Révolutions hallucinées (24/04/2010)
Mircea Cartarescu
L’aile tatouée. Roman traduit du roumain par Laure Hinckel.
Denoël, 2009.
« Ce n’est pas l’oiseau, mais le papillon qui a été pour les Grecs et pour ceux qui les ont précédés le symbole de l’âme et de l’immortalité. […] Le papillon a inventé l’âme humaine ».
Troisième volume d’une trilogie monumentale, après Orbitor et L’œil en feu, L’aile tatouée relève de la même écriture foisonnante, vertigineuse que les deux précédents romans. S’il y est toujours question de Bucarest, c’est cette fois sous l’angle de la « révolution » de décembre 1989, de la pitoyable chute de Nicolae et Elena Ceausescu, de la misère et de la révolte, de la rapide prise du pouvoir par une autre (ou la même) nomenclature… Ce n’est cependant pas un roman historique – ou alors dépassant très largement l’histoire événementielle, pour rejoindre celle de l’Homme, du Monde, de l’Univers… Il y a certes des descriptions pittoresques du Bucarest de naguère, l’évocation des blagues populaires sur le couple de tyrans, les traces amères de la Securitate ; mais les souvenirs ponctués de vols de papillons et de froids regards d’araignées, d’éclairs fulgurants et d’ombres menaçantes, de mêlent aux hallucinations et aux visions d’apocalypse. Bucarest, ville où la vie quotidienne se présente dans toute sa dégradation, devient aussi une cité transfigurée, point de départ pour des voyages vers toutes les autres cités du monde.
Au cœur du récit, Mircea en personne, enfant, jeune homme, écrivain face aux feuillets de son manuscrit, Mircea observé de plusieurs points de vue, le sien, ceux de quelques autres, celui du miroir qui reflète son image (ou serait-ce celle de Victor, son jumeau disparu ?) ; Mircea et son avenir, Mircea et son passé, même ses ancêtres Csartarowski… Beaucoup de mystères, beaucoup de questions dans les explorations fantastiques des souterrains glauques et dans les fantasmes du futur adulte, beaucoup de pistes aussi pour le lecteur qui se laisse entraîner par un flot qu’il ne maîtrise plus.
Mircea Cartarescu possède au plus haut degré l’art de concilier l’infime et le grandiose, de manier le microscope aussi bien que le télescope, d’observer les plus petits objets comme les paysages hallucinés, les jouets d’enfants ou les instruments de cuisine comme les firmaments mystiques de l’espace et du temps. Son écriture est celle de toutes les révolutions : politiques, intimes, terrestres, célestes.
Jean-Pierre Longre
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