25/08/2024
« Mes enfants sont ma lumière »
Anca Bene, La nuit je rêverai de soleils, préface de Patrick Penot, éditions L’espace d’un instant, collection Sens interdits, 2024
Il y a les faits, et il y a la connaissance. Les faits sont rapportés par les médias – presse, radio, télévision et réseaux divers –, mais on ne peut accéder à la véritable connaissance que par d’autres moyens, parmi lesquels la fiction théâtrale figure au premier plan. Car on voit et on entend sur scène des personnages et des voix incarnés par de vraies personnes, ce qui donne à cette fiction un relief et une puissance allant au-delà de la réalité visuelle et sonore.
La pièce d’Anca Bene, La nuit je rêverai de soleils, est une très belle preuve de cette complémentarité. Qui a vécu, de près ou de loin, le tournant de l’année 1989 en Europe Centrale et Orientale se souvient de la révolution roumaine, des manœuvres et des péripéties qui l’ont accompagnée, en particulier de la découverte de ce qu’on a appelé les « orphelinats », qui étaient en réalité des lieux d’abandon, de maltraitance voire de mort pour les « enfants du décret », ceux dont Ceauşescu, dans sa folie tyrannique de « Génie des Carpathes », a voulu multiplier le nombre pour créer une « génération d’hommes nouveaux ». Des années 1960 à nos jours, la pièce dénonce ce qui a fait de ces enfants des victimes impuissantes, y compris après 1990, lorsque l’Europe et les États-Unis se sont chargés de « gérer la situation » en organisant des adoptions dans lesquelles l’argent était largement partie prenante. « Officiellement, trente mille enfants sont adoptés à l’étranger. On soupçonne que le chiffre réel serait d’au moins cent mille. Si certains se retrouvent dans des familles aimantes, nombreux disparaissent tout simplement. Les lobbies sont puissants et la Roumanie devient vite un terrain propice à l’expérimentation. […] La Roumanie semble avoir oublié son passé. Mais où sont les enfants disparus ? Des enfants qu’on a qualifiés d’« orphelins » alors qu’ils avaient des parents. » Voilà ce que disent sur scène les « interprètes », tout en formant des lignes de bûches figurant un cimetière d’enfants.
La pièce donne la parole à des personnages d’un bord ou de l’autre, d’une époque ou d’une autre, en relayant par exemple sous forme poétique les souvenirs d’anciens « orphelins », leur quête des mères qui peut devenir fête ou désarroi, ou la pauvre vie de mères de famille et les rêves qui la peuplent : « Mes enfants sont ma lumière, mon soleil. […] J’ai un grand rêve aujourd’hui. Je rêve encore. Je voudrais avoir ma maison, ma petite maison avec mes enfants. Le jour où je vais mourir, je veux que mes enfants aient un toit, je ne veux jamais qu’il se retrouvent dans un orphelinat. Je veux une maison. Pas pour moi mais pour eux. » Parfois aussi l’humour affleure, frisant le noir, dès le prologue par exemple lorsqu’un homme, un officiel, balaie d’un long discours préformaté les tentatives de trois femmes pour humaniser un tant soit peu le « décret », ou plus loin lorsqu’un directeur répond dans diverses langues à une fille venue l’interroger sur l’identité de ses parents… Pas de pathos. Inutile d’en ajouter aux mots prononcés et aux situations mises en scène à partir de témoignages et de documents. La lecture de La nuit je rêverai de soleils dépasse en intensité celle de tous les essais ou articles publiés sur le sujet. Patrick Penot l’écrit dans sa préface : « Le spectacle déplace et remue. Mais il rassure car oui, le théâtre reste encore une belle arme pour décoder le monde. » On y revient ; dépassant les faits et leur nue brutalité, c’est le théâtre, sous la plume précise, émouvante, multiforme et déterminée de l’autrice, qui en explore les racines les plus profondes et les ramifications les plus étendues.
Jean-Pierre Longre
La pièce a été jouée au théâtre des Clochards Célestes à Lyon en avril 2023. Mise en scène : Anca Bene. Assistante mise en scène : Zoé Fairey. Création musicale et sonore : David Mambouch. Collaboration chorégraphique : Sophie Brunet. Comédiens : Anna Comte, Sidonie Lardanchet, Sébastien Mortamet, Claire Pouderoux.
Sur le sujet, on peut lire d’autres ouvrages, témoignages ou fictions. Voir notamment :
http://livresrhoneroumanie.hautetfort.com/archive/2018/04...
http://jplongre.hautetfort.com/archive/2016/03/23/le-secr...
http://livresrhoneroumanie.hautetfort.com/archive/2018/03...
Site de l’éditeur : https://parlatges.org
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15/07/2024
Pour le théâtre contemporain
Les éditions L’Espace d’un instant
Indispensables si l’on veut connaître le théâtre contemporain d’Europe, du Moyen Orient, de la Méditerranée, les éditions L’Espace d’un instant publient des pièces à un rythme quasi mensuel. Voici leur présentation :
« Les choix de publications des éditions l’Espace d’un instant, partenaires de la Maison d’Europe et d’Orient, sont pour la plupart directement inspirés des palmarès du réseau européen de traduction théâtrale Eurodram. La ligne éditoriale est principalement orientée vers les écritures contemporaines, sans négliger les lacunes de répertoire, dans le cadre des dramaturgies d’Europe, d’Asie centrale et de Méditerranée – de l’Islande à l’Afghanistan. Elle privilégie notamment les regards critiques et la recherche théâtrale, la diversité linguistique, ainsi que les relations possibles avec les scènes francophones, sans négliger une certaine représentativité des genres et des communautés. Il s’agit quasi exclusivement de traductions théâtrales, avec quelques exceptions d’une part pour des auteurs francophones et d’autre part pour des ouvrages théoriques. Différentes anthologies (Bulgarie, Biélorussie, Caucase, Croatie, Kurdistan d’Irak, Turquie, Ukraine) ont également été publiées. Certains ouvrages ont été édités en coédition avec d’autres éditeurs. Des photographes sont sollicités pour les illustrations de couverture. La quasi-totalité des ouvrages sont accompagnés d’une préface et d’une note technique et biographique. L’Espace d’un instant a remporté le prix de la traduction 2023 du PEN Club français. Le rythme annuel de publication est d’environ une dizaine de livres par an, pour en moyenne le triple de pièces. Depuis 2001, 346 textes de 275 auteurs ont ainsi été publiés dans 137 livres (au 1er janvier 2023). »
https://parlatges.org/presentation-des-editions-lespace-d...
Quelques publications récentes (cliquer sur les images) :
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04/05/2023
L’exil et l’émotion
Victoria Yakubova, Chez moi, préface de Volker Schlöndorff, éditions L’espace d’un instant, 2023
« Chez moi, ce n’est pas uniquement territorial, chez moi, c’est aussi temporel, c’est aussi il y a vingt-cinq ans.
Alors chez nous, c’est il y a vingt-cinq ans à Tachkent, en Ouzbékistan, quand le monde n’était pas encore fou. Voilà où c’est, chez moi.
Chez moi, c’est à la fois nulle part et partout ! Ni le temps ni l’espace n’existent, disent-ils ! Et ils ont raison. »
Le récit relate les trajets d’un exil à l’autre suivis par la narratrice, à partir de l’émigration familiale depuis Tachkent jusqu’en Israël : « Nous sommes les « décabristes russes ». Incroyable. Il suffisait d’arriver dans le pays des Juifs pour devenir russes et surtout pour arrêter d’être juifs. » Et c’est la découverte d’une autre vie, d’autres mœurs, d’autres lectures, d’une autre guerre, d’autres contraintes, de l’amour…
Victoria ou « Vika », la narratrice, va plus tard accomplir son rêve : étudier le cinéma à l’université de Paris. « Mais le cœur est-il heureux ? » S’il y a de belles découvertes, de belles rencontres, il y a aussi les difficultés pour trouver un travail, obtenir des papiers, il y a la bureaucratie, les soupçons, les tribulations de l’exil… Et que de tracasseries pour envoyer un colis en Israël, ou pour exhiber les documents nécessaires au mariage : « L’Ouzbékistan ? Connais pas. » Puis un jour, la famille Yakubov (les parents, la sœur de New York, Victoria de Paris) se retrouve à Tachkent, dans son quartier, vingt-cinq ans après le départ : la maison, le parc Kirov, les souvenirs, le deuil… et le retour chacun « chez soi ».
Remarquons-le, les éditions L’espace d’un instant on fait une exception : publier un texte ne relevant pas du genre théâtral. Mais remarquons-le encore : ce texte tient à la fois du récit, de la poésie, du cinéma et du théâtre. Récit : on aura compris qu’il s’agit d’une narration à caractère autobiographique ; poésie : les courts paragraphes sont comme des versets ou des strophes au lyrisme tantôt contenu, tantôt éclatant (à faire même pleurer les employés de mairie à qui Victoria a fait connaître sa vie pour débloquer le processus administratif !) ; cinéma : autant de paragraphes poétiques, autant de brèves séquences relevant du montage susceptible de faire du lecteur un véritable spectateur ; théâtre : l’écriture de l’autrice tient de la mise en scène des mots, les caractères de certains d’entre eux mettant en relief le pathétique et l’émotion, cette émotion qui émane de chaque page, de chaque scène, de chaque phrase. Un art total.
Jean-Pierre Longre
Autres parutions récentes aux éditions L’espace d’un instant :
Dino Pešut, Les Érinyes, filles du désespoir. Traduit du croate par Nicolas Raljević. Préface de Lada Kaštelan
Présentation
Un groupe de lycéens confronté à la violence et à la haine se débat pour exister et grandir. Marija a été droguée et violée en soirée par trois garçons. Roza lutte contre ses pulsions violentes et suicidaires. Dane se drogue et se bat. Ivan est passé à tabac parce qu’il est homosexuel. Martin, qu’il aime, a du mal à assumer cette relation. Sanjin est accro à la pornographie. Le viol a été filmé et diffusé sur les réseaux sociaux. Ce soir-là, Sanjin filmait. Les Érinyes, persécutrices représentées par trois jeunes filles du lycée, se chargent de dénoncer et de punir ce que la bonne société dénonce comme des travers condamnables selon « les lois de l’État et les lois du ciel ». Finalement, ce viol devient l’occasion d’une prise de conscience et d’une sortie de l’adolescence : l’amour l’emporte sur la bêtise.
Dino Pešut est né en 1990 à Sisak, en Croatie. Diplômé de l’Académie des arts dramatiques de Zagreb, il travaille comme dramaturge et metteur en scène dans différents pays européens. Ses textes ont notamment été présentés au Théâtre national de Split, au Theatertreffen à Berlin et à la Mousson d’été. Il a obtenu le prix Marin-Držić du meilleur texte dramatique à six reprises, ainsi que le Deutscher Jugendtheaterpreis et le prix de la fondation Heartefakt. En 2019, il est accueilli en résidence au Royal Court Theatre de Londres.
Wael Kadour, Chroniques d’une ville qu’on croit connaître. Traduit de l’arabe (Syrie) par Nabil Boutros et Simon Dubois. Préface de Monica Ruocco
Présentation
Chroniques d’une ville qu’on croit connaître se déroule à Damas pendant les premières semaines de la révolution de 2011. Dans un moment de profonde transformation du pays, Rola tente de formuler sa propre interrogation sur son identité sexuelle et se retrouve dans une confrontation ouverte avec le pouvoir politique et social.
Braveheart a pour cadre une petite ville française inconnue, en 2021, et traite du problème de l’acte d’écriture depuis l’exil après l’effondrement de la question de la justice et l’impossibilité du retour à la patrie. Aline essaie d’écrire du matériel créatif et se retrouve prise entre un passé traumatisé et un futur illisible. Elle entre dans une relation amoureuse avec un jeune homme qui, selon elle, travaillait dans le renseignement et qui se déguise maintenant en une nouvelle personne.
Wael Kadour, né à Damas en 1981, est auteur, dramaturge et metteur en scène. Il a été accueilli en résidence notamment au Royal Court Theatre de Londres en 2007, ainsi qu’au Sundance Institute de New York en 2017. Il quitte la Syrie fin 2011 pour la Jordanie, avant d’arriver en France début 2016. Ses textes ont été présentés notamment à la Filature, scène nationale de Mulhouse, au Napoli Teatro Festival en Italie et au Weimar Festival en Allemagne.
Ramzi Choukair, Y-Saidnaya / Palmyre, les bourreaux. Traduits de l’arabe (Syrie) par Ramzi Choukair, Simon Dubois et Céline Gradit. Préface de Pascal Rambert
Présentation
Saidnaya et Palmyre, antiques villes syriennes, sont devenues sous le régime dictatorial de hauts lieux de détention. Dans une narration qui transcende le témoignage brut, les personnages, survivants de ces prisons d’effroi, dévoilent un système qui surveille et punit, instille la méfiance jusque dans les relations les plus intimes. Récits de vie autant que de détention, les histoires singulières des personnages évoquent, en creux, les rouages d’un régime de la terreur, perpétrée depuis plus de quatre décennies au moyen d’une étroite imbrication entre pouvoir politique, religion et corruption.
Ramzi Choukair est franco-syrien. Il a longtemps vécu entre la France et Damas, avant que cela ne devienne impossible. Depuis, au gré de ses rencontres, collectant des témoignages, en voyageant où il peut, il écrit. Il tente, avec les artistes-témoins qui l’accompagnent, avec humour parfois, de raconter l’enfer de la guerre et l’oppression au quotidien, l’histoire de ceux qui ont pu fuir, celle de ceux qui sont encore là-bas. Histoire parlée, dansée, chantée, de frontières qu’on passe et de pays, de clandestinité, de résistance. Pour rendre à ces villes leur héritage, ne pas laisser le régime effacer les mémoires individuelles du peuple syrien.
10:34 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : récit, autobiographie, théâtre, francophone, ouzbékistan, victoria yakubova, volker schlöndorff croatie, syrie, dino pešut, nicolas raljević, lada kaštelan, wael kadour, nabil boutros, simon dubois, monica ruocco, ramzi choukair, céline gradit, pascal rambert, l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
31/01/2023
L’architecte, les promoteurs et les politiciens
Jeton Neziraj, Les cinq saisons d’un ennemi du peuple. Traduit de l’albanais (Kosovo) par Anne-Marie Bucquet, préface de Shkëlzen Maliqi, éditions L’espace d’un instant, 2022
« Mais ces gens-là sont en train de détruire cette ville ! Ces entrepreneurs sont une poignée de bandits, une toute petite minorité, alors que ceux qui subissent les conséquences de leurs actes sont la majorité. Et la majorité est contre. » Ainsi s’indigne l’architecte, protagoniste de la pièce de Jeton Neziraj. Indignation justifiée par les manœuvres sournoises et les méthodes maffieuses des promoteurs immobiliers, ici incarnés par le personnage de Meti, propriétaire tout-puissant d’une entreprise de BTP. Mais indignation impuissante devant l’influence néfaste subie par les gouvernants et le peuple, avec l’assentiment de Pierre, administrateur des Nations unies, de Margarita, journaliste populaire de télévision, et même du secrétaire général du syndicat des ouvriers du bâtiment.
La pièce est tirée d’une histoire vraie : en 2000, Rexhep Luci, chef du service d’urbanisme de Prishtina, opposé aux constructions illégales de grands ensembles dans la capitale du Kosovo et promouvant une reconstruction harmonieuse de la ville, est assassiné. C’est le processus qui a abouti à cet assassinat que le dramaturge reconstitue ici, sous la forme de la fiction théâtrale, mettant en scène les relations de plus en plus ambiguës et conflictuelles entre l’architecte et les autres personnages, auxquels s’ajoutent un « dieu des constructions » et, selon un rapport bien différent, la fille de l’architecte, soucieuse de la vie de son père dans sa lucidité : « Tu es tout seul. Et tu ne peux pas les arrêter à toi tout seul. Papa, tu dois te protéger ! »
Les cinq saisons d’un ennemi du peuple est une pièce subtilement engagée, démontrant peu à peu les rouages pernicieux du fonctionnement politique dans le Kosovo d’après-guerre, un fonctionnement politique soumis comme dans beaucoup d’autres pays aux lois (aux non-lois) du capitalisme sauvage et sans scrupules. Ceux que l’on croyait du côté de l’architecte – la journaliste, le syndicaliste, le représentant des Nations unies, le peuple même – se révèlent peu à peu soumis à cette emprise. Tout cela se fait par étapes, par découvertes successives au fil des scènes, et c’est de cette manière que la satire est la plus prégnante, les mises en garde de l’architecte à sa fille les plus claires : « Je voulais te dire quelque chose. Fais attention à ces gens des Nations unies. Ils ont de l’argent, ils conduisent leurs grosses Jeep, ils mangent dans les meilleurs restaurants et ils pensent qu’ils peuvent tout acheter ici. » Quatre actes, quatre saisons. Et une cinquième, « intermédiaire », saisons de bourgeons nouveaux, que finalement semble espérer la jeune fille. Nous aussi.
Jean-Pierre Longre
Autre parution aux éditions L’espace d’un instant :
Goran Stefanovski, Éloge du contraire. Textes réunis et présentés par Ivan Dodovski, traduits du macédonien par Maria Béjanovska.
« Voici enfin réunis, et pour la première fois, les textes de Goran Stefanovski, essais et discours écrits à l’occasion de différentes manifestations culturelles internationales. Ses observations et ses réflexions, faites à partir d’une position d’« exil itinérant » et dans lesquelles on croise Kafka, Tintin ou Donald Duck, élaborent un hypertexte sur l’identité et engagent à une déconstruction audacieuse des clichés. L’auteur d’Hôtel Europa propose ainsi une critique des divisions internes de l’Europe, qui menacent de la transformer en un espace dystopique de méfiance et d’ignorance, particulièrement sous les assauts du capitalisme mondial. »
Il fut pourtant un temps où l’Est (du moins mon coin de l’Est) criait : “Nous sommes ici, ici !”, et où l’Occident répondait : “Nous ne pouvons pas vous voir. Vous n’êtes pas là où nous vous attendions. Déplacez-vous, que nous puissions vous voir.” »
Goran Stefanovski (1952-2018) est né en Macédoine. Auteur dramatique, universitaire, il a vécu et travaillé entre Skopje et Canterbury. Il a écrit de nombreuses pièces et scénarios, abordant notamment les frictions entre identité personnelle, histoire et politique. Un bon nombre de ses œuvres ont fait l’objet de productions internationales, représentées à travers l’Europe, du BITEF de Belgrade jusqu’au Festival d’Avignon.
Sommaire :
Histoires de l’Est sauvage
Sur notre histoire
Discours post-dînatoire
L’essence des choses
Le téléphone en panne
Les trans-artistes et les cis-artistes
L’auteur dramatique en tant qu’artisan des drames
Dispute avec Kafka
Éloge du contraire
Tintin dans les Balkans
L’étincelle qui jaillit
Supplément :
« Goran Stefanovski : “Fables du monde sauvage de l’Est.
Quand étions-nous sexy ?” », par Frosa Pejoska-Bouchereau
15:46 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, kosovo, macédoine, jeton neziraj, anne-marie bucquet, shkëlzen maliqi, goran stefanovski, ivan dodovski, maria béjanovska, l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
21/10/2022
Parutions récentes aux éditions L’Espace d’un instant
Iàkovos Kambanèllis, La Cour des miracles. Traduit du grec par Gilles Decorvet, préface de Sissy Papathanassiou, 2022
« Athènes, années 50. La capitale grecque n’est pas encore hérissée d’immeubles. Les gens vivent dans des maisonnettes, serrées autour de préaux. Dans l’un d’eux s’agite le petit monde de La Cour des miracles. Ici, un couple n’arrête pas se disputer pour mieux s’aimer à nouveau ; là, une fille s’imagine faire carrière au cinéma ; untel, à gauche, fait des pieds et des mains pour émigrer en Australie où, croit-il, la vie sera enfin plus belle ; tel autre, à droite, est possédé par le démon du jeu ; sur une terrasse, un vieillard philosophe tisse des songeries poétiques… Les destins se croisent et se décroisent autour de la cour. C’est la classe ouvrière qui se démène, celle qui, plus tard, s’enrichira peut-être ou qui, au contraire, fera naufrage. Ça rit, ça pleure, ça se dispute, ça crie, ça s’énerve et ça danse. Car la vie grouille, dans cette cour : on y souffre et on y rêve. La Cour des miracles : un condensé de Grèce. Un vivier d’humanité. »
« Connu en France pour son récit Mauthausen (Albin Michel ; Prix du livre étranger France Inter/Le Point 2020), Iàkovos Kambanèllis (1922-2011) est célèbre en Grèce avant tout pour ses pièces de théâtre et ses poèmes. Les seconds ont notamment été mis en musique par Mikis Théodorakis. Les premières ont été mises en scène par les plus grands, comme Karolos Koun. Très marqué par son expérience vécue dans un camp de concentration en Allemagne, Kambanèllis a su sublimer les épreuves pour en tirer une oeuvre saisissante de beauté, de poésie et d’émotion. »
Maja Pelević, Peau d’Orange. Traduit du serbe par Marie Karaś-Delcourt, préface de Svetislav Jovanov, 2022
« Moderne et percutante, Peau d’orange bouscule et soulève les questions de genre dans notre monde contemporain. Le personnage principal, ELLE, oscille entre la dépression, la révolte et le conformisme. Tour à tour soumise au diktat de l’image du corps imposé par la société patriarcale, prête à tout pour être reconnue ou devenue mère malgré elle, la femme et sa féminité sont remises en question et tiraillées entre libération et asservissement. L’homme et la femme sont-ils partenaires ou étrangers l’un à l’autre ? L’autre n’est-il qu’un moyen pour assouvir ses désirs ou atteindre ses objectifs ? La force du texte tient en la simplicité de l’expression pour décrire toute la complexité d’un système. »
« Maja Pelević, née à Belgrade en 1981, est dramaturge, metteuse en scène et performeuse. Elle a notamment suivi les cours dispensés par Richard Schechner, avant d’être accueillie au Royal Court Theatre de Londres en 2005. Membre de la rédaction de la revue Scena, conseillère littéraire au Théâtre national de Belgrade, cofondatrice de Nova drama, elle participe à de nombreux projets. Ses productions ont été largement présentées en Europe, notamment à la Volksbühne à Berlin, et ont reçu de nombreux prix, dont celui du BeFem, le festival féministe de Belgrade, en 2019. Créé à l’Atelier 212 à Belgrade en 2006, prix du meilleur spectacle au festival Sterjino Pozorje de Novi Sad en 2010, Peau d’orange a récemment fêté sa trois-centième représentation. »
Ian De Toffoli, Trilogie du Luxembourg, préface de Jean Boillot, 2022
« Les trois textes de Trilogie du Luxembourg, montés entre 2018 et 2021 au Luxembourg, en France et en Italie, dessinent le portrait politique d’un pays clivé, où les apparences polies cachent souvent de plus sombres rouages. Terres arides, pièce documentaire sur les traces d’un journaliste luxembourgeois en voyage en Syrie, scrute le système politique et juridique du Luxembourg en posant les questions de la citoyenneté, de la radicalisation et de l’apparente paix sociale du pays. Le monologue Tiamat fait le voyage en sens inverse, disséquant le business des antiquités de sang venues du Proche-Orient, rendu possible par l’opacité de structures financières et logistiques du Luxembourg. Confins raconte, depuis la fondation de l’Union européenne, et au-delà, les pérégrinations de générations d’hommes et de femmes venus d’Italie pour s’enfoncer dans les mines du bassin de fer de la Grande Région. »
« Ian De Toffoli, né en 1981 à Luxembourg au sein d’une famille italo-luxembourgeoise, est écrivain, dramaturge et universitaire, auteur d’une thèse de doctorat soutenue à la Sorbonne-Paris IV, d’essais et de pièces de théâtre traduits et publiés dans plusieurs pays européens. Depuis 2012, ses pièces sont créées aux Théâtres de la Ville de Luxembourg, au Théâtre national du Luxembourg, au Théâtre du Centaure, mais également en France, Belgique, Allemagne et Italie. Depuis 2022, il est artiste associé aux Théâtres de la Ville de Luxembourg. »
19:30 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, grèce, serbie, luxembours, iàkovos kambanèllis, gilles decorvet, sissy papathanassiou, maja pelević, marie karaś-delcourt, svetislav jovanov, ian de toffoli, jean boillot, l’espace d’un instant | Facebook | | Imprimer |
07/05/2022
Cahoteuses et chaotiques
Natalka Vorojbyt, Mauvaises routes, traduit de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn, éditions L’espace d’un instant, 2022
Le premier des six tableaux qui composent cette pièce est le monologue d’une journaliste venue se rendre compte de ce qu’il se passe sur le front du Donbass. « Qui ne veut pas aller au front ?! Tout le monde veut aller au front. Je l’ai décidé avant même d’y réfléchir. » C’est Serhig, combattant endurci et bel homme, qui l’y emmène en lui racontant ses propres tribulations. Témoignage vivant, brève histoire de guerre et d’amour qui se terminera, elle le sait, par « une séparation lente et terrible. »
Les fragments suivants, extensions dialoguées du premier, mettent en scène des personnages divers, dont la variété des situations n’occulte pas ce qu’ils ont en commun et qui forme à la fois l’arrière-plan constant et l’immédiateté scénique : la guerre, les dangers et les tensions qu’elle engendre. De toutes jeunes filles, assises sur un banc près d’une supérette, bavardent, se disputent, se racontent leurs amours (« Comme Roméo et Juliette : tout le monde est contre nous, et nous on est contre le monde entier. »), leurs révoltes (« Je ne veux pas regarder la télé russe. / On regardera autre chose. / Il n’y a rien d’autre. ») et expriment leurs peurs devant les explosions. Un directeur d’école tente de s’extirper d’une situation et d’une attitude qui le rendent suspect aux yeux d’un commandant de « blockpost » – ivresse, passeport égaré, détention d’une arme -, ce qui occasionne au passage une profession de foi du militaire : « Personnellement, je combats pour que ma fille ne se réveille pas un jour au milieu de la guerre, comme vos enfants. Pour qu’elle ne se cache pas dans les caves, putain [...] Et puis je suis ici pour qu’un directeur d’école ivre ne transporte pas une kalachnikov dans son coffre… Pour que ce genre de directeur ne s’approche pas des enfants. On ne sait pas ce que tu leur apprends, là-bas, quelle patrie aimer, quel drapeau arborer. » Une femme médecin et un militaire roulent sur une route accidentée, et leur conversation agitée laisse entendre que le corps du mari mort au combat se trouve dans le coffre du véhicule. Situation tragique, qui n’empêche pas l’humour (noir) : « Ton père est encore en vie ? / Non. / Alors que Poutine est en vie. / Oui, j’aurais bien fait l’échange… / Impossible. / Je sais. / Ça t’ennuie si je me soûle ? / Si tu y tiens vraiment. Mais… / Je plaisante. C’est de l’eau. » Puis c’est une scène à la limite du soutenable entre « Lui », une brute enragée, et « Elle », qui tente de l’amadouer par tous les moyens, sentiments, ruse, brutalité en retour… Image de la dictature guerrière contre les valeurs démocratiques. Le dernier tableau, dont l’action se situe « avant la guerre », met face à face les scrupules et la cupidité, la générosité et la tentation d’en profiter. Prémices de batailles plus violentes.
Tous ces personnages, dont certains, comme des fils plus ou moins ténus, réapparaissent périodiquement et tracent un cheminement entre les scènes, suivent ces « mauvaises routes » cahoteuses et chaotiques qu’ils n’ont pas forcément prévu ou envie de suivre. L’art de la dramaturge leur donne une existence immédiate, tangible, profondément humaine, et nous, lecteurs ou spectateurs, partageons de près leurs angoisses, leurs révoltes, leurs vies à la fois dramatiques et si proches de la quotidienneté de toute vie, avec ses sourires et ses peurs. D’autant plus, bien sûr, que les événements décrits ici, datant d’il y a cinq ans (2017, création de la pièce), sont d’une brûlante actualité.
Jean-Pierre Longre
Autres parutions récentes aux éditions L’espace d’un instant :
Sergueï Guindilis, Les voisins, traduit du russe par Boris Czerny, préface de Benoît Vitkine, 2022
« La réélection frauduleuse du président sortant, Alexandre Loukachenko, en août 2020, provoque une vague de manifestations pacifiques en Biélorussie. Les opposants au régime sont violemment réprimés. La pièce Les Voisins reproduit les témoignages d’hommes et de femmes emprisonnés, violentés ou contraints à l’exil par les forces de l’ordre biélorusses. Ils racontent ce qu’ils ont vécu et qui fait qu’ils ne seront plus jamais les mêmes qu’avant. En mai 2021, la première de la pièce au Teatr.doc de Moscou a été interrompue par la police.
Ce texte est le fruit du travail collectif d’un groupe d’artistes russes et biélorusses, dirigé par Sergueï Guindilis, metteur en scène, et composé de Daria Demoura, régisseuse et documentaliste, Ekaterina Finevitch, actrice de cinéma et de théâtre, et Ksenia Terechtchenko, dramaturge. Sergueï Guindilis, né en 1994 à Moscou, a étudié la philosophie, l’art dramatique et le cinéma documentaire, et a notamment organisé différents spectacles dans le cadre du cycle « Histoire des épidémies » au Teatr.doc. »
Kaveh Ayreek, La valise vide, traduit du dari (Afghanistan) par Guilda Chahverdi, préface de Guilda Chahverdi ,2022
« Hamid et Maryam sont afghans, ils ont grandi en Iran. Leurs parents y avaient migré au début de la longue série des guerres afghanes dans les années 1980. Toute leur enfance, ils ont été bercés par la poésie et la description des beautés de leur terre d’origine. Dans les années 2010, une fois mariés, Hamid et Maryam décident de retourner en Afghanistan. Ce retour leur semble essentiel pour offrir à leurs enfants la
légitimité d’une terre dont eux ont été privés. Leurs familles respectives tentent de les en dissuader : les habitants de ce pays sont des loups. Mais le couple ne veut rien entendre. Il voyage par voie de terre pour voir enfin les paysages et rencontrer ses habitants. »
Jovan Nicolić, Ruždija Russo Sejdovič, Carrousel pour les Tsiganes, traduit du rromani par Marcel Courthiades, préface de Marcel Courthiades, 2022
« Dans un café tenu par Yashar, Rrom de Prizren, se déroulent des événements du quotidien en période de conflit serbo-albanais, apportant de plus en plus de violence, de corruption, de haine absurde entre ennemis jurés, hier encore amis. La pièce illustre la souffrance morale des Yougoslaves écartelés entre nostalgie, compassion, haine(s), nationalisme(s), mensonges et manipulations. Si les personnages principaux sont rroms, symbolisant le peuple simple sans orientation nationaliste, les autres protagonistes apparaissent avec toutes leurs ambiguïtés.
Mais les auteurs traitent d’une destruction intérieure, qui n’épargne personne, et ne font pas le procès de l’une ou l’autre des forces en présence. « Quand les taureaux se battent, c’est l’herbe qui souffre le plus. »
Le texte a été créé en Allemagne en 2000 par Rahim Burhan et le théâtre Phralipe, principal théâtre rrom en Europe, et édité en 2004 à l’Espace d’un instant, sous le titre Kosovo mon amour. »
Hristo Boytchev, L’invasion, traduit du bulgare par Roumiana Stantcheva, préface de Jordan Plevneš, 2022
« Au fin fond de la campagne, retranchés dans leur maison transformée en bunker improbable, Luca, ses enfants Galilei le lunatique et Maria le garçon manqué, ainsi que Mattei, personnage velléitaire qu’ils hébergent, armés jusqu’aux dents, défendent leur bastion face à un ennemi invisible. Mattei courtise Maria qui le rabroue à coups de taloches, Galilei joue au somnambule, Luca règne en maître sur ce petit monde qui attend à longueur des jours, des mois, des années l’arrivée de l’envahisseur. Un jour, enfin, les collines alentour se couvrent de monde. Les envahisseurs sont là ! »
17:54 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, ukraine, russie, afghanistan, rromani, bulgarie, natalka vorojbyt, iryna dmytrychyn, sergueï guindilis, boris czerny, vitkine, kaveh ayreek, guilda chahverdi, jovan nicolić, ruždija russo sejdovič, marcel courthiades, hristo boytchev, roumiana stantcheva, jordan plevneš, éditions l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
25/03/2022
Le théâtre ukrainien, bien vivant. « Nous sommes tous en errance »
Dominique Dolmieu et Neda Nejdana (sous la direction de), De Tchernobyl à la Crimée, « Panorama des écritures théâtrales contemporaines d’Ukraine », éditions L’espace d’un instant, Les Journées de Lyon des auteurs de théâtre, 2019
Qui en France connaît le théâtre ukrainien, mis à part quelques spécialistes et traducteurs ? Nicolas Gogol et Mikhaël Boulgakov (« auteurs russophones de Kiev ») sont peut-être dans les esprits, mais en ce qui concerne les auteurs d’aujourd’hui, « terra incognita » (Dominique Dolmieu). Il était donc grand temps que le public et les lecteurs francophones découvrent l’écriture dramaturgique contemporaine de ce pays divisé « entre l’Occident et l’Orient, la liberté et le totalitarisme », de ce pays « polyethnique et polyglotte » (Neda Nejdana). Ce peut être chose faite, grâce à la Maison d’Europe et d’Orient et aux Journées de Lyon des auteurs de théâtre. Cette belle et vaste anthologie « tente tout autant de faire découvrir des auteurs européens majeurs que de parcourir les différentes tendances esthétiques qui composent son paysage dramaturgique, farce absurde, tragi-comédie populaire, lyrisme, légende poétique, farce politique télévisuelle, théâtre d’objets… ». Et elle y parvient, avec ces neuf pièces qui, effectivement, reflètent la diversité d’un théâtre décliné sur tous les tons, et qui sont réparties en quatre sections :
« La catastrophe du siècle » (celle de Tchernobyl – ou Tchornobyl dans la langue originale), un « malheur » pour les uns, une « attraction » pour les autres, comprend deux textes : Au début et à la fin des temps, de Pavlo Arie, caractérisé entre autres par un va-et-vient entre passé et présent, et Les fugitifs égarés, de Neda Nejdana, qui combine dialogues et monologues. Point commun : l’action des deux pièces se déroule dans la « zone interdite », et met en scène le désarroi de personnages qui s’y trouvent et s’y rencontrent plus ou moins volontairement ; en résumé : « Nous sommes tous en errance. ».
Sous le titre « Au temps des changements », sont présentés L’Hymne de la jeunesse démocratique de Serhiy Jadan, Miel sauvage d’Oleh Mykolaïtchouk et En direct d’Oleksandr Irvanets. En commun, là aussi, un désarroi qui saisit les personnages, d’une manière tragique ou absurde, voire humoristique, et qui a pour source les transformations de la vie économique, sociale, sociétale : comment se débrouiller avec ce passage si rapide entre dictature communiste et libéralisme sauvage, entre contrainte collective et liberté individuelle ? Tout cela peut se résumer par le côté absurde d’un néologisme : le « multiplundisme » : « Après la toxicomanie, la prostitution, l’inflation et les interférences, il s’est avéré qu’il caractérise aussi notre société. ».
« Maïdan, une révolution », avec Le labyrinthe d’Oleksandr Viter et En détail de Dmytro Ternovyi, rappelle les événements que tout le monde a en mémoire, vus par des victimes de la répression, de simples témoins plongés dans l’action, voire des objets qui s’animent, qui parlent et qui se confrontent aux tracasseries administratives. Les occupants du Maïdan sont-ils forcément des révolutionnaires ? Non. « Nous sommes des gens normaux et paisibles, qui voulons vivre une vie normale. Parce qu’il y a des droits fondamentaux : le droit à la vie et le droit à la liberté. ».
Les deux derniers textes sont regroupés dans la section « À l’intérieur et au-delà du monde » : une pièce traduite du tatar, Arzy, légende tatare de Rinat Bektashev, où dialoguent, en vers ou en prose, aussi bien des hirondelles que des personnages mythiques comme Ali Baba ; et un « Mystère psychologique en deux actes », L’Évangile selon Lucifer d’Anna Bagriana, où le passé tragique du pays est évoqué par différentes voix, dont certaines rappellent les quatre évangélistes du Nouveau Testament.
Ces 500 pages foisonnantes illustrent la vivacité du jeune théâtre ukrainien, un théâtre qui met en scène aussi bien les soubresauts de l’Ukraine moderne que les drames du passé (stalinisme, « Holodomor » ou « extermination par la famine », lutte contre le nazisme…). Un théâtre dont la variété est symptomatique de l’écriture contemporaine, et qui manie aussi bien le pathétique que la distance humoristique, l’absurde intemporel que la satire politique, une satire qui pourrait concerner plusieurs pays d’Europe orientale et d’ailleurs : « C’était il y a dix ans qu’ils étaient des bandits. Maintenant, ils sont au pouvoir ; députés, hommes d’affaires, et j’en passe. ». Voilà l’un des aspects majeurs du théâtre : un art complexe et complet susceptible de faire réagir.
Jean-Pierre Longre
Les pièces, les auteurs et les traducteurs : Au début et à la fin des temps, de Pavlo Arie; Les Fugitifs égarés, de Neda Nejdana; L’Hymne de la jeunesse démocratique, de Serhiy Jadan; Miel sauvage, d’Oleh Mykolaïtchouk; En direct, d’Oleksandr Irvanets; Le Labyrinthe, d’Oleksandr Viter; En détail, de Dmytro Ternovyi; Arzy, légende tatare, de Rinat Bektashev; L’Évangile selon Lucifer, d’Anna Bagriana. Textes traduits de l’ukrainien, du russe et du tatar de Crimée par Estelle Delavennat, Maxime Deschanet, Iryna Dmytrychyn, Bleuenn Isambard, Shirin Melikoff, Aleksi Nortyl, Iulia Nosar, Ömer Özel et Tatiana Sirotchouk.
http://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presen...
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10/11/2021
La parole brute du théâtre
Eléna Gremina, Mikhaïl Ougarov, Une heure et dix-huit minutes ; Septembre.doc, traduit du russe par Tania Moguilevskaia et Gilles Morel, éditions L’espace d’un instant, 2021
Eléna Gremina et Mikhaïl Ougarov (tous deux nés en 1956 et morts en 2018) combattaient contre les abus et les violences du pouvoir russe. Un engagement concret, constant, pour lequel ils utilisaient « le moyen qui était le leur, la scène » – et ce d’une manière originale, rompant avec les traditions. Les deux pièces publiées ici manifestent cet engagement et cette originalité, puisqu’elles sont en prise directe avec l’histoire récente, exploitant documents et témoignages. Cécile Vaissié, dans sa préface, explique clairement comment est né le Théâtre.doc de Moscou, « l’un des très rares théâtres financièrement indépendants de Russie », et dit comment les deux pièces « illustrent l’approche artistique » de ce théâtre en s’appuyant « sur des matériaux bruts. »
Une heure et dix-huit minutes, qui utilise entre autres documents les carnets et les lettres de Sergueï Magnitski, relate comment celui-ci, en 2009, est mort en prison à la suite de tortures, de mauvais traitements et d’une agonie d’une heure et dix-huit minutes. La pièce se divise en « rubriques » mettant en scène les monologues de personnes réelles accusées initialement par la mère du défunt : juge d’instruction, procureur, directeur et médecins de la prison, tous responsables des souffrances et de la mort de Magnitski, et montrés dans toute leur lâcheté, leur iniquité, tentant de dégager leur responsabilité, à l’image du médecin qui ne se dit plus soumis au Serment d’Hippocrate, mais au « Serment du médecin russe », ou à celle de la juge Stachina, qui nie être un être humain, mais se dit « l’instrument de la volonté de l’État. »
Septembre.doc est un patchwork d’interventions collectées « sur divers forums internet tchétchènes, ossètes et russes » à la suite des événements sanglants survenus dans une école de Beslan (Ossétie du Nord) en septembre 2004 : plus de trois cents morts provoqués par l’intervention des forces armées russes contre des terroristes tchétchènes ayant pris en otages un millier d’enfants et leurs parents. Toutes les opinions, toutes les émotions, toutes les réactions s’expriment de la part d’un population très diverse, Russes, Ossètes, Tchétchènes, Ingouches, musulmans, orthodoxes, athées, progressistes, fascistes, et tous les types de langage, du plus pensé au plus épidermique, du plus respectueux au plus insultant, du plus correct au plus crû, sont reproduits tels quels. Au public de s’y retrouver, de se faire ses idées, de se construire sa propre vérité face à ce puzzle verbal.
Théâtre document, théâtre de paroles, théâtre témoignage ? Théâtre en tout cas percutant, dont le réalisme à l’état brut, poussé jusqu’au bout de l’odieux et de l’absurde, joue pleinement son rôle. L’œuvre d’art engage non seulement les auteurs et les acteurs, mais aussi les personnages et leurs mots fidèlement représentés, et bien sûr les spectateurs ainsi pleinement sollicités.
Jean-Pierre Longre
Autres parutions aux éditions L’espace d’un instant :
Jeton Neziraj, Bordel Balkans, traduit de l’albanais (Kosovo) par Anne-Marie Bucquet
« Bordel Balkans est une réécriture de L'Orestie d'Eschyle, traitée de manière très contemporaine. Agamemnon, chef de guerre sanguinaire, est de retour des champs de bataille de l'ex-Yougoslavie. Il retrouve sa femme, Clytemnestre, qui s'est occupée de leur hôtel-bar « Balkan Express » pendant sa longue absence. Ainsi commence l'enchaînement fatal des causalités liées au destin des Atrides. Énergie kaléidoscopique de cette tragédie musicale où alternent imprécations et lamentations, chants populaires, interludes comiques et commentaires du chœur, en une sarabande effrénée dans laquelle tous les personnages sont entraînés jusqu'à l'incendie final purificateur. »
« Jeton Neziraj est né en 1977 au Kosovo. Dramaturge et scénariste, ses œuvres ont été présentées dans une quinzaine de langues en Europe et en Amérique du Nord, du théâtre national d’Istanbul à La MaMa à New York, en passant par le Vidy à Lausanne et le Piccolo à Milan. Il a été directeur du Théâtre national du Kosovo de 2008 à 2011 et dirige actuellement le Qendra Multimedia, principal pôle culturel indépendant de l’espace albanophone, qu’il a fondé en 2002. Censurée en Chine, son œuvre est très impliquée socialement et politiquement. »
Tyrfingur Tyrfingsson, Quand Helgi s’est tu, traduit de l’islandais par Raka Ásgeirsdóttir et Séverine Deaucourt
« L'écriture de Tyrfingur Tyrfingsson détone, elle est immorale, vivifiante et drôle. Ses personnages ne suscitent pas l'empathie, ils sont des figures dévastées d'une société insensée et corrompue. [...] Dans Quand Helgi s'est tu, on joue sans cesse avec la mort, on ne la respecte pas, on s'en moque. À la morgue, chacun, chacune est face à sa condition humaine. Dans l'entreprise familiale de pompes funèbres, tout est fric et corruption, la mort est un marché comme un autre, et le père et le fils, thanatopracteurs, sont de petits escrocs infantiles. L'image courante de l'Islande, celle d'un pays évolué et solidaire, à la démocratie modèle, avec sa nature sauvage et sa magie mystérieuse, est totalement renversée. »
« Tyrfingur Tyrfingsson est né en Islande en 1987. Il a étudié à l'Académie des arts d'Islande et à la Goldsmiths University de Londres. Sa première pièce lui a immédiatement valu la première de ses cinq nominations aux Griman islandais. Depuis 2011, ses textes sont créés au Théâtre de la ville de Reykjavik et au Théâtre national d'Islande. En français, ses textes ont été présentés à partir de 2018 au Festival d'Avignon, au Théâtre 13 à Paris et à la Mousson d'été. Préface de Véronique Bellegarde. Avec le concours de la Maison Antoine-Vitez et du Centre national du livre. »
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21/08/2021
Illusions tragiques
Ivana Sajko, Bovary, un cas d’exaltation suivi de Le chant de la ville (ce n’est pas pour toi), traduit du croate par Nicolas Raljevic en collaboration avec Miloš Lazin, Prozor, 2021
Ce volume réunit deux pièces dont les sujets sont apparemment bien différents : Bovary, un cas d’exaltation reprend avec le détachement ironique du langage théâtral et de l’actualisation littéraire le roman de Flaubert, ses personnages et leur tempérament, ses péripéties et ses intrigues. Tout y est : la recherche du bonheur, de l’amour idéal, le mépris pour Charles, les relations avec Rodolphe et Léon, les conflits, les commentaires des témoins (Homais, Justin, Lheureux), Emma qui rêve : « Il y a longtemps, j’ai dansé une valse dans le vrai salon d’un vrai palais avec un vrai homme qu’ils appelaient vicomte, et alors le dos en sueur je suis tombée dans un lit, dans la réalité, dans la vie conjugale, dans la cuisine, devant l’assiette d’un ragoût de bœuf, dans le canapé en face de la télé. Je n’allais pas bien. Mon mari m’a dit : « C’est l’alcool », puis : « C’est la dépression » et alors : « Pourquoi ne fais-tu pas un bon somme ? ». Je n’ai pas pu l’écouter. J’ai fermé les yeux et j’ai continué à danser, piétiner à l’aveugle et tourner autour de moi, ne pas penser, juste danser et danser, même si cela devait me tuer. »
Avec Le chant de la ville, nous changeons de contexte – puisque nous sommes directement plongés dans l’actualité –, de lieu – puisque cela se passe dans une grande ville –, de protagoniste – puisqu’il s’agit d’un immigrant qui cherche à survivre dans les rues d’une cité inconnue marquée par l’indifférence et la violence, une cité où « le premier jour est pour toujours » : « tu as senti une peur qui ne te quitterait plus, / car dans cette parie intérieure d’où proviennent les pensées tu as palpé une place vide, / là où devait se trouver une réponse il n’y avait rien, / tu n’avais rien de judicieux à nous dire. / Tu marchais ainsi, sans savoir ce que tu faisais, roulant au bas du trottoir, / témoignais de scènes quotidiennes sans aucune utilité, / nous t’avons regardé à travers les fentes des rideaux flâner dans le voisinage. »
Au-delà des différences de fond et de forme, les deux personnages d’Ivana Sajko ont un même point d’ancrage : l’illusion. L’illusion théâtrale, certes, qui nous place dans la position du spectateur assistant à un jeu scénique tout en sentant bien que ce jeu est celui du réel. Et les illusions d’Emma et de l’immigrant qui, tous deux, se laissent prendre aux miroirs trompeurs d’une vie rêvée. Illusions tragiques, puisqu’au lieu de la vie rêvée, c’est la mort qui les attend au tournant. Et tout cela est d’autant plus prenant que par le truchement d’une écriture à la fois dense et prenante, c’est l’art dramatique qui nous permet de « reconnaître la tragédie dans la foule ». Comme l’écrit l’autrice à propos de la deuxième pièce : « Tout se tient dans le théâtre. Je ne sais pas dans quelle mesure l’art peut se tromper par une véritable tragédie, une véritable frustration, une véritable blessure, mais dans cet espace dans lequel c’est encore possible, ce texte demeure comme un art. »
Jean-Pierre Longre
18:08 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, croate, ivana sajko, nicolas raljevic, miloš lazin, prozor, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
01/08/2021
Descente aux Enfers
Árpád Schilling, Éva Zabezsinszkij, Jour de colère, traduit du hongrois par Petra Körösi, éditions L’espace d’un instant, 2021
« Lève-toi / Et marche ! / Indigne-toi ! / Manifeste pour tes droits ! » Deux infirmières, Niki et Erzsi, manifestent leur colère – ce qui va leur valoir, dans un mouvement ironique de récupération politique, d’être décorées par le ministre en personne. La fierté ne va pas durer, car on s’aperçoit vite que cette médaille n’est qu’un leurre : pas d’augmentation de salaire, suppression du service de néonatologie où travaillait Erzsi, qui se retrouve au chômage et ne va trouver qu’un travail subalterne.
Á partir de là, c’est pour elle la descente aux Enfers provoquée par les « anges » qui l’entourent sous la forme de personnages bien réels : le directeur de l’hôpital, l’ex-mari, le patron escroc etc. Erzsi va se débattre au milieu des difficultés pour tenter d’assurer une vie décente à sa mère Erzsébet et à sa fille Evelin. Elle ne mesure pas ses efforts, et comme lui dit sa mère : « Tu te crèves le cul au boulot pour deux fois rien, et regarde-toi dans une glace comment tu es à quarante ans ! » Pleine de sollicitude pour les autres, elle va connaître, d’étape en étape, de scène et scène, la déchéance et la solitude, jusqu’à la chute.
Il y a la dénonciation politique d’un régime, certes, mais aussi celle du libéralisme sans pitié, qui n’admet pas qu’on ait des états d’âme et qu’on tente d’aider les autres. Une pièce de théâtre engagée, au sens plein et large du terme, percutante, sans grandiloquence et sans concessions. Les couplets de la fin font écho à ceux du début, par exemple : « Remédiez / À la bonté maudite, / À l’épidémie / Des fausses moeurs ! / Détruisez / L’hypocrisie, / L’idole / De la dévotion ! ».
Jean-Pierre Longre
Autre parution aux éditions L’espace d’un instant :
Sarah Fourage, Affronter les ombres
« Dans une petite ville du sud, « aux portes de la Méditerranée », deux femmes se rencontrent sur le parking d’un magasin de bricolage. Quelque chose se tenait là, qui n’y est plus. Une cité tout entière, des logements, des vies, des souvenirs, une mémoire. A-t-on le droit de réveiller un passé hanté par l’horreur de l’Histoire ? Doit-on le taire, tenter de le transmettre ? Librement inspirée de paroles recueillies auprès d’habitants de Lodève, la plupart descendants de harkis, cette fiction théâtrale tente d’évoquer les souvenirs de la Cité de la Gare, où furent logées une soixantaine de familles de harkis en 1962, la création de la Manufacture de la Savonnerie, et l’abandon par la France de ceux qui l’avaient servie. »
"Sarah Fourage est née à Nantes en 1975. Comédienne formée à l’Ensatt à Lyon dans les années 2000, elle se met au service d’écritures contemporaines, comme celles d’Emmanuel Darley, Nicoleta Esinencu, Jacques Rebotier… sous la direction de Dag Jeanneret, Véronique Kapoian, Michel Raskine… Dans le même temps elle écrit une quinzaine de pièces dont la plupart ont été commandées et représentées par différentes compagnies, telles que Délit de Façade, La Fédération, Machine Théâtre… Parmi ses thèmes de prédilection, la construction identitaire, l’inégalité sociale, la quête d’émancipation. Elle vit à Montpellier depuis 2005."
21:54 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, hongrie, Árpád schilling, Éva zabezsinszkij, petra körösi, sarah fourage, éditions l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
25/04/2021
Polyphonie de la révolte
Ivana Sajko, Trilogie de la désobéissance, traduit du croate par Miloš Lazin, Anne Madelain, Vanda Mikšić et Sara Perrin, éditions L’espace d’un instant, 2021.
Devant la violence du monde capitaliste, il y a plusieurs réactions possibles, parmi lesquelles la tentative amoureuse, le repli dans un paradis protégé ou la révolte meurtrière. Les trois pièces d’Ivana Sajko réunies dans cette trilogie illustrent en quelque sorte ces trois attitudes, tout en étant mutuellement reliées par une forme qui ne revêt pas les apparences immédiates du genre théâtral classique, mais qui n’en est pas moins résolument scénique. Comme l’écrit Miloš Lazin dans son introduction, « la parole extrêmement subjective d’Ivana donne au fond la parole au monde. Et le monde est ce qui se produit au théâtre (ou rien ne s’y passe). »
Rose is a rose is a rose (titre inspiré par Gertrude Stein) est un chant d’amour répondant à la violence de la société et des émeutes qui en sont la conséquence, à la violence de l’histoire qui envahit toutes les régions du monde (« Émeute. Émeute. Émeute. Chaque enfant avec une pierre en main. »). Une violence rythmée par des répétitions de mots, de bouts de phrases narratives, par des esquisses de dialogues, une violence à laquelle fait face le silence de l’amour : « Les bourgeons ont éclos en roses. / Rien que pour eux deux. / ET LE MATIN S’EST RÉPANDU. / Plus un mot. Et, eux, ne se sont rien dit. »
Si une rose est une rose, « la pomme n’est pas une pomme », elle est « notre drapeau planté au milieu de leurs ruines. » C’est ainsi que commence la deuxième pièce, Scènes de la pomme. S’occuper de son jardin d’Eden, ce serait se protéger de l’Enfer du monde extérieur. Mais l’ennemi a ses tactiques : « Il s’introduit dans nos rêves, répand la désinformation et l’inquiétude. Il nous assomme à coups d’arguments politiques, brise notre volonté et enlaidit nos femmes. Il pourrait même se faufiler dans notre jardin. » Alors comment attendre la fin ?
La réponse résiderait-elle dans Ce n’est pas nous, ce n’est que du verre, la troisième pièce, qui débute par l’évocation des grandes crises économiques (1929, 2008), et qui se poursuit avec toutes les misères qui en découlent ? « Ils ont dévoré l’allocation familiale, / ils ont vidé le garde-manger, / ils ont rongé tout ce qu’ils pouvaient, / ils ont mâché tout ce dont ils se sont emparés, / […] ils continuent à menacer le budget familial. » C’est ainsi que la violence issue de cette misère risque de transformer les enfants en « Bonnie and Clyde »…
L’esthétique de cette trilogie (comme celle, en général, de l’œuvre d’Ivana Sajko) met à mal la vision traditionnelle de la dramaturgie et fait appel à toutes les ressources, à toutes les libertés de la mise en scène et du jeu théâtral. Ce jeu est tributaire de textes à la fois monologiques et didascaliques, envahis par la poésie qui s’insinue dans le réel de la parole et de la scène. « Savez-vous à quel point il est difficile de jouer cela ? », est-il dit dans la troisième pièce. Partition polyphonique, cette trilogie est une symphonie verbale en trois mouvements, qui laisse la « porte ouverte » à la subversion, aux difficultés et aux bonheurs du théâtre.
Jean-Pierre Longre
Autres parutions récentes aux éditions L’espace d’un instant :
Mîrza Metîn, Gravité, traduit du kurde par Atilla Balιkçι
« Ferhad a fui Şengal, livrée à la barbarie, et tente de trouver son chemin vers l’Occident. À Istanbul, il croise Şêrîn, une Kurde d’Allemagne qui tente de retourner à ses racines. Au moment où ils se rencontrent, le temps s’arrête et leurs coeurs s’emballent. Mais aucun n’interrompt son voyage, car pour chacun d’entre eux c’est une question existentielle. Mais leur parcours est semé d’embûches. Parviendront-ils à se retrouver ? Gravité est un texte basé sur des histoires vraies, qui se concentre sur les tragiques massacres subis par les Kurdes yézidis et les dilemmes rencontrés par les Kurdes de la diaspora. Une histoire d’amour poursuivie par la guerre. »
Gilad Evron, Terriblement humain, traduit de l’hébreu par Jacqueline Carnaud et Zohar Wexler
« Terriblement humain met en scène deux couples de voisins et un médecin confrontés au problème des migrants. Si le premier couple appartient à la bourgeoisie aisée, ouverte sur le monde et a priori éclairée, le second est issu d’un milieu rural, populaire et pratiquant. Le migrant est incarné par un homme noir venu à pied de la Corne de l’Afrique pour témoigner de l’injustice qui lui a été faite et mourir. Quant au médecin, ancien bénévole dans une ONG en Afrique, il ne peut que constater, une fois de plus, son impuissance. »
18:49 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, croate, kurde, hébreu, ivana sajko, miloš lazin, anne madelain, vanda mikšić, sara perrin, mîrza metîn, atilla balιkçι, gilad evron, jacqueline carnaud, zohar wexler, éditions l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
12/04/2021
Survivre ensemble
Andrèas Flouràkis, Je veux un pays, traduit du grec par Hélène Zervas, Exercices pour genoux solides, traduit de grec par Michel Volkovitch, préface d’Ekaterini Diamantakou, éditions L’espace d’un instant, 2020
Andrèas Flouràkis, écrivain et homme de théâtre, est l’auteur de nombreuses pièces au rayonnement international. Les deux œuvres publiées dans ce volume sont de factures différentes, mais relèvent de préoccupations collectives et individuelles analogues : survivre à « la crise économique et migratoire » que la Grèce, l’Europe et le monde connaissent à notre époque. Ekaterini Diamantakou analyse parfaitement ces enjeux dans sa préface, « Une double recherche du pays ».
Pour Je veux un pays, les indications de l’auteur sont on ne peut plus simples, laissant toute latitude au metteur en scène : « Personnages : TOUS. Lieu : PAYS. » S’ensuit, sur plus de quarante pages, une série de courtes répliques qui se suivent et se répondent plus ou moins clairement, prononcées par un nombre indéterminé de personnages dont les gestes et les mouvements sont libres. Émigration, voyage sont au cœur des préoccupations, symbolisés par les valises apportées sur scène. « - Nous sommes arrivés au bord du gouffre. / - Il faut agir. / - Il n’y a pas de place pour nous ici. / - Il faut d’urgence trouver un autre pays. / - Émigrer ? » Résolution, rêves, désirs quasiment poétiques, prières contrecarrées, retours sur le passé, désillusions (« Ce pays qui est venu à la place du nôtre est à pleurer »), espoirs… Tout est théâtralement répertorié, tout peut (re)commencer : « Le commencement est la moitié de tout. »
Dans Exercices pour genoux solides, l’atmosphère est aussi différente que la structure. Quatre personnages (« La femme, L’homme, La jeune femme, Le jeune homme »), quatre lieux (« Bureau de la femme, Bureau de réception, Chambre du jeune homme, Chambre d’hôpital »). On passe très rapidement, sans crier gare, d’un lieu à l’autre, d’un dialogue à l’autre, dans une succession de trente-cinq scènes (ou plutôt séquences) parfois fort brèves. La femme, directrice de société, cherche à licencier l’un ou l’une de ses employés, et recourt pour cela à des procédés inavouables et sadiques, dont l’humiliation morale et physique, tout en cherchant à rééduquer son fils porté sur le fascisme et les jeux vidéo. Son absence se scrupules est total : « Mon chéri, l’argent n’a pas de frontières. Il n’a que des propriétaires. Nous virons des gens parce que nous pouvons le faire. Nous rognons les salaires puisque c’est possible. » Il faut donc avoir « les genoux solides » pour garder son emploi et sa place dans une société rongée par les inégalités, les rivalités, la course à la survie, mais aussi par les menaces politiques et les mystères que chacun recèle en soi.
Deux pièces « engagées », dira-t-on, mais dont l’engagement se nourrit d’une réflexion sans schématisation sur la complexité des âmes, des réactions et des destinées humaines, et s’exprime dans une poésie dramatique aux nombreuses ramifications.
Jean-Pierre Longre
Autres parutions récentes aux éditions L’espace d’un instant :
Wadiaa Ferzly, Gangrène, traduit de l'arabe (Syrie) par Marguerite Gavillet Matar, préface Marie Elias.
« Damas, 2015. Une famille « déplacée » loin des zones de combat. Loin de la maison qu’on a dû abandonner, mais que la mère continue à payer en cachette. Le mari qui perd son travail. Le fils qui sèche les cours, enchaîne les petits boulots et les humiliations. L’arbitraire, la corruption, les privations. La tension de la guerre imprègne le quotidien. La chaleur torride, les rires, les disputes. Et puis le drame. Telle la gangrène, la guerre a ravagé les corps et les âmes. Faut-il rester, s’accrocher à l’espoir de retourner un jour dans sa maison, ou s’endetter encore et prendre le dangereux chemin de l’exil ? Wadiaa Ferzly met en scène avec beaucoup de finesse et d’empathie la vie de ces Syriens victimes de la guerre. »
Jeton Neziraj, Vol au-dessus du théâtre du Kosovo et Une pièce de théâtre avec quatre acteurs, avec quelques cochons, vaches, chevaux, un Premier ministre, une vache Milka, des inspecteurs locaux et internationaux, traduit de l'albanais (Kosovo) par Sébastien Gricourt et Evelyne Noygues, préface Patrick Penot.
« Près de dix ans après la fin de la guerre, le Kosovo s’apprête enfin à déclarer son indépendance. Le gouvernement demande alors au Théâtre national de préparer un spectacle pour le jour J. Mais le metteur en scène est soumis à tant de contraintes incompatibles que l’événement connaîtra de multiples rebondissements…
Le Royaume-Uni vient de sortir de l’Union européenne : il y a une place à prendre et le Kosovo vise à l’occuper avant la Serbie. Il s’agit de remplir au plus vite les critères d’accession, ce à quoi tâche de s’employer la boucherie Tony-Blair à Prishtina. C’est sans compter la corruption des fameux inspecteurs et la mobilisation des animaux… »
Serhiy Jadan, Hymne de la jeunesse démocratique, traduit de l'ukrainien par Iryna Dmytrychyn.
« Kharkiv, les années 90. Tout en continuant à écrire, San Sanytch décide de quitter son travail chez les Boxeurs pour la justice, pour se lancer dans le business. L’idée est d’ouvrir le premier club gay de la ville, sous couvert de « loisirs exotiques ». Un spécialiste du show-biz sur le retour est embauché, tandis qu’un partenariat est conclu avec l’administration municipale, qui en profite pour leur glisser un missionnaire australien dans les pattes, alors qu’il faut repousser les velléités de la mafia locale. Mais l’entreprise tourne au désastre. Derrière cette comédie quasi balkanique, qui conjugue absurde et burlesque, sont évidemment dénoncées l’intolérance et la corruption au sein d’une société post-révolutionnaire qui découvre la liberté et la démocratie à l’occidentale. »
Béla Pintér, Saleté, traduit du hongrois par Françoise Bougeard, préface Béla Czuppon.
« Celle qui n’est pas aimée ne comprend pas vraiment pourquoi elle est « si peu » aimée. Elle blâme le monde pour cette injustice ou encore les gens pour leur apathie, alors qu’en fait tout le monde l’évite à cause de son intelligence émotionnelle aiguë, de son égoïsme et de son étroitesse d’esprit. Et l’éviter est bien ce qu’ils font tous. Ils n’ont pas vraiment envie de lui adresser la parole. Ne pas être aimé est une agonie. Sourcils froncés, on serre les dents, et les mains deviennent des poings. C’est dans des instants comme ceux-là qu’elle devient dangereuse. Elle, qui n’est pas aimée. »
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27/02/2021
Théâtre métaphysique et moral
Raymond Queneau, Monsieur Phosphore (1940), Dessins de Jean-Marie Queneau, Fata Morgana, 2021
De cette pièce inachevée, Raymond Queneau nous a laissé 34 feuillets manuscrits, dont trois comprenant un plan et diverses notes préparatoires, et 31 le texte de l’acte I (6 scènes) et celui de l’acte II, inachevé (3 scènes rédigées).
Les feuillets préparatoires semblent rapprocher cette ébauche de pièce d’une fresque à la fois mythique et historique, mystique et scientifique. Les feuillets rédigés comprennent un début de mise en œuvre de la pièce, avec deux catégories de personnages, les « quatre anges déchus » et les « trois archanges ». Ces trois archanges de la tradition judéo-chrétienne, Gabriel, Raphaël et Michel, sont les interprètes de la volonté divine auprès des anges. Et, toujours selon la même tradition, l’ange déchu est Lucifer. Mais l’originalité réside dans le fait que Lucifer figure la partie dominante d’une trinité angélique et maudite, puisque les trois noms qu’on lui prête habituellement, Satan, le diable et Lucifer, sont incarnés dans la pièce en trois personnages différents. Ainsi la trinité infernale paraît être le pendant symétrique de la trinité divine, mettant Lucifer sur le même plan que le Créateur.
Plus surprenant, le personnage de Monsieur Phosphore. Nouveau et inédit parmi les anges, il est à l’évidence, par son nom, l’équivalent hellénisant du latinisant Lucifer, puisque les deux noms signifient « qui porte la lumière », l’un en grec, l’autre en latin. On ne peut pas non plus, à la lecture de certains passages, ne pas évoquer un jeu avec le verbe « phosphorer », qui dans le registre familier signifie « réfléchir intensément ». Et de fait, le personnage se caractérise par sa propension à la réflexion:
Phosphore: Je ne dis pas cela, mais je cherche à comprendre. J’ai l’esprit si lent.
Le diable à Phosphore : Réfléchis là-dessus.
Ce porteur de lumière à l’esprit pondéré est aussi le plus humain des quatre anges. Humanité d’emblée conférée par le titre de « Monsieur », alors que les autres n’y ont pas droit, et peu à peu confirmée par le tempérament humble et conciliant du personnage. Il est guidé non seulement par un souci d’objectivité, mais aussi par une modestie et des scrupules qui le rapprochent de nombreux personnages romanesques de Queneau. On sait qu’il est le dernier à se rallier à la révolte luciférienne, et que les supplices prévus pour les damnés le laissent horrifié; en outre, un certain nombre de didascalies ou de répliques mettent en avant son caractère profondément humain:
Avec la grande douceur qui lui est essentielle (Acte I, sc. 1).
Je ne suis pas digne (Acte I sc. 4).
Inclinons-nous donc (Acte I, sc. 6).
Il m’a fait tout petit (Acte I, sc. 6).
Je me trouve tout petit (Acte II, sc. 3).
Ange à face humaine, homme à face angélique: cette innocence, cette humilité, cette approche de la perfection ne sont-elles pas caractéristiques de certains héros romanesques de Queneau ? N’y a-t-il pas chez Monsieur Phosphore quelque chose de Jacques l’Aumône, de Valentin Brû et de Pierrot? Il est, parmi les anges de la malédiction, celui qui, avec humanité, porte le flambeau de la sagesse dans les ténèbres du néant.
On pourrait ranger ce début de pièce dans la catégorie générique du drame et, pour être plus précis, du drame « métaphysico-mythologique ». À sujet particulier, genre particulier. Certes, ce texte n’est pas le seul où Queneau aborde le thème de la Création. Mais ailleurs, il le traite d’un point de vue plutôt scientifique et matérialiste. La Petite cosmogonie portative, notamment, écrite entre 1948 et 1950, est un poème scientifique, dans lequel l’histoire de l’homme se réduit à deux vers (sur 1388):
Le singe (ou son cousin) le singe devint homme
lequel un peu plus tard désagrégea l’atome.
Au contraire, c’est la création de l’homme vue sous l’angle mythologique et biblique qui est au centre de Monsieur Phosphore. On peut sans doute relier ce point de vue aux préoccupations métaphysiques que Raymond Queneau manifeste à cette période dans son Journal 1939-1940, où abondent les questions d’ordre religieux. L’annonce de la venue du Christ dans Monsieur Phosphore n’est pas absolument surprenante, compte tenu des tendances mystiques de Queneau à cette époque, mais le point de vue est pour le moins original, puisque cette annonce est placée dans la bouche de l’archange Raphaël, et faite aux anges, au grand scandale de Lucifer:
Raphaël: Entends-moi... oui... Dieu se manifestera dans le Monde par l’intermédiaire de cette Forme...
Lucifer: Blasphème!
Raphaël: Entends-moi... oui... Les deux Natures, divine et humaine, seront un jour réunies...
Lucifer: Blasphème!
Raphaël: Elles éprouveront ensemble la mort. (Actes I, sc. 4)
Mais au-delà des proclamations d’ordre religieux, un examen plus poussé du texte permet de déceler une caractéristique plus constante et plus représentative de la pensée quenienne: une morale de la dualité, que l’on remarque chez la plupart des personnages romanesques, qui ne sont ni anges ni bêtes, ou qui sont les deux à la fois, et qui incarnent l’humilité et l’orgueil, le rêve et la réalité, la vie et le néant, le bien et le mal. Certaines répliques de Lucifer résument la dualité fondamentale de l’homme et de l’univers:
Je lègue à l’homme ces figures où sont tracées les oscillations du Monde, le Haut et le Bas, le Plus et le Moins, [...] l’Identité (et) la Multiplicité. (Acte I, sc. 1)
Je ne regrette rien. Ne faut-il pas que l’œuvre de Dieu s’accomplisse ? Il faut un envers à la trame du monde : nous sommes cet envers. Il faut un Mal pour qu’il y ait un Bien : nous sommes ce Mal. Ainsi nous servirons Dieu. (Acte II, sc. 3)
La leçon de la pièce, dans l’hypothèse de l’achèvement de celle-ci et de l’existence de celle-là, eût sans doute été que l’ange est aussi une bête, que l’Enfer fait partie du plan divin, que le Mal est contenu dans le Bien, que le porteur de la lumière divine est aussi porteur du feu infernal, Phosphore ou Lucifer, vie ou néant.
1940 est aussi l’année de composition du poème intitulé « L’explication des métaphores ». Des thèmes identiques à ceux que l’on vient de relever s’y décèlent aisément, confirmant les préoccupations de Queneau à cette époque:
Car ces dieux sont démons; ils rampent dans l’espace.
Oui, ce sont des démons. L’un descend, l’autre monte.
Mais ni dieu ni démon l’homme s’est égaré.
Si l’on reconnaît en Monsieur Phosphore un type de « sage » quenien, et dans la thématique quelques-unes des grandes préoccupations de l’œuvre romanesque et poétique, l’écriture et la structure, au-delà de l’originalité des situations, sont identifiables. Le soin mis à la forme n’est pas étonnant de la part de Queneau. Ce qui est cependant remarquable ici, c’est que les caractéristiques stylistiques et structurelles soient déjà si élaborées dans un manuscrit ne représentant qu’un début de pièce dont le plan est encore incertain, ou pour le moins susceptible de modifications. Ces quelques pages sont d’un grand intérêt pour qui veut étudier en détail l’écriture théâtrale de Queneau, chez qui on décèle une réelle volonté théâtrale. Le sens dramaturgique de Queneau se manifeste non seulement dans la présentation scénique, les dialogues, les didascalies, la structure, l’écriture, mais aussi dans le véritable souci du spectacle.
Dans cette perspective, et faute (pour l’instant) de véritable mise en scène, les dessins de Jean-Marie Queneau donnent une expression visuelle (au sens plein) et originale aux personnages, en différentes dimensions. Texte et illustrations se complètent ainsi pour faire de cette œuvre inachevée un ensemble complet.
Jean-Pierre Longre
(D’après le livre Raymond Queneau en scènes de Jean-Pierre Longre, Presses universitaires de Limoges, 2005, p. 62 à 67)
19:33 Publié dans Littérature, Mots et images, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, dessins, francophone, raymond queneau, jean-marie queneau, fata morgana, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
05/12/2020
Lucides prémonitions
Lucides prémonitions
Ferhan Şensoy, 2019, Comédie de fiction sans science, traduit du turc par Noémi Cingöz, éditions L’espace d’un instant, 2020
En 2009, c’était une « fiction », comme l’annonçait le sous-titre. Dix ans après, c’est devenu une réalité. « Malheureusement, tout ce que j’ai prédit s’est réalisé », a confié l’auteur au préfacier Cedef Ecer. « Ce ne sont pas des prophéties, tout ça, c’est juste l’intuition d’un auteur. Malheureusement, le texte est aujourd’hui plus parlant que quand on l’a joué, il y a de cela onze ans », poursuit-il. L’anticipation est devenue actualité ; la construction et la tonalité choisies traitent cette anticipation/actualité d’une manière burlesque, ce qui la rend bien plus percutante que tous les articles, manifestes ou essais possibles.
Les dix-huit scènes font intervenir un grand nombre de personnages variés vivant sous le joug de l’islamisme tout-puissant (avec notamment deux personnages dont les prénoms, Mustapha et Kemal, rappellent Mustapha Kemal Atatürk, qui avait fondé dans les années 1920 une Turquie moderne et laïque). Tous sont confrontés à des obligations aussi contraignantes qu’absurdes (« Le vin est un péché », « Se voiler un devoir », « La Turquie est plongée dans ses cinq prières quotidiennes »), et même les publicités télévisées sont consacrées au « tcharchaf » ou aux chapelets… Lorsque la machine administrative est bloquée, « c’est la volonté d’Allah ! », et pour qu’une fillette puisse s’inscrire à l’école, il lui faut un « diplôme d’études coraniques ». Une scène particulièrement désopilante, jusqu’à l’absurde, montre un tournage de série télévisée rendu impossible par les règles religieuses (un homme et une femme ne peuvent pas se toucher les mains, il faut sans cesse s’interrompre pour la prière etc.)…
Le tout à l’avenant, jusqu’au « 29 octobre 2020 », où la situation est inversée (« Fête de la République, paix au Moyen-Orient », guerre civile aux États-Unis…), et où le point final de cette tragi-comédie chante une religion renouvelée : « La religion, un beau poème / Qui n’admet pas les puritains / La religion, un beau poème / Qui n’admet pas les gens malsains ».
Jean-Pierre Longre
Autres parutions aux éditions L’espace d’un instant :
Jeton Neziraj, Peer Gynt du Kosovo et L'Effondrement de la tour Eiffel, traduit de l'albanais (Kosovo) par Arben Bajraktaraj et Valérie Decobert.
« Avec Peer Gynt du Kosovo, voici donc la farce poétique de Henrik Ibsen transposée dans notre Europe du XXIe siècle. Peer Gynt rêve d’un ailleurs de tous les possibles, où il pourra vivre une existence dorée. Il fait donc ses valises, quitte sa mère et son Kosovo natal. Ses aventures le confrontent à des réalités moins heureuses que prévu, sans épuiser sa lumineuse recherche de bonheur et de liberté.
L’Effondrement de la tour Eiffel croise deux histoires sur fond d’extrémisme religieux. L’une à Paris de nos jours, où un amoureux éperdu s’est mis en tête d’enlever tous les niqabs des femmes qu’il rencontre afin de retrouver sa bien-aimée ; l’autre, dans les Balkans sous occupation ottomane, où le soldat Osman est chargé de couvrir les têtes féminines. »
Nâzım Hikmet, Ceci est un rêve, Ferhad et Şirin, Ivan Ivanovitch a-t-il existé ?, traduit du turc et du russe par Noémi Cingöz et Nicole Maupaix. Préface Richard Soudée, illustration Abidine Dino
Ceci est un rêve est une surprenante opérette, dans laquelle l’auteur orchestre avec humour et fantaisie un vaudeville oriental, riche en impostures et quiproquos, intrigues amoureuses et situations burlesques. Les passagers d’une croisière, sous l’effet de quelques cigarettes très spéciales, sombrent dans un rêve tout aussi particulier...
Ferhad et Şirin, écrit en prison, est une histoire d’amour inspirée d’une légende populaire. On y retrouve l’intérêt de l’auteur pour les contes et les thèmes épiques. Ferhad, peintre décorateur, doit, pour retrouver sa bien-aimée, la princesse Şirin, percer une montagne pour amener l’eau jusqu’à la ville, où le peuple meurt de soif.
Ivan Ivanovitch a-t-il existé ? était jusqu’à présent la seule pièce de Nâzım Hikmet à avoir été publiée en français. L’auteur explore le réalisme socialiste, mais toujours avec le même regard critique, contre le culte de la personnalité et le régime stalinien
Nâzım Hikmet, poète et auteur dramatique turc, est né à Salonique en 1902 et mort à Moscou en 1963. Communiste convaincu, amoureux de son pays, il passera sa vie entre l’Union soviétique, en compagnie de Maïakovski et de Meyerhold, et la Turquie, où il est persécuté et emprisonné. En France, son théâtre est encore inédit, mais Mehmet Ulusoy a porté sur les planches un grand nombre de ses poèmes, notamment Paysages humains au Théâtre de l’Odéon à Paris en 1986.
17:56 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, turquie, albanie, ferhan Şensoy, noémi cingöz, jeton neziraj, arben bajraktaraj, valérie decobert, éditions l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
02/09/2020
Brutal désespoir
Dejan Dukovski, Baril de poudre, traduit du macédonien par Frosa Pejovska, éditions L’espace d’un instant, 2020
Né à Skopje en 1969, Dejan Dukovski, figure notoire du jeune théâtre macédonien, est l’auteur d’une bonne vingtaine de pièces, dont les principales sont traduites dans de nombreuses langues, y compris le français. Baril de poudre (1993), représenté pour la première fois en 1994 à Skopje, a fait l’objet, avec succès, d’un film de Goran Paskaljevic en 1999.
La pièce est composée de onze scènes autonomes mais reliées subtilement entre elles, à chaque changement, par un personnage différent formant chaînon. Ainsi défilent des dialogues entre des personnages dont on ne perçoit que quelques caractéristiques et qui s’affrontent dans différents lieux : un bistrot, un train, un autobus, une rue, un parc, et même un hôtel miteux en Amérique… Les coups et les menaces y sont monnaie courante, la rancune ou la jalousie, la faiblesse et la brutalité traduisent un désespoir qui n’est pas seulement circonstanciel, mais qui semble être le fondement même de la destinée des êtres se défendant comme ils peuvent. « Quand je mords, je lâche difficilement. Comme un piranha. » Ou exprimant une nostalgie faite d’émotion et de violence : « J’ai envie d’une soupe de tripes. J’ai envie de fermer deux bars. J’ai envie d’en démolir un et d’aller ensuite me taper une soupe de tripes. J’ai envie d’un chou farci maigre du vendredi et d’un gras, avec de la viande, du samedi. J’ai envie de rester assis pendant des heures sur un tabouret, dans mon quartier, à regarder le coucher du soleil. De ne pas bouger le petit doigt, de leur niquer à tous la cervelle. »
Mais la mémoire est impuissante à redonner la vie et l’espoir. À la scène 1, intitulée « Longue vie ! », répond la scène 11 où reviennent les deux personnages qui s’affrontaient initialement, et qui ferme hermétiquement et pour ainsi dire définitivement la chaîne de la vie. « Qu’y avait-il au commencement ? La bêtise ? La fin ? La vieillesse ? » Mais si les personnages semblent à bout, l’écriture de Dejan Dukovski nous laisse entrevoir leur « épaisseur fascinante », comme l’écrit Stuart Seide dans son introduction. « Ses personnages sont mus par des courants souterrains qui les dépassent, et, peut-être, nous dépassent. », écrit-il encore. C’est à cela, entre autres, que l’on reconnaît le théâtre intemporel.
Jean-Pierre Longre
https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/prese...
17:27 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, macédoine du nord, dejan dukovski, frosa pejovska, éditions l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
20/06/2020
Théâtre : à l’Est du nouveau
Selin Altiparmak, Sivas 93 ; Pavlo Arie, Au début et à la fin des temps ; Bassa Djanikashvili, Angry Bird ; David Kldiachvili, Le malheur ; éditions L’espace d’un instant, 2020
Le moment est enfin venu de profiter des dernières publications de éditions L’espace d’un instant. Des pièces très diverses, toujours préfacées, présentées et traduites avec soin et précision, venues bien sûr de l’Est.
De Turquie : Sivas 93 de Genco Erkal (traduction de Selin Altiparmak), pièce « chorale » qui relate le massacre d’artistes et d’intellectuels turcs, en 1993, par une foule manipulée par les islamistes radicaux.
D’Ukraine : Au début et à la fin des temps, de Pavlo Arie (traduction de Iulia Nosar et Aleksi Nortyl), caractérisé entre autres par un va-et-vient entre passé et présent ; l’action de la pièce se déroule dans la « zone interdite » de Tchernobyl, et met en scène le désarroi de personnages qui s’y trouvent et s’y rencontrent plus ou moins volontairement
De Géorgie : Angry Bird, de Bassa Djanikashvili (traduction de Gery Clapier, Maia Kiashiashvili et Clara Schwartzenberg), où « deux adolescents désabusés manipulent leurs parents respectifs sur fond de conflit confessionnel entre chrétiens et musulmans ».
De Géorgie encore : Le Malheur (traduction de Janri Kachia), dont l’auteur, David Kldiachvili (1862-1931) est l’une des grandes figures classiques de la littérature géorgienne. Replacée dans son contexte historique et littéraire par une préface éclairante de Maïa Varsimashvili-Raphael, la pièce confronte les habitants d’un village qui, devant « le malheur », cherchent à conjurer le mauvais sort, à retrouver l’espoir par les prières, les promesses de solidarité, mais qui finalement n’échappent pas à la querelle, au renvoi mutuel des responsabilités entre le « bas » et le « haut » du village. Une brève tragédie populaire, représentative d’une littérature qui, dans son contexte particulier, retrouve de grands thèmes théâtraux : « la mort, la vie, l’espoir ».
Jean-Pierre Longre
http://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presen...
18:59 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, géorgie, turquie, ukraine, bassa djanikashvili, david kldiachvili, genco erkal, pavlo arie, clara schwartzenberg, gery clappier, maia kiasashvili, janri kachia, selin altiparmak, iulia nosar, aleksi nortyl, bassa djanikashvili yoann lavabre, maïa varsimashvili-raphael, etienne copeaux, bruno boussagol, l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
08/04/2020
Les flammes de la révolte
Alexander Manuiloff, L’État, traduit de l’anglais par Nathalie Bassand, préface de Tim Etchells, éditions L’espace d’un instant, 2019
Le 20 février 2013, Plamen Goranov (dont le prénom signifie « flamme » en bulgare) s’immola par le feu dans sa ville de Varna. Geste fatal de protestation, resté sans explications précises, et sans le retentissement qu’a eu le même type de suicide dans d’autres pays. De ce fait réel, Alexander Manuiloff a tiré une « installation textuelle » dans laquelle le public est sollicité non seulement en tant que tel, mais aussi en tant que créateur du scénario théâtral. Ainsi joue-t-il aves « la Représentation » qui « ne peut pas commencer car il n’y a pas d’acteurs », ou « parce qu’il n’y a pas de metteur en scène », ou encore « faute d’autorisation officielle »… Évidemment, c’est sur ces manques que se construit la fiction.
Et que s’inventent les raisons du sacrifice de Plamen, qui comme beaucoup de ses concitoyens ne se sent pas « représenté ». Ce qui est dénoncé, c’est la corruption généralisée qui gangrène la démocratie (en Bulgarie et ailleurs), une corruption matérielle et « intellectuelle » : « La situation est également désastreuse dans le domaine des arts et de la culture ». Certaines phrases font sentir que cette « représentation » relève de la révolte désespérée, quelle n’a « aucun sens », qu’elle « ne peut rien changer » dans un système ou rien ne change, où rien ne changera jamais (la protestation de l’auteur va d’ailleurs jusqu’au refus d’écrire en langue bulgare, d’où l’emploi de l’anglais).
Mais dans le pathétique de la situation, renforcé par le refrain initial et obsessionnel « Je suis Plamen », se glisse la force de la poésie ; la conscience de la fin volontaire de la vie fait surgir « des odeurs, des couleurs, des variations subtiles dans la voix des gens qui révèlent tant de choses, la musique, le chant des oiseaux, parce que le printemps vient d’arriver. Le vert exubérant des arbres. La vie ». Et c’est au public de lire, de « discuter », de créer « une dynamique de groupe », de vivre tout cela. Je n’en écrirai pas plus, car l’auteur recommande expressément « de ne pas révéler trop d’informations sur le contenu de la pièce par égard pour les prochains spectateurs ».
Jean-Pierre Longre
17:39 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, anglophone, bulgarie, alexander manuiloff, nathalie bassand, tim etchells, éditions l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
08/10/2019
Retrouver les traces de l'essentiel
Patrick Modiano, Nos débuts dans la vie, Gallimard, 2017
Lire, relire... Souvenirs dormants, Gallimard, 2017, Folio 2019
Malgré les errances urbaines qui sillonnent ses livres, malgré la fugacité des personnages et des événements, Patrick Modiano ne laisse pas au pur hasard le soin de bâtir ses récits en forme de puzzles à trous. « Je tente de mettre de l’ordre dans mes souvenirs. Chacun d’eux est une pièce de puzzle, mais il en manque beaucoup, de sorte que la plupart restent isolées. Parfois, je parviens à en rassembler trois ou quatre, mais pas plus. Alors, je note des bribes qui me reviennent dans le désordre, listes de noms ou de phrases très brèves. Je souhaite que ces noms comme des aimants en attirent de nouveaux à la surface et que ces bouts de phrases finissent par former des paragraphes et des chapitres qui s’enchaînent », écrit-il dans Souvenirs dormants.
Marque de cette volonté de guider la construction littéraire : la parution simultanée d’une pièce de théâtre, Nos débuts dans la vie, et d’un récit, Souvenirs dormants, qui se complètent mutuellement et se répondent l’un l’autre. Le même protagoniste, Jean, dont les bribes de vies relatées dans les deux ouvrages ressemblent à ce que l’on sait de l’auteur, avec ses « débuts » dans la littérature, des épisodes biographiques qui en rappellent d’autres, le réveil de « souvenirs » qui ont quelque chose à voir avec un passé plus ou moins connu.
Nos débuts dans la vie est un livre tout entier occupé par le théâtre : dans sa forme bien sûr, mais aussi dans l’art de mettre le genre en abyme : Jean, écrivain débutant, dialogue avec Dominique, qui joue dans La Mouette de Tchekhov (et dont la présence justifie le « nous » du titre) ; de la loge de Dominique, on peut entendre ce qui se passe sur la scène. Dans le théâtre voisin, la mère de Jean joue une pièce de boulevard. Rivalités, jalousie, surveillance et menaces de l’amant de la mère… On pourrait être en plein mélodrame à suspense. Mais il y a la mémoire, les jeux de lumière, la poésie des dialogues, et ce mélange de rêve et de réalité particulier à la prose de Modiano, et qui ici nous fait sortir du cadre du théâtre pour nous mener vers un « hors-scène » onirique : vers la pièce de Tchekhov (et aussi L’inconnue d’Arras d’Armand Salacrou), et vers des lieux parisiens : « Nous marchons tous les deux dans différents endroits de Paris… Nous ne parlons pas, mais je sais qu’elle m’a reconnu… Nous longeons les lacs du bois de Boulogne, et même nous prenons la barque jusqu’au Chalet des Îles… Nous ne disons pas un mot et, dans mon rêve, cela me semble naturel… ».
Ces mots pourraient figurer dans Souvenirs dormants, qui relate une série de rencontres féminines que le narrateur, Jean, toujours lui, a faites dans sa jeunesse, et dont il retrouve les traces souvent fugaces dans sa mémoire et dans ses carnets. Rencontres rassurantes, presque maternelles, sur lesquelles plane l’ombre occulte du guide spirituel Gurdjieff, ou rencontres inquiétantes et mystérieuses mêlant Jean à un meurtre. Rencontres récurrentes aussi, réveillant des souvenirs qui, effectivement, dormaient. Tout cela permet quelques constats sur soi-même, frisant l’auto-analyse : « Au cours de cette période de ma vie, et depuis l’âge de onze ans, les fugues ont joué un grand rôle. Fugues des pensionnats, fuite de Paris par un train de nuit le jour où je devais me présenter à la caserne de Reuilly pour mon service militaire, rendez-vous auxquels je ne me rendais pas, ou phrases rituelles pour m’esquiver […]. Aujourd’hui, j’en éprouve du remords. Bien que je ne sois pas très doué pour l’introspection, je voudrais comprendre pourquoi la fugue était, en quelque sorte, mon mode de vie. Et cela a duré assez longtemps, je dirais jusqu’à vingt-deux ans. ». Là encore, aux souvenirs se mêlent les rêves, dont certains sont précisément rapportés.
Souvenirs réels, souvenirs rêvés… Patrick Modiano continue à fouiller méthodiquement le passé afin de retrouver les traces de l’essentiel.
Jean-Pierre Longre
17:21 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, roman, francophone, patrick modiano, gallimard, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
06/06/2019
« Croire en quelque chose »
Tomislav Zajec, Il faudrait sortir le chien, traduit du croate par Karine Samardžija, préface d’Eugène Durif, éditions L’espace d’un instant, 2018.
Au théâtre, c’est bien simple : le spectateur voit se dérouler sous ses yeux, par le seul intermédiaire de personnes en chair et en os évoluant dans un espace à la fois symbolique et bien réel, une histoire souvent réduite à ses péripéties essentielles. Simple, vraiment ? Pas si sûr, pourrait-on rétorquer. Car c’est bien le langage des personnages (dialogues, monologues, gestes, déplacements), augmenté des éléments scéniques, qui constitue le récit que le spectateur doit construire plus ou moins consciemment dans l’instant de la représentation. Sans compter que souvent ce spectateur est un lecteur…
Et que parfois, un personnage se trouve être à la fois narrateur et acteur du récit. C’est le cas pour « l’homme », le personnage principal de la pièce de Tomislav Zajec. Lorsqu’il prend la parole, il parle de lui-même à la troisième personne, se racontant comme s’il n’était pas là, devant nous, en train d’agir (ou d’attendre), ce qui ne l’empêche pas de dialoguer avec les deux autres personnages : son ex-compagne, qu’il avait quittée brusquement et qu’il retrouve sous un abribus ; son père, ancien traducteur bougon qui doit recevoir une prestigieuse récompense et qui a pour cela besoin que son fils lui achète une cravate… Formulées ainsi, les relations entre « l’homme » et les deux autres personnages semblent anodines, ressassant des détails de la vie quotidienne. Mais justement, ces détails s’inscrivent sur le rideau qui cache et révèle le fond de la scène de théâtre. Le temps, par exemple, va et vient comme pour faire d’un seul après-midi une vie tout entière. Et l’important réside dans ce qui n’a jamais été dit, qui affleure dans les dialogues, les monologues et les questions ; « Le questionnement… Le questionnement est le propre de l’homme. Ta vie entière est un questionnement. Tu dois sans cesse t’interroger. », dit le père.
Certains aveux, certains rêves peuvent alors s’exprimer, sinon s’épanouir ; et la réalité se manifeste, cette réalité que symbolise sans doute la pluie omniprésente, ainsi que ce chien que l’on ne voit jamais, et que « l’homme » doit absolument confier à quelqu’un. Une réalité dont il faut se prémunir (la pluie) ou se débarrasser (le chien) ? Pourtant « il faut bien croire en quelque chose » ; alors, peut-être, « tout ira bien », même si, comme l’écrit Eugène Durif dans sa préface, « les personnages resteront toujours un peu de travers, un peu à côté d’eux-mêmes, dans une distance qui s’abolit un instant, trompeusement. ».
Jean-Pierre Longre
Tomislav Zajec est né en 1972 à Zagreb, en Croatie. Il a suivi un cursus de dramaturgie à la faculté des arts de la scène à Zagreb, où il a ensuite enseigné. Également poète et romancier, il est l’auteur d’une dizaine de pièces de théâtre, traduites dans autant de langues, et principalement jouées dans les Balkans, au Royaume-Uni ainsi qu’en Argentine. Il a reçu à quatre reprises le prix Marin-Držić du meilleur texte dramatique, le plus prestigieux en Croatie, et les premières traductions de ses textes ont déjà été primées par la Maison Antoine-Vitez et les Journées de Lyon des auteurs de théâtre.
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16/07/2018
Recommandations avignonnesques (en off)
Festival Off, Avignon, 2018
Comment pourrait-on tout voir ? Et le pourrait-on qu’on ne le voudrait pas. Car il faut bien le dire, il y a de tout dans le Off (dans le In aussi, d’ailleurs). Contentons-nous de quelques recommandations, selon un choix infime.
Commençons pas Le misanthrope de Molière, valeur sûre s’il en est, mais à laquelle le second titre ajouté, [vs politique], ainsi que la mise en scène et le jeu des comédiens, confère une dimension toute contemporaine. Et là, double surprise : pour une fois (bon, c’est déjà arrivé, tout de même), l’actualisation d’une pièce classique est diablement réussie ; et on s’aperçoit que le texte de Molière s’adapte parfaitement à notre époque et à notre contexte politique. Disons-le tout net : la mise en scène et l’art consommé des comédiens sont pour beaucoup dans ce pouvoir d’adaptation.
Autre genre, autre époque, valeur aussi sûre : Pyrénées ou le voyage de l’été 1843, un texte que Victor Hugo a écrit d’une plume joyeuse et flamboyante, celle d’un touriste qui, partant faire une cure à Cauterets, découvre villages et paysages pittoresques, entre France et Espagne, avec l’enthousiasme de l’explorateur et l’œil du poète – périple et récit brusquement interrompus lorsqu’il apprend par le journal le décès de sa fille tant aimée et de son gendre. Julien Rochefort, sur scène, est un Victor Hugo plein d’ardeur et de sensibilité.
Un autre « grand écrivain » ? Prenez Jean-Luc Lagarce : la substance essentielle de ses pièces est le texte, dans son style à la fois pur et ressassant, direct et allusif, nourri de connotations et d’harmoniques, d’humour et de non-dits, de tragique et de pathétique. C’est évidemment le cas avec Music-hall, récit des débuts d’une troupe théâtrale, auquel Hélène Vautrin, magnifique « Fille » et unique personnage par qui tout passe, donne toutes ses dimensions.
Une autre « fille », dans un autre style (qui tient aussi du music-hall, peut-on dire) : Anne Baquet, une « soprano en liberté » et en pleine forme, dont la voix aux mille possibilités, les drôles de mimiques, les mouvements chorégraphiés, l’humour, l’énergie, le naturel – toutes qualités mises en valeur par la virtuosité pianistique de Claude Collet – donnent un spectacle festif et poétique, clownesque et enchanteur.
Décidément, les femmes seules en scène ont l’air d’avoir la cote. Avec La putain du dessus, le machisme en prend pour son grade – c’est le cas de le dire pour le mari d’Erato, policier brutal et magouilleur qui, pour le bonheur de sa femme, vient de mourir. La veuve pourra être joyeuse, et son monologue est un grand moment de souriante et grave libération.
À recommander aussi : Le projet Poutine, confrontation entre le chef de l’État et sa vigoureuse opposante, plein d’enseignements et de révélations ; L’augmentation, fameux texte de Georges Perec où se côtoient, dans un duo de comédiens parfaitement réglé, l’absurde répétitif, l’humour satirique et l’inflation du langage ; Ma grammaire fait du vélo, où François Mougenot fait avec vivacité la satire du langage à la mode et démonte certains aspects du français.
Tout cela n’exclut pas des dizaines d’autres pièces, malheureusement non vues, mais assurément dignes de l’être. Voir par exemple ici. Bon vent au festival, et à l’un de ses principaux médias, le bouche à oreille…
Jean-Pierre Longre
Le misanthrope (vs politique) de Molière. Collège de la Salle
Compagnie La vallée des arts.
Metteuse en scène : Claire Guyot
Interprètes : Pierre Margot, Aurélie Noblesse, Emmanuel Lemire, Edgar Givry, Youna Noiret, Geoffroy Guerrier, Denis Laustriat, Annick Roux.
Assistante : Anne Rondeleux. Lumière : Laurent Béal.
Pyrénées ou le voyage de l’été 1843 de Victor Hugo. Théâtre La Luna
La Petite Compagnie.
Interprète : Julien Rochefort.
Adaptation et mise en scène : Sylvie Blotnikas.
Lumières : Laurent Béal.
Music-hall de Jean-Luc Lagarce. Artéphile.
Compagnie O3.
Metteur en scène : Florian Simon.
Interprète : Héléna Vautrin
Scénographie : Léa Mathé. Création Lumière : Fabien Colin. Création Musicale : Seb Lanz Voix : Bertrand Beillot, Etienne Delfini-Michel. Costumes : Les costumes de Lie.
Anne Baquet, soprano en liberté de François Morel, Juliette, Chopin, Chico Buarque, The Beatles, Queen. Théâtre du Balcon.
Compagnie Le Renard.
Metteur en scène : A-M Gros.
Interprètes : A. Baquet, Cl. Collet, G. Baumberger.
La putain du dessus d’Antonis Tsipianitis. L’Arrache-Cœur.
Théâtre de la Huchette. Coprod : Dragon8.
Metteur en scène : Christophe Bourseiller.
Interprète : Emilie Chevrillon.
Adaptation : Haris Kanatsoulis.
Lumières : Laurent Béal.
Scénographie : Erwan Creff.
Le Projet Poutine de Hugues Leforestier. Espace Roseau Teinturiers
Compagnie Fracasse
Metteur en scène : Jacques Décombe
Interprètes : Nathalie Mann, Hugues Leforestier
L’Augmentation de Georges Perec. Au Magasin.
Cie des Perspectives.
Metteur en scène : Bruno Dairou.
Interprètes : Antoine Laudet, Antoine Robinet.
Créa. lumières : Baptiste Mongis.
Régie : Héléna Castelli.
Ma grammaire fait du vélo de François Mougenot. Théâtre des Corps Saints
L’Impertinente.
Metteuse en scène : Caroline Darnay.
Interprète : François Mougenot.
Chargée De Production : Stéphanie Gesnel.
Régisseuse : Anne Gayan.
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03/01/2018
« Un triptyque détonnant »
Stefan Çapaliku, Trilogia Albanica, traduit de l’albanais par Anna Couthures-Idrizi, préface d’Ardian Marashi, éditions L’espace d’un instant, 2017
Depuis la chute des régimes totalitaires d’Europe de l’Est, c’est-à-dire depuis plus de 25 ans, la démocratie n’en finit pas d’être en « transition », tant les séquelles de la dictature, la sauvagerie du capitalisme et la corruption endémique étouffent les aspirations des individus et des peuples. C’est particulièrement crucial en Albanie, « le pays actuellement le plus triste d’Europe quoique l’un des plus ensoleillés. », écrit Ardian Marashi dans sa préface, où il présente les trois pièces qui composent la Trilogia Albanica, véritable triptyque qui, sous la forme de la fiction théâtrale, montre une réalité paradoxale que seule l’écriture et, d’une manière générale, la création artistique peuvent transcender.
Trilogie albanaise, donc. Dans I am from Albania, une jeune femme qui se rend régulièrement en mission officielle à l’étranger, est confrontée à l’isolement que lui valent le pays d’où elle vient et sa langue, ainsi qu’à une sorte de dédoublement identitaire et cauchemardesque : « Qui suis-je ? Je ne sais plus. Je peux être moi-même, comme je peux aussi être une autre. Si je continue à être moi-même, c’est clair, je dois me révolter. Mais si, comme je crois comprendre, en réalité je suis une autre, alors la situation dans laquelle je me trouve serait en fait mon état normal, contre lequel je n’ai aucun droit de me révolter ! ». Dans Allegretto Albania, une famille est enfermée chez elle pour échapper à une vengeance, dans la pure tradition ancestrale, en même temps que le monde extérieur se manifeste par les louanges de l’Albanie chantées à la télévision, par l’irruption des instruments du festival « Allegretto Albania », et par l’ironie: « Les politiciens sont en vacances, les mafieux aussi, et le championnat de football est terminé ; donc malheureusement, tout ce qu’il nous reste à présenter aux informations, c’est la culture. ». La scène de Made in Albania est double : en bas, un atelier de couture où sont exploitées des ouvrières qui travaillent pour une marque étrangère ; en haut, la fête du carnaval organisée par le propriétaire de l’atelier. Là encore, au milieu de péripéties diverses (un meurtre, une émission de téléréalité, un accouchement…) et de réflexions désabusées ou ironiques, se révèlent les paradoxes et la dualité d’un monde inachevé.
Les trois pièces mettent en scène des histoires et des personnages différents, mais sont reliées par des thèmes et des motifs qui en font une œuvre cohérente, un tableau unique en trois volets : l’Albanie, bien sûr, avec ses paradoxes ; l’absurde (la condition et la destinée des individus, le langage parfois ionescien) ; le mélange des tonalités (comique, tragique, satirique, pathétique) ; et l’art théâtral, avec ses situations, ses enjeux, ses mots, sa musique. Une musique qui passe par le solo a capella de la première pièce, l’orchestre que représentent les personnages de la seconde, le chœur polyphonique des ouvrières dans la troisième. Tout cela, dans une perspective à la fois esthétique et engagée, forme un ensemble hautement théâtral.
Jean-Pierre Longre
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10/08/2017
L’Espace d’un instant, centième
Milena Marković, La forêt qui scintille, traduit du serbe par Mireille Robin, avec la collaboration de Karine Samardžija, éditions L’espace d’un instant, 2017
Dominique Dolmieu, Bleuenn Isambard, Mouradine Olmez, Vivra, traduit du russe par Bleuenn Isambard , éditions L’espace d’un instant, 2017
En Europe orientale, entre Adriatique et Mer Noire, entre Balkans et Russie, la jeune production théâtrale foisonne. Depuis les années 1990, la liberté de créer se manifeste par une effervescence qui traduit l’espoir, la désillusion, les révoltes, la violence, la force poétique accompagnant les changements et les recherches de repères sociaux, politiques, spirituels, artistiques… La connaissance de cette nouvelle création, nous la devons en grande partie, en France, aux éditions L’Espace d’un instant, rattachées à la Maison d’Europe et d’Orient, fondée par Dominique Dolmieu et Céline Barcq. Les nombreuses traductions de textes théâtraux publiées par cette active maison d’édition, accompagnées de présentations et notices biobibliographiques détaillées, enrichissent singulièrement le répertoire dramaturgique contemporain et sont représentatives des écritures issues de cultures qu’on ne peut plus méconnaître.
La diversité des choix de l’Espace d’un instant se manifeste dans les deux derniers ouvrages publiés, bien différents l’un de l’autre.
Dans La forêt qui scintille, « drame qui commence un soir et se termine au matin », des êtres au passé un peu mystérieux et au présent vacillant (un entraîneur alcoolique, une chanteuse vieillissante, un ancien toxicomane, des jeunes femmes sans doute destinées à la prostitution, leur accompagnateur) se rencontrent dans un cabaret promis à la démolition, aux abords d’une forêt. De leurs dialogues émanent quelques pans de leur passé, des aveux énigmatiques, des non-dits, des querelles anciennes ou récentes… La présence des personnages s’ancre dans une réalité parfois sordide, parfois très humaine, où la laideur des choses peut cacher la beauté : « C’est beau, si beau, la terre, lorsqu’elle donne ses fruits. Quand de la main tu palpes ce qu’elle t’offre sans pouvoir encore y goûter. Tu ressens alors de l’amour, tu as envie de sourire. Elle est là à t’attendre, toi et les tiens, et toutes ces bouches qui se nourrissent de ses bienfaits. ». La pièce entière est parsemée de chansons, de poèmes qui, alternant avec la trivialité ou la violence des paroles échangées, font de La forêt qui scintille (scintillement des âmes de jeunes filles fusillées, dit-on) un texte sensible et fort.
« Théâtre documentaire », Vivra (centième volume publié par L’Espace d’un instant, soulignons-le) représente le procès de Koulaev, unique survivant des preneurs d’otages de Beslan : début septembre 2004, des terroristes prennent en otages plus de mille enfants dans une école d’Ossétie-du-Nord. Un cauchemar de trois jours pour les enfants et les adultes qui se trouvent avec eux, et un dénouement terrible : refusant de négocier sur la Tchétchénie, les autorités russes ordonnent l’assaut de l’école à coups d’armes lourdes, un assaut qui se solde par 334 morts, dont 186 enfants. Le procès de Koulaev est un support permettant d’élargir le champ de la réflexion au système qui a permis cette aberration meurtrière, et à la responsabilité des autorités politiques et militaires. La théâtralisation diversifie les points de vue, les répartit entre les différents acteurs du drame (juge, procureure, avocat, fonctionnaires, militaires, « celle qui reste », représentant les victimes). Tout est rigoureusement relaté, précisément analysé et décortiqué, mais c’est du théâtre, avec tout ce que le genre implique de vérité profonde et d’émotion contenue ou manifeste. Si le mot « sanglot » remplace le mot « scène » (il y en a 13 dans la pièce), tout se déroule sans pathos inutile, mais en déclinant la gamme des sentiments et des attitudes : la colère, la souffrance, l’hypocrisie, l’abjection, l’indifférence, le froid calcul – et dans la bouche de l’avocat des victimes, une promesse : « Tant que nous vivrons, cette mémoire vivra en nous, et nous continuerons à nous battre en son nom. ».
Jean-Pierre Longre
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01/08/2017
Ne pas se perdre entre les remparts
Avignon, Festival Off, 2017
1480 spectacles… Comment s’y retrouver ? Le hasard, le bouche à oreille, les parades de présentation, la critique (pour ce qui a déjà été représenté), les auteurs, les comédiens… Avignon en juillet, c’est un grouillement, un bouillonnement urbain et culturel, un mélange inédit des genres et des populations – et c’est un immense choix, un indispensable tri à effectuer. Quelques pépites ? En voici.
Cour Nord (texte d’Antoine Choplin, adaptation et mise en scène d’Antoine Chalard), met en scène le conflit entre lutte sociale et amour de l’art : le père ouvrier en grève, le fils musicien passionné de jazz. Double combat, double engagement, deux idéaux, un rêve d’avenir pour chacun, deux protagonistes et douze personnages très bien figurés, grâce à de subtils changements a minima, par trois comédiens, Clémentine Yelnik, Antoine Chalard et Florent Malburet.
Théâtre de l’Alizé, Compagnie du midi. www.compagniedumidi.fr
La révolte gronde aussi, et différemment, du côté de chez Jean-Luc Lagarce : Noce (mise en scène de Pierre Note, avec Grégory Barco, Bertrand Degrémont, Eve Herszfeld, Amandine Sroussi, et Paola Valentin) est une implacable fable socio-politique : cinq personnages prétendument invités à une noce n’arrivent pas à y trouver leur place, s’y enfonçant comme dans un cauchemar. La "farce noire" tourne à la leçon cruelle lorsque les rôles s’inversent. La violence des situations est accentuée par l’hystérisation et l’humour méchant de certains rôles. Irrésistiblement tragique.
Théâtre du roi René, Compagnie de la Porte au Trèfle. http://www.porteautrefle.fr
La tragédie, Marguerite Duras l’a pratiquée à sa manière, en s’inspirant parfois de faits divers. C’est le cas avec L’Amante anglaise (mise en scène de Thierry Harcourt). Par le truchement de deux personnages, le mari et un psy/enquêteur/interrogateur, le texte tente de percer les raisons qui ont poussé une femme à commettre un crime sanglant. Judith Magre joue admirablement la folie (ou pseudo-folie) immobile et dérangeante, et ses deux comparses (Jacques Franz et Jean-Claude Leguay) accomplissent à la perfection la quête d’une vérité impossible
Théâtre du Chien qui fume, ID Production. http://www.idproduction.org
Autre genre de thème et de femme : Palatine (texte, mise en scène et scénographie de Jean-Caude Seguin) reprend et adapte des extraits de la correspondance de Charlotte-Elisabeth de Bavière, dite La Palatine (1652-1722), épouse de Monsieur Frère du Roi, mère du futur régent Philippe d’Orléans… et femme d’une franchise truculente, qui n’hésite pas à montrer les dessous les moins nobles de la Cour. La comédienne Marie Grudzinski la fait vivre avec beaucoup de malice, de drôlerie et de réalisme.
Théâtre des Corps Saints, Compagnie Théâtre du Loup Blanc. http://theatreloupblanc.net
Pas de bon théâtre sans un bon texte. Les mots, parfois, peuvent devenir personnages, mis en scène avec malice. Le spectacle de et avec Michaël Hirsch, judicieusement intitulé Pourquoi ? (mise en scène d’Ivan Calbérac), pose avec drôlerie les questions qui se succèdent dans la tête des humains, de l’enfance à la vieillesse. Les mots sont triturés, manipulés, déformés, et bien sûr les questions restent en suspens… On est complice, on rit et on réfléchit. L’essentiel.
Théâtre du roi René, http://www.michaelhirsch.fr
D’autres mots encore, et des trouvailles subtiles et impayables avec Déshabillez mots, nouvelle collection (mise en scène de Marina Tomé). Savez-vous ce qu’est la sérendipité, ou ce que cachent l’oxymore ou le quiproquo ? Saisissez-vous toutes les subtilités du point-virgule, le mal-aimé de la ponctuation ? On en entend, voit et apprend de belles avec ce spectacle où les deux comédiennes et auteures (Léonore Chaix et Flor Lurienne) s’en donnent à cœur et à corps joie, où tout est fignolé (mise en scène, allées et venues, dialogues, inventions verbales, jeux sémantiques, humour…). Beau déshabillage d’une langue française qui ne demande qu’à se laisser faire.
Le Petit Louvre, Templiers, François Volard, Acte 2. http://www.acte2.fr
Jean-Pierre Longre
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14/12/2016
Le jeu de la différence et de l’espoir
Hristo Boytchev, Le colonel-oiseau, Orchestre Titanic, traduits du bulgare par Iana-Maria Dontcheva, préfaces de Bernard Faivre d’Arcier et Marianne Clévy, éditions L’espace d’un instant, 2016
Hristo Boytchev, né en 1950 en Bulgarie, est l’un des grands dramaturges européens contemporains, et les deux pièces que viennent de publier les éditions L’espace d’un instant le confirment. Deux comédies où la folie, le rêve, l’absurde, l’illusion, l’espérance, dans la meilleure manière balkanique actuelle, portent témoignage de la réalité humaine.
Dans Le colonel-oiseau, six personnages sont réunis dans un monastère isolé transformé en « centre psychiatrique régional », sous la surveillance de plus en plus relative d’un docteur nouvellement arrivé. Chacun a pour ainsi dire sa spécialité : voleur impénitent, prostituée repentie, interprète du journal télévisé, Tzigane devenu impuissant, petit homme hanté par la peur de se faire écraser… Nous sommes à l’époque de la guerre en Yougoslavie, et un jour l’ONU parachute par erreur sur le site de l’asile des colis destinés à Sarajevo assiégée, une manne miraculeuse qui permettra de nourrir les pensionnaires souffrant d’une totale pénurie. À partir de là, Fétissov, un Russe qui était jusqu’à présent resté totalement muet, prend les choses militairement en main et transforme la petite troupe en « unité de combat », sous-division de l’ONU ou de l’OTAN, décidée à rejoindre le parlement européen à Strasbourg. Entreprise folle, tragi-comique, dramatique ? Oui, et plus que cela. « Messieurs, mademoiselle ! Vous n’êtes pas fous ! Vous êtes seulement différents des autres ! Vous n’êtes simplement pas faits pour ce monde, car ce monde a été créé pour les gens identiques. […] Il faut s’échapper de ce monde, d’ailleurs, nous sommes déjà en train de le faire, mais en vainqueurs ! On va s’échapper comme des vainqueurs ! Nous allons réussir notre mission, précisément parce que nous sommes différents. ». Telle est, s’il en faut une, la leçon proclamée par Fétissov.
Les gares, lieux improbables de passages, de départs, d’arrivées, d’illusions, de déceptions, sont un lieu romanesque ou scénique souvent sollicité dans la littérature d’Europe orientale (voir par exemple certains romans et nouvelles de Dumitru Tsepeneag ou certaines pièces de Matéi Visniec). Celle d’Orchestre Titanic est abandonnée, mais investie par quatre humains eux aussi « différents », quatre sans-abri qui jouent à quitter cet endroit désert à chaque passage de train. Ils n’arrivent qu’à recevoir les déchets jetés des wagons, jusqu’à l’arrivée de Hari, magicien, maître illusionniste qui les nourrit de promesses (« Vous, vous êtes des élus ! Je vous ai cherchés depuis l’éternité, et voilà que je finis par vous trouver, n’est-ce pas merveilleux ? Et je vous aiderai à faire l’exode vers la Terre promise de votre âme. »), et qui tente de les préparer « intérieurement » « pour la vie là-bas… Là-bas, vous trouverez un monde nouveau et très différent de tout ce que vous avez connu jusqu’ici. Il faut vous préparer à l’assimiler. ». Encore un homme providentiel, qui mènera le petit groupe vers sa destinée…
Pièces métaphoriques aux accents parfois beckettiens, Le colonel-oiseau et Orchestre Titanic sont représentatives d’un style théâtral riche en images, en sensations, en trouvailles verbales, le style d’un auteur qui sait observer les hommes, leur voue une attention particulière dans leur diversité et leur volonté d’arriver à vivre, d’un auteur qui soigne ses textes dans les moindres détails et qui crée un théâtre dans lequel la poésie va de pair avec l’émotion. Du vrai et beau théâtre.
Jean-Pierre Longre
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14/07/2016
Singer les hommes ? Festival off d’Avignon 2016
Franz Kafka / Alejandro Jodorowsky, Le Gorille, mise en scène d’Alejandro Jodorowsky, avec Brontis Jodorowsky, ID Production, Théâtre Les 3 Soleils, Avignon.
Il a le profil, la démarche et le regard simiesques. Mais c’est un homme. En tout cas il l’est devenu, et il se présente devant une docte assemblée pour raconter sa transformation en une conférence autobiographique qui constitue le texte de la pièce. Une pièce où l’on rit, mais d’un rire souvent inquiet, voire angoissé devant la leçon prodiguée par l’ex animal.
L’absurde selon Kafka (qui s’y connaît en métamorphoses) est au cœur du texte : pourquoi accéder à l’humanité ? Pourquoi devenir un de ces êtres agités guidés par l’ambition, la vanité, le goût du pouvoir et toute la violence qui en découle ? N’aurait-il pas mieux valu rester le gorille primitif qui vit sa vie sans se poser de questions insolubles ? Texte drôle et tragique, admirablement servi par un comédien à la présence puissante, à l’étonnant pouvoir de transformation et d’adaptation. Le gorille devenu homme vous salue bien, et gare à lui !
Jean-Pierre Longre
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Dans le grenier de Musset. Festival off d’Avignon 2016
Alfred de Musset / Isabelle Andréani, Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée / La clé du grenier d’Alfred, mise en scène d’ Isabelle Andréani, avec Isabelle Andréani et Xavier Lemaire, Compagnie Les Larrons, Ninon Théâtre, Avignon.
Le spectateur est comblé, puisqu’en un seul mouvement il a droit à deux pièces (qui, il est vrai, se reflètent l’une dans l’autre). Il y a d’abord l’histoire de la servante et du cocher qui, cherchant d’improbables harnais dans le grenier du poète Alfred de Musset, se racontent des anecdotes, se récitent ou se lisent des textes de leur maître admiré, tout en se coulant des œillades significatives, puis deviennent eux-mêmes les personnages de la pièce qu’ils connaissent par cœur et qu’ils se mettent à jouer, Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, avant de revenir dans les dernières secondes à la « réalité » de leur condition et à leurs propres roucoulades.
À deux niveaux différents, double jeu de l’amour, double marivaudage aux résonances romantiques, l’emboîtement du théâtre dans le théâtre est subtil. Il y a, bien sûr, la langue élégamment savoureuse de Musset, mais aussi l’inventivité des situations, le foisonnement du décor et la finesse des jeux scéniques, servis par des comédiens dont le dynamisme, le talent et la complicité sont réjouissants. On se régale.
Jean-Pierre Longre
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Ne rien renier. Festival off d’Avignon 2016
Françoise Sagan, textes choisis par Caroline Loeb, Françoise par Sagan, mise en scène d’Alex Lutz, avec Caroline Loeb, Compagnie On Peut, Théâtre Au coin de la Lune, Avignon.
Dans Je ne renie rien, publié chez Stock, Françoise Sagan se souvient, se confie, se fâche, s’amuse, s’émeut… À partir de ce recueil d’entretiens, Caroline Loeb a composé un monologue tour à tour ou à la fois drôle, sincère, lucide (sur soi, sur les autres), sans concessions (pour soi, pour les autres), passionné, angoissé parfois, et elle l’interprète avec une vivante fidélité.
Dans une mise en scène sobre, dont le jeu des ombres et des lumières met en relief la fragile présence d’une Sagan « toujours sur le fil du rasoir », la comédienne se fond dans son personnage, incarnant ce qui la caractérise le mieux : son langage. Loin de la vision caricaturale qu’avec la complicité de la presse elle a pu donner d’elle-même (la flambeuse, la mondaine alcoolique), elle dévoile ici ses doutes, ses utopies, sa générosité sans faille, sa fibre maternelle, sa considération pour les autres (« Lorsque je regarde quelqu’un, c’est pour le voir, ce n’est pas pour voir dans ses yeux mon reflet »), et ce qui par-dessus tout a guidé sa vie : l’amour de la littérature.
Jean-Pierre Longre
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La petite fille et l’homme simple. Festival off d’Avignon 2016
Bernard Crombey, Monsieur Motobécane, mise en scène de Catherine Maignan et Bernard Crombey, avec Bernard Crombey, Compagnie Macartan, Théâtre du Roi René, Avignon.
La petite Amandine a disparu, et tout le village est en émoi. Accident ? Enlèvement ? Meurtre ? Rien de tout cela. La fillette, lasse d’être maltraitée par sa mère, n’est pas rentrée chez elle après l’école, et s’est réfugiée auprès de « Monsieur Motobécane » - homme sans histoires, qui sur sa mobylette sillonne les routes du coin en quête de bouteilles vides à vendre. Lui aussi est un maltraité de la vie, subsistant dans le grenier de sa maison (sa mère et son pochtron de compagnon se sont accaparés le rez-de-chaussée). L’homme simple et la petite fille n’ont jamais été aussi heureux que rassemblés tous les deux dans leur affection mutuelle, à l’insu de tous, sans arrière-pensée.
Cela, c’était avant. Dans la « chambre à barreaux » de « neuf mètres au carré » où on l’a enfermé pour enlèvement d’enfant, Monsieur Motobécane raconte son histoire, dans sa langue de Picard du terroir (il faut s’y faire, et on s’y fait bien), une langue qui fait ressortir la poignante innocence du personnage, et aussi son authentique intelligence du monde et des hommes. Au-delà de la performance théâtrale et verbale de Bernard Crombey, c’est une émouvante, dramatique et belle leçon de vie que reçoit le spectateur.
Jean-Pierre Longre
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11/07/2015
Cinquante ans de Off
Festival Off d’Avignon, juillet 2015. « Le plus grand théâtre du monde ».
Le premier spectacle « off » d’Avignon, créé par André Benedetto, eut lieu le 10 juillet 1966, en marge du Festival officiel. Premiers pas modestes et fulgurants d’un événement qui, d’année en année, a envahi la ville et les salles disponibles – collèges, chapelles, boutiques, lieux publics, théâtres privés… jusqu’à compter, pour sa cinquantième année d’existence, plus de 1300 spectacles quotidiens venus non seulement des quatre coins de France, mais du monde entier, comme le souligne Greg Germain, président d’Avignon Festival & Compagnies.
Comment le spectateur lambda peut-il choisir ? Comme chaque année, il y en a pour tous les goûts, du « boulevard » au théâtre engagé, du comique au tragique, du classique à l’avant-garde, de l’austérité textuelle à la mise en scène chatoyante, de la lecture à la danse, du mime à la musique… Faire confiance aux noms des auteurs, des troupes, des metteurs en scène, des comédiens ? Se fier à la critique ? Se livrer à la séduction des présentations ? Écouter le bouche à oreille ou les rumeurs de la rue ? En ce début de mois, voici une petite contribution sélective.
Parmi les One-(wo)man-shows, particulièrement adaptés à de petites salles (10 à 50 places), signalons la Lettre d’une inconnue de Stefan Zweig (Présence Pasteur), beau et terrible récit rétrospectif adressé par une femme passionnée à un homme de lettres volage et insoucieux de ses nombreuses conquêtes féminines, parmi lesquelles elle figure en anonyme. Violaine Savonnet, mise en scène par Danielle Latroy-Fuster, restitue sans pathos mais sans concessions la dramatique réalité du souvenir, dans un jeu qui fait passer le personnage par toutes les nuances de l’amour et toutes les facettes du désespoir.
Dans un registre différent, mais toujours dans l’intimité d’un lieu restreint, Mathieu Barbier livre Des nouvelles de Giono (Espace Roseau, mise en scène de Jean-Claude et Marie-Françoise Broche) ; il fait bien mieux que les dire, ces nouvelles : il les joue littéralement, incarnant de sa voix aux sonorités vibrantes et variées plusieurs de ces personnages hauts en couleur des Alpes provençales, avec leur accent, leur franc-parler, leurs non-dits, leur simplicité, leur générosité – leur humanité. Ce faisant, le comédien, de velours côtelé vêtu, fait à merveille redécouvrir la prose rocailleuse et poétique de l’écrivain.
Autre genre, autre sorte de personnage : dans La patiente, Anca Visdei, prolifique dramaturge franco-roumaine, donne à voir et à délicieusement disséquer les entrevues successives d’un psychanalyste avec une patiente plutôt originale, toujours habillée de rouge, refusant de s’étendre sur le divan et mettant à mal la traditionnelle relation freudienne entre les deux types de personnes. L’homme de l’art parviendra-t-il à percer la carapace, à atteindre le cœur d’un personnage qui, tout en la voilant, révèle une vraie sensibilité ? Un sujet sérieux, un texte drôle, traité comme tel par des comédiens talentueux (Sabine Laurent et Yann Loiret mis en scène par Aurélie Goulois).
Le Off d’Avignon ne serait pas ce qu’il est sans les pièces qui donnent le premier rôle à un personnage passant souvent inaperçu tout en étant omniprésent : le langage. Parmi ces pièces, on en recommandera trois.
Si ça va, bravo, de Jean-Claude Grumberg, est une comédie tantôt burlesque tantôt amère à deux personnages (en l’occurrence, deux comédiens réjouissants de complicité malicieuse et de fausse rivalité, Renaud Danner et Étienne Coquereau, mis en scène par Johanna Nizard) qui enchaînent les scènes cocasses, les dialogues de sourds, les jeux verbaux, les réparties inattendues, les situations satiriques et absurdes. Une bonne heure de rire et de méditation sur les richesses et les ambiguïtés du langage et des relations humaines…
Dans le livre intitulé Le cabaret des mots, paru en 2014, Matéi Visniec fait monologuer et dialoguer des mots de toutes sortes. La Compagnie des Ondes, avec trois comédiens pleins de vivacité et de talents variés (Rebecca Forster, Eva Freitas et Aurélien Vacher), a fait parmi ces mots un choix judicieux. Dans Moi le mot (mise en scène de Denise Schropfer, Ateliers d’Amphoux), ça fuse et ça explose, en paroles et en musique… Chaque mot est traité avec drôlerie et intelligence, chaque séquence extirpe la substance poétique de ces petits objets qui deviennent ainsi de véritables personnages.
Jean Tardieu est sans conteste un maître de ce qu’il nomme lui-même La comédie du langage. Dans De quoi parlez-vous ? (Théâtre Buffon), les quatre comédiens Sophie Accard (qui a aussi assuré la mise en scène), Anaïs Merienne, Tchavdar Pentchev et Léonard Prain, multipliant les personnages aux rôles, aux costumes, aux gestes, aux attitudes les plus divers, s’en donnent à cœur joie pour donner au langage verbal ses sens les plus détournés, ses aspects les plus inattendus. Les cinq courtes pièces (Finissez vos phrases, Oswald et Zénaïde ou les apartés, De quoi s’agit-il ?, Le guichet, Un mot pour un autre) le mettent dans toutes les situations, dans toutes les positions. On rit franchement, sans manquer de mesurer sérieusement la complexité des mots.
Il reste deux semaines pour courir à Avignon, où le pittoresque le dispute à la beauté, à la poésie, à l’humour, à la sensibilité. Deux semaines pour voir les six pièces signalées, et bien d’autres encore. Le choix ne manque pas.
Jean-Pierre Longre
Liens utiles :
Lettre d’une inconnue : Présence Pasteur, 13 rue du Pont Trouca. Rés. 04 32 74 18 54
Compagnie Violaine : www.compagnieviolaine.biz
Des nouvelles de Giono : Espace Roseau, 8 rue Pétramale. Rés. 04 90 25 96 05
http://www.mathieu-barbier.com
http://www.roseautheatre.org/spip.php?article28
La patiente : L’Alibi théâtre, 27 rue des Teinturiers. Rés. 04 90 86 11 33
http://www.ancavisdei.com/livres/l-patien.html
http://jplongre.hautetfort.com/archive/2010/08/04/les-deux-soeurs.html
Si ça va, bravo : 3 Soleils, 4 rue Buffon. Rés. 04 90 88 27 33
http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Si-ca-va-b...
Moi le mot : Les Ateliers d’Amphoux, 10-12 rue d’Amphoux. Rés. 04 90 86 17 12
http://jplongre.hautetfort.com/archive/2015/01/25/chaque-...
https://www.facebook.com/compagniedesondes
De quoi parlez-vous ? : Théâtre Buffon, 18 rue Buffon. Rés. 04 90 27 36 89
Compagnie C’est-pas-du-jeu : www.cpdj.fr
http://jplongre.hautetfort.com/archive/2010/08/01/si-simple-et-si-complexe.html
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07/07/2015
Le terroriste et l’échidné
Gergana Dimitrovna & Zdrava Kamenova, Protohérissé (BP : Unabomber), traduit du bulgare par Marie Vrinat, L’espace d’un instant, 2015
Un journal épistolaire tenu par une drôle de bête vivant, semble-t-il, depuis des milliers d’années et qui, s’inquiétant pour son avenir, se révèle être un « zaglossus brujinii ». La disparition d’un homme qui a, semble-t-il encore, fui le domicile conjugal, et l’inquiétude de sa femme qui alerte la police. Les théories de Ted Kaczinski tirées de son manifeste La société industrielle et son avenir. Un scientifique, un enfant qui pousse la chansonnette, « Un homme qui aime regarder la télé », un journaliste, un chœur, un satellite…
Les faits et les personnages semblent se bousculer, mais les auteures annoncent que « le metteur en scène est libre de déterminer le nombre d’acteurs et de distribuer les rôles ». Protohérissé (BP : Unabomber) est donc une pièce qui joue avec les normes du genre théâtral, tout en les respectant : des personnages, des monologues, des dialogues, une progression, le tout paraissant d’abord se côtoyer en un collage de textes autonomes. Peu à peu les individus se révèlent, et se dessine une cohérence, une convergence de l’ensemble, une narration qui combine l’engagement écologique et politique, l’humour et la violence, la culpabilité et l’ironie.
Plongé dans le texte, le lecteur/spectateur se fait aussi auteur/acteur tout en ayant la position du satellite : il « observe le monde, tous les objets et les êtres qui bougent, il enregistre leur mouvement dans l’espace. ». Littérature, spectacle et engagement : un théâtre complet et très actuel.
Jean-Pierre Longre
19:56 Publié dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, bulgare, gergana dimitrovna, zdrava kamenova, marie vrinat, l’espace d’un instant, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |