2669

Un théâtre bien vivant (24/01/2011)

Alt. th..jpegAlternatives théâtrales n° 106-107, « La scène roumaine. Les défis de la liberté », 4e trimestre 2010

Depuis vingt ans, la vie intellectuelle et artistique roumaine s’est évidemment libérée, animée, étendue, diversifiée. Rien de tel que les arts du spectacle, notamment le théâtre, pour illustrer ce phénomène. Forte de ce constat, la revue belge Alternatives théâtrales consacre son dernier numéro à « la scène roumaine », sous l’égide de Georges Banu et Mirella Patureau, très bien placés pour cela, puisque leur point de vue est à la fois extérieur et intérieur (respectivement professeur à la Sorbonne Nouvelle et chercheur au CNRS, ils vivent en France tout en étant fortement impliqués dans l’univers théâtral roumain).

Il était sans doute nécessaire de rappeler au public d’Europe occidentale, aux « lecteurs d’ailleurs », qu’en Roumanie le théâtre est bien vivant, et qu’en ce qui concerne le répertoire « la scène roumaine se montre nettement plus ouverte que la scène française » ! Si la censure, jusqu’en 1989, a imposé un cadre rigide à la création scénique (comme à toute création), elle n’a pas interdit le théâtre, et l’éclatement libérateur des années 1990 n’est pas une rupture complète, mais une métamorphose dans la continuité. C’est en tout cas ce qu’explique Georges Banu dans son introduction, en analysant les différentes formes du spectacle théâtral qui s’élabore depuis, dans un « archipel des solitudes » s’épanouissant sans conflit mais dans une infinité d’identités, en dépit des contraintes économiques entraînant des restrictions budgétaires.

Les deux grandes parties de ce numéro (« Repères pour un paysage théâtral », « Paroles et portraits d’artistes ») permettent un tour d’horizon, sinon exhaustif, du moins très détaillé, de ce qui se fait en matière de réalisation et d’écriture scéniques à Bucarest et dans les grandes métropoles culturelles du pays. Le répertoire dans toute sa variété – de la tragédie antique à la jeune avant-garde, des pièces roumaines aux œuvres internationales, de la tradition à la provocation – est passé en revue par les critiques ou par les acteurs (au sens général), et les grands événements évoqués montrent l’étendue géographique du renouveau : Festival national de théâtre de Bucarest, Festival de Sibiu, Festival Shakespeare de Craiova, Théâtre Ariel de Târgu-Mureş… Le tour d’horizon est largement complété, à bon escient, par des réflexions en profondeur sur des phénomènes marquants : l’enseignement du théâtre, qui tend à multiplier le nombre de comédiens diplômés ; la fameuse « ostalgie », dont les jeunes dramaturges se dégagent pour faire porter leurs critiques non seulement sur le passé communiste, mais aussi sur le présent capitaliste ; l’expérimentation originale souffrant du « synchronisme », c’est-à-dire du désir d’adaptation aux modes européennes ; l’importance du rôle joué par le groupe du « dramAcum », sous la houlette de Nicolae Mandea… Il était primordial, en outre, de donner la parole aux grands créateurs, metteurs en scène et dramaturges, directement ou sous la forme d’entretiens. Cette parole tient une place révélatrice d’un état des lieux et d’une dynamique. Le tout se termine par un bref panorama du cinéma roumain, plusieurs fois récompensé, et qui pose des questions, en tout cas qui « entame avec nous un dialogue ».

Les textes fouillés, les synthèses, les témoignages, tous signés de critiques avertis, d’universitaires, de metteurs en scène, de comédiens, d’écrivains, sont ponctués de belles et larges photos de mises en scène, pour la plupart proposées par Mihaela Marin, spécialisée dans les arts du spectacle. Cette combinaison du textuel et du visuel compose un très bel ensemble, complété, signalons-le, par un dossier sur le norvégien Jon Fosse, et par un article de Bernard Debroux, codirecteur de la revue avec Georges Banu, sur « les langues d’Europe » examinées dans la perspective théâtrale.

Ce numéro dévoile les richesses et les potentialités de la « scène roumaine » actuelle dans toutes ses dimensions, avec ses paradoxes, ses enjeux, ses héritages, son esprit créateur, ses expériences, ses mutations… Un ensemble indispensable à l’exploration du paysage théâtral et artistique européen.

Jean-Pierre Longre

www.alternativestheatrales.be

 

15:05 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, revue, roumanie, alternatives théâtrales, jean-pierre longre |  Facebook | |  Imprimer |