœur de détresse. »

La folie est-elle un sujet de littérature ? Sans doute. Sandor assiste à un colloque universitaire intitulé « Littérature et folie » (l’occasion de légères pointes humoristiques) ; et les pages de son récit sont pleines d’allusions et de références à des personnages et à des écrivains qui ont eu à voir avec « le désordre mental ». Les surréalistes bien sûr (avec Nadja de Breton au premier plan), et aussi Artaud, Hölderlin, Flaubert, Balzac, Romain Gary etc. Il y a aussi la musique (il écoute et joue du Schumann, « rien que du Schumann », comme par hasard). On pourrait penser que, de même que Queneau a farci son roman Les enfants du limon d’extraits substantiels de son étude sur les « fous littéraires », de même Jean-Pierre Martin (fin connaisseur et adepte lucide du dit Queneau) a bâti une belle fiction qui lui permet de s’exprimer ouvertement sur la folie, en évitant les circonvolutions langagières de la philosophie et de la psychiatrie. Et il n’y a pas que cela. Il y a la vie, dont le retrait du monde (retrait mental ou physique) permet d’appréhender la vraie substance. « Notre vie est à la fois précaire et infinie. Il y a quelque chose d’enivrant dans cette histoire de fin du monde. C’est une occasion à saisir pour les âmes blessées. Pendant tous ces mois, j’ai de fait survécu. Je vais continuer à survivre, mais dans un autre sens. Je ne me soucie plus seulement de mes proches, de la folie dévastatrice ou des humains en général. Mon empathie s’étend à l’univers. ».

Jean-Pierre Longre

www.editionsdelolivier.fr  

https://jeanpierremartin.net

Lire la suite

25/08/2020 | Lien permanent

Le messager noir, quatrième galop

revue, anglophone, francophone, poésie, nouvelle, essai, blandine longre, paul stubbs, black herald pressThe Black Herald – nr 4, octobre 2013, Black Herald Press

Poèmes, proses, essais, photographies : le nouveau numéro de la revue bilingue (et même multilingue, en l’occurrence) offre un choix toujours exigeant, toujours gratifiant, et d’une haute tenue constante.

With / avec Steve Ely, Pierre Cendors, Edward Gauvin, Paul B. Roth, Jean-Pierre Longre, Rosemary Lloyd, Boris Dralyuk, Paul Stubbs, Georgina Tacou, John Lee, Cristián Vila Riquelme, Philippe Muller, Michael Lee Rattigan, Desmond Kon Zhicheng-Mingdé, Vasily Kamensky, David Shook, Oliver Goldsmith, Michel Gerbal, Gary J. Shipley, Anthony Seidman, Fernando Pessoa, Cécile Lombard, Anne-Sylvie Salzman, Heller Levinson, Jorge Ortega, Blandine Longre et des essais sur / and essays about Robert Walser, Arthur Rimbaud, Raymond Queneau, E.M. Cioran. 

Images: Raphaël Lugassy, Pierre Cendors. 

Design: Sandrine Duvillier.

The Black Herald
Literary magazine – Revue de littérature

Issue #4 – October 2013 - Octobre 2013
160 pages – 15€ / £12.90 / $20 – ISBN 978-2-919582-06-8 (ISSN 2266-1913)

Poetry, short fiction, prose, essays, translations.
Poésie, fiction courte, prose, essais, traductions.

now available / disponible
To order the issue / Pour commander le numéro 

The Black Herald’s editors are  Paul Stubbs and Blandine Longre.
Comité de Rédaction : Paul Stubbs et Blandine Longre.

Contents / Sommaire

Contributors / Contributeurs

 

An interview with Paul Stubbs in Bookslut (October 2012)

Un article paru dans Recours au Poème  (Octobre 2013)

 

http://blackheraldpress.wordpress.com

Lire la suite

17/11/2013 | Lien permanent

Chaos bien ordonné

Nouvelle, francophone, Patrick Ledent, éditions Calliopées, Jean-Pierre LongrePatrick Ledent, À vos caddies !, Éditions Calliopées, 2011

Dans son précédent recueil (Joli coup), Patrick Ledent avait révélé un vrai talent de conteur. Voilà qui se confirme sans conteste dans À vos caddies !. Et le mot « recueil » n’est pas anodin : les vingt nouvelles, encadrées par des « Prolégomènes » et un « Envoi », bouclent un itinéraire plein de surprises, qui mène le lecteur d’une envolée satirique (le monde de la consommation) à l’autre (le monde du travail), d’un cimetière au même cimetière, à Nice où sévissent des vampires très humains. La vie, mort comprise…

Les surprises ? Elles sont multiples et variées : un drôle de restaurant où se cache une drôle de lolita, l’étrange rencontre d’une tulipe et d’un enfant, les illusions d’un tueur en série, les découragements d’un employé de bureau, les ruses d’une élégante de casino… des accidents bizarres, des hasards suspects, des rencontres inattendues…

Pour réaliste que soit le monde dans lequel évoluent les personnages et surgissent les événements, le lecteur se laisse volontiers transporter vers l’imprévu, et la verve de l’auteur y est pour beaucoup. Car le suspense s’assortit d’une écriture alerte, d’une prose séduisante où se profilent parfois quelques silhouettes familières, telle celle de Queneau qui passe comme une discrète figure tutélaire. On se laisse mener avec délices par le bout du nez pour s’évader à loisir, poussant devant soi une provision de références rassurantes et d’inventions délicieuses, dans un chaos bien ordonné. « Mais c’est dur, le chaos. Alors, pardon, je compense. Je mets de l’ordre, me réinvente, vous réinvente. Invente tout court, puisqu’on est frères. Des petites histoires. Je fais comme tout le monde, je fais comme vous : je creuse. Une évasion, ça commence par là ».

Jean-Pierre Longre

www.calliopees.fr  

Lire la suite

25/10/2011 | Lien permanent

« C’est un monde »

Roman, francophone, Jean Échenoz, Les éditions de minuit, Jean-Pierre LongreLire, relire... Jean Échenoz, Vie de Gérard Fulmard, Les éditions de minuit, 2020, Minuit Double, 2022

Sous quelle plume peut-on assister, dans un même roman, à la chute d’un fragment de satellite soviétique sur un hypermarché (qui entraîne la mort, entre autres, du propriétaire du narrateur, d’où suspension bienvenue du loyer), à celle, dans le même quartier, de Mike Brant depuis le sixième étage de son immeuble (manquant d’écraser la mère du même narrateur), à l’enlèvement et à la prétendue mort de la secrétaire générale d’un petit parti politique dont les responsables brillent par leur totale absence de scrupules et par leur cynisme ricanant ? Oui, sous quelle plume? Bien sûr sous celle de Jean Échenoz, qui manie dans un inimitable mélange le détachement de l'ironie, la force du burlesque, le dévoilement discret des techniques romanesques et l’empathie pour les gens ordinaires confrontés à la brutalité des arrivistes.

Les péripéties inattendues et les chutes diverses qui jalonnent ce bondissant récit sont comme une série de reflets changeants de la déchéance de Gérard Fulmard, dont la biographie relatée à la première personne est périodiquement relayée par des digressions nous faisant percevoir les effrayants abîmes de la vie politique et sociale. Gérard Fulmard, donc, stewart licencié pour faute, cherche un moyen de gagner sa vie. Pourquoi pas détective privé ? Fort de sa nouvelle raison sociale, il va se faire enrôler par les sbires de la FPI (Fédération Populaire Indépendante). Enrôler et complètement piéger, pris dans un engrenage de plus en plus serré.

Inutile de préciser qu’à aucun moment on ne risque de s’ennuyer à la lecture de Vie de Gérard Fulmard (un titre à la Stendhal, et qui se laisse comparer à ceux des grandes biographies historiques ou sacrées, sauf à y voir, par son côté assonantique, une sorte de dérision - Gérard n'est pas du genre fulminant). Non, aucun ennui. Plutôt de la jubilation, à suivre ces itinéraires citadins et narratifs dont la succession de s’épuise pas, à déceler la parodie, les allusions, la satire, à lire un vrai roman qui se pose ouvertement comme tel, puisque le romancier n’hésite pas à discrètement se manifester, un vrai roman dont chaque couche superposée (comme les pelures d’un oignon, pour reprendre la comparaison jadis faite par Queneau) laisse place à une autre couche, et ainsi de suite. « C’est un monde », comme le dit le psychiatre véreux de l’histoire.

Jean-Pierre Longre

www.leseditionsdeminuit.fr 

Lire la suite

31/10/2022 | Lien permanent

Principes et nouveautés

Bibl. oulipienne.jpgOuLiPo, La bibliothèque oulipienne, volume 6, Le Castor Astral, 2003.

 

Dans le premier Manifeste de l’OuLiPo, François Le Lionnais, fondateur avec Raymond Queneau du fameux Ouvroir, définissait dans les recherches du groupe « deux tendances principales tournées respectivement vers l’Analyse et la Synthèse. La tendance analytique travaille sur les œuvres du passé pour y rechercher des possibilités qui dépassent souvent ce que les auteurs avaient soupçonné. [...] La tendance synthétique [...] constitue la vocation essentielle de l’OuLiPo. Il s’agit d’ouvrir de nouvelles voies inconnues de nos prédécesseurs. »

 

Le sixième volume de La Bibliothèque Oulipienne, lu dans ce double esprit, répond rigoureusement à « l’anoulipisme voué à la découverte » et au « synthoulipisme (voué) à l’invention ». Comme les précédents (publiés chez Seghers, puis au Castor Astral, de 1990 à 2000), il réunit plusieurs fascicules de textes issus des travaux du groupe et écrits entre 1995 et 1997. Conformément aux principes énoncés dès l’origine, les contraintes y sont diverses, nouvelles et renouvelées, suscitant la poursuite du « grand œuvre ».

 

Hervé Le Tellier ouvre la marche avec 300 « Pensées » (les « Premiers cents » sur mille), qui toutes commencent par « Je pense » (comme Perec, dans une perspective différente, additionna jadis les « Je me souviens ») ; pensées qui ne dédaignent pas d’être drôles (« Je pense que si tous les gars du monde se donnaient la main, toutes les filles du monde s’ennuieraient ferme ») tout en étant signifiantes (« Je pense que les Q majuscules ont une petite queue, alors que les petits q en ont une grande »), sincères (« Je pense que quand j’écrirai mes Mémoires, je mentirai sys-té-ma-ti-que-ment »), pointues (« Je pense que ce que certains apprécient en Céline, c’est aussi son odieuse folie antisémite, qui les protège du regret de ne pas avoir son génie), et en donnant au lecteur le délicieux sentiment de s’y couler (« Je pense à toi »). Quelques fascicules plus loin, Le Tellier reprend une tradition de la littérature avec 26 textes alphabétiques, tout en rendant au passage hommage au Queneau de Morale élémentaire (« À bas Carmen ! »). Morale élémentaire se glisse encore dans « Un sourire indéfinissable », qui évoque la Joconde selon les points de vue les plus divers (qui valent bien les moustaches de Duchamp).

 

D’autres hommages : ceux de Michelle Grangaud à ses éminents camarades de l’OuLiPo, avec ses « Sexanagrammatines » - hybridation de l’anagramme (formé sur les titres d’œuvres des susdits camarades) et de la sextine ; de la même à Du Bellay, avec « D’une petite haie, si possible belle, aux Regrets », recueil composé de 191 tercets en forme de haïku : chaque texte « fondu » y est constitué de mots extraits, dans un ordre ou dans un autre, de sonnets du poète de la Pléiade, ce qui donne de vraies belles trouvailles : « Pourquoi moi ? – Pour suivre / la raison. Et je sais bien / que je suis un autre. » ; « Si tu veux la clef, / tu dois changer de secret / avec ton amour. » ; « Que le ciel demeure / le même, notre âge change / d’heure et de saison. »... Hommage encore, collectif celui-là, à Paul Zumthor (« La guirlande de Paul »), compagnon de route de l’OuLiPo, à la mémoire duquel ses amis composèrent poèmes médiévaux ou de métro, anagrammes et autres...

 

Jacques Jouet, après avoir tenté de résoudre le « mysthème de la chambre close » grâce à une « connaissance approfondie de la littérature », et notamment de la sextine et de la méthode S+7, y va lui aussi de son hommage, à Georges Perec : émouvante énumération d’« exercices de la mémoire », qui rappellent s’il en est besoin « qu’en 1978, Georges Perec a publié un livre intitulé Je me souviens ».

 

Les anciens ( ?) se répartissent les autres rôles. Jacques Bens, désormais « excusé » des réunions de l’OuLiPo, fait un magistral « inventaire » des méthodes oulipiennes en 19 variations sur « L’art de la fuite » - clin d’œil et non véritable concurrence à Jean-Sébastien Bach – la concurrence se jouant plutôt entre le S+9, les mots croisés, le tireur à la ligne, « Morale élémentaire » (décidément très courtisée) ou permutations. Jacques Roubaud rumine trois fois, à propos de Cent mille milliards de poèmes (mathématiquement, comme il se doit), de l’année 1991, « année palindromique » (depuis, il y a eu 2002), et de « morale élémentaire » (décidément etc.) dans le but de créer une « morale élémentaire généralisée ». Une quatrième rumination, un peu plus tard, précède « La terre est plate, 99 dialogues dramatiques, mais brefs », où Roubaud s’adonne à la drôlerie (Queneau disait la « connerie ») du langage humain : «  - Je est un autre / - Un autre que qui ? » ; « -La terre est ronde. / En Australie aussi ? / - Oui. » ; « - Au revoir. / - Au revoir. / - Tu trouves pas que c’est un peu court, comme dernier dialogue ? / - Oui, mais qu’est-ce que tu veux qu’on dise ? ».

 

Tout cela se termine par des considérations sur les travaux de l’OuLiPo, fragments d’Un certain disparate du cofondateur François Le Lionnais, suivies de considérations autres et un tantinet différentes de Jacques Roubaud – double manifestation de la diversité du groupe.

 

L’OuLiPo, « désormais dans son cinquième millénaire », est encore jeune et vigoureux ; souhaitons-lui de le rester.

 

Jean-Pierre Longre

 

P.S. : Signalons que le Castor Astral a aussi publié le septième numéro des Cahiers Georges Perec, intitulé « Antibiotiques », entièrement consacré à la biographie du grand Oulipien par David Bellos, Georges Perec. Une vie dans les mots (1993, traduction française 1994, Le Seuil).

www.castorastral.com

 

www.oulipo.net

Lire la suite

10/04/2010 | Lien permanent

Page : 1 2 3 4 5 6 7