Amateurs et musiciens (10/08/2015)
Alain Gerber, Bu, Bud, Bird, Mingus, Martial et autres fauteurs de trouble, Alter Ego Éditions, 2014
Il ne sera pas fait ici l’éloge d’Alain Gerber ni de son inimitable style. Ce serait superflu. On se contentera de signaler aussi bien aux amateurs qu’aux musiciens (attention, distinguons bien les deux catégories : « le musicien est un homme qui écoute la musique […]. L’amateur n’écoute rien. Il imagine. », et ailleurs : « Il y a des gens que des musiques déjà réelles font rêver : on les appelle des amateurs. Il en est d’autres pour rêver des musiques qui n’existent pas encore : ce sont des musiciens ; parfois leurs rêves deviennent réalités. »), on signalera donc que Bu, Bud, Bird, Mingus, Martial et autres fauteurs de trouble est un abécédaire non balbutiant du jazz dans tous ses états, et qui joue toutes sortes d’airs en partant de Henry « Red » Allen pour arriver à Kenny Werner.
Reprenant des textes publiés çà et là en revues, volumes et magazines divers, y ajoutant quelques inédits, Alain Gerber décline les genres, les compositions, les interprètes, ne se refusant pas au passage à quelques confidences ou pensées personnelles, de même qu’à quelques digressions nécessaires (il peut être question du Facteur Cheval, de Picasso, des buffets de gare, de la mondialisation, de souvenirs personnels – mais c’est toujours, en définitive, pour parler de la musique, de ses mystères et des désirs qu’elle suscite).
Et il y en a pour tous les goûts ; goûts musicaux, oui, mais aussi goûts littéraires : de l’essai au récit, de la critique au poème, du monologue au témoignage, les phrases déroulent les mots comme les mélodies déroulent les notes, et l’on peut se promener dans les pages du livre comme dans les plages d’un disque. On y dénichera toujours quelques-uns des « troubles » dont il est question dans le titre. « Chaque musique, comme chaque individu, est le produit et l’agent d’une mentalité. Dans ces conditions, la rencontre, disons, d’un Français avec le blues et le jazz évoque l’union pittoresque de la carpe et du lapin. Elle repose, en particulier, sur une puissante conjuration de malentendus. Malentendus que les mots dissimulent et dénoncent. Que les mots traduisent et trahissent. Qu’ils sapent et qu’ils renforcent, parfois d’un même mouvement. ». À chacun de rêver sa musique et ses mots.
Jean-Pierre Longre
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