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Les reliefs de la mémoire (18/11/2014)

Récit, autobiographie, Yves Wellens, Noam Van Cutsem, Ker éditions, Jean-Pierre LongreYves Wellens, Vert bouteille, Ker éditions, 2014 

« Chaque personne est singulière, et c’est bien ainsi. Et son histoire. Et sa mémoire ; et son expression pour la dire. ». Yves Wellens, dans sa postface, ajoute plus ou moins explicitement que l’autobiographie à laquelle il s’est livré dans ce livre, loin d’être un récit gratuit et narcissique, a pour finalité d’explorer la genèse de l’œuvre littéraire – de dire « contre quoi elle devait être construite », après qu’il eut quitté le « vert paradis de l’enfance » (démarquage ironique du « vert bouteille » cher au père).

Cela dit, Vert bouteille est aussi, en soi, une construction qui fonde son esthétique sur ce que Michel Leiris appelait l’authenticité, celle qui commande une narration épousant le rythme du souvenir, les saillies de la mémoire. C’est par touches éparses, par taches mises en relief sur le blanc de la page que l’écrivain raconte la partie de son enfance qui, dans les années 1960 à Bruxelles, a semble-t-il le plus influé sur sa vie et sur son écriture à venir. L’isolement, les malheurs familiaux, les lectures, le cinéma, les violences, la confrontation à l’alcoolisme, à la séparation, à la mort – parfois souvenirs de souvenirs (à propos des grands-parents). Périodiquement, sous l’artifice typographique des caractères italiques, apparaissent des évocations moins personnelles, ou à la fois personnelles et collectives : actualités, livres, émissions télévisées, sport, événements de mai 68 – rien que du tangible, comme des témoins de la vérité.

Cette vérité, c’est bien celle de la « personne singulière » qui raconte et qui se met en scène au milieu des autres (la liste des personnages qui ouvre le livre et les dessins de Noam Van Cutsem donnent un espace quasiment théâtral à la narration). Et la singularité, comment la rendre à la fois dans sa subjectivité et avec le détachement nécessaire à la relation objective ? Par la distorsion grammaticale : première et troisième personnes confondues, « Lui, c’est Je ». Ici, « Je » n’est pas un autre, mais le même qui se raconte en tant que moi et que lui, sujet et objet du récit, observé et observateur, et c’est en cela que la constante et scrupuleuse fidélité à la mémoire construit par tableaux successifs et autonomes l’œuvre littéraire.

Voilà l’un des fondements de l’écriture à venir : dès Le cas de figure, elle se manifeste par une quête qui, sous des allures objectives et lacunaires, procède à l’exploration personnelle de l’humain. On peut ainsi constater que la première œuvre de « Je » est une rédaction scolaire dans laquelle « l’événement important, qui était le thème de l’exercice, n’était ici en réalité jamais vraiment exposé ». Et lorsque le professeur, séduit par ce texte, le lisait devant la classe, « Je gardait la tête baissée » ; l’image est parlante, qui n’occulte pas complètement (et même pas du tout) la tête levée de l’artiste vers la réalité, une réalité que, comme son passé, l’on ne pourra jamais connaître complètement.

Jean-Pierre Longre

www.kerditions.eu   

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