Le pouvoir de l’innocence (20/05/2010)
Florina Ilis, La croisade des enfants. Traduit du roumain par Marily Le Nir, Éditions des Syrtes, 2010.
Une chaude journée d’été, en gare de Cluj ; prêts au départ, l’express pour Bucarest, et le « train spécial » pour la Mer Noire, emmenant une troupe d’enfants en colonie de vacances, sous la houlette de leurs professeurs. Cela commence bien, chacun joue son rôle. Une série de portraits montre les voyageurs et autres protagonistes en action, chacun représentant un type de personnage que l’on s’attache à suivre successivement et périodiquement.
Le grain de sable, c’est Calman, enfant des rues et des égouts de Bucarest, dont l’esprit de révolte et de liberté va se mêler à l’imaginaire des écoliers nourri de cinéma, de télévision et d’Internet. Mélange explosif, transformant les enfants en « croisés » du train, dont ils s’emparent et qu’ils arrêtent en pleine campagne, après avoir eu soin d’enfermer les professeurs dans leur compartiment. À partir de là, tout bascule dans l’épopée. Les enfants sans famille convergent de tout le pays vers le train forteresse, les revendications de toutes sortes fusent, la police, l’armée, la mafia, les médias, le gouvernement sont de plus en plus impliqués dans l’affaire, violence et tentatives de négociations alternent dans la plus grande confusion.
Roman collectif, odyssée devenant iliade, La croisade des enfants est aussi une série de romans individuels dont le point de ralliement est un coin de forêt dans la vallée de la Prahova. Enfants-héros, enfants-victimes, parents inquiets ou affolés, professeurs indignés ou compréhensifs, journalistes critiques ou démagogues, trafiquants de drogue et d’êtres humains, religieux thaumaturge, Tzigane cartomancienne, députés et ministres experts en langue de bois, on en passe… La galerie est immense, colorée, exubérante, savoureuse… Chacun, poussé dans ses retranchements, semble redécouvrir le monde et la vie, le monde et la vie mêmes semblent se métamorphoser. Jusqu’où ? Chaque lecteur se donnera ses limites.
Inséparable du récit, se coulant en lui (et inversement), le style de Florina Ilis triture les mots, les phrases, la ponctuation, et l’auteure manie avec grande dextérité l’art du second degré. Les séquences se suivent avec naturel tout en se superposant, en un souffle ininterrompu auquel on ne peut se soustraire.
Jean-Pierre Longre
09:23 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, roumanie, florina ilis, marily le nir, éditions des syrtes, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |