L’or des mots (16/05/2016)
Ghérasim Luca, La paupière philosophale, José Corti, 2016
Chez Ghérasim Luca, la parole poétique est plurielle et singulière, fragmentaire et fluide. On le constate dans tous les recueils à la fois issus du surréalisme et tendus vers la poésie sonore, l’expérimentation et la performance, composés de textes dans lesquels les mots sont plus que des mots : des objets saturés de sons et de sens, répartis dans leurs vers comme des notes sur leurs portées.
Le titre du recueil est celui de la première partie : La paupière philosophale – et c’est déjà tout un programme incluant la manipulation verbale et le jeu sonore. On découvre dans les poèmes (où pullulent les allitérations en « p ») la volonté de « muer le vil métal / en pot-au-feu d’or mental » et de se couler dans une « peau fine / paupière finale / fatale / philosophale ».
Suivent neuf autres mini-recueils consacrés à des pierres précieuses. Non pour les décrire, mais pour tirer de leurs noms, en formules délicates, les riches sonorités qu’ils contiennent (l’opale « avec les pôles d’une pile », le lapis-lazulis « sur la piste du lis », la chrysophrase (chrysoprase ?), « cristal du sophisme / et sopha du phonème », la turquoise, « truc coi et oisif », l’émeraude « comme la mère d’une robe » – ce ne sont que quelques exemples). Avec cela, le poète ne rechigne pas à chanter des refrains enfantins (« turlututus et turlurettes ») ni à se jouer de mots rares comme « ulex », « saphène », « sarrussophone », « thrips », « cynips » et autres termes spécialisés.
Dans une langue épiée, espionnée, triturée, malaxée, remâchée, La paupière philosophale opère une extraction à la fois douloureuse et jubilatoire de l’or des mots.
Jean-Pierre Longre
06:21 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, francophone, roumanie, ghérasim luca, josé corti, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |