Ambitions et illusions (29/09/2021)
Florian Forestier, Basculer, Belfond, 2021
Daniel Fresse a disparu dans le massif des Écrins. Mais par la magie de l’artifice romanesque et du changement de point de vue, nous savons qu’il est tombé dans une crevasse, et que du fond de cette crevasse il retrace les péripéties de sa vie de jeune énarque circulant, malgré sa soif d’aventures lointaines, entre les sphères du pouvoir politique et son intérêt pour des groupes alternatifs, sur fond de crise sanitaire. En début de carrière, il avait comme ses amis des espoirs : « Le désir d’infléchir un tant soit peu les choses et les projets de carrière se mêle en un même avenir, que leur nomination comme sous-directeurs commence à esquisser. » De l’énergie, de l’ambition, des illusions sans doute.
Florian Forestier, qui semble bien connaître ce qui se passe dans les cabinets ministériels français, chez les éminences grises, les attachés, les communicants, nous fait pénétrer avec une once d’ironie dans ce microcosme et ses arcanes. Mais il ne s’agit pas que de faire la satire des arrière-boutiques du jeu politique. Il s’agit de montrer comment le « basculement » s’opère, à l’occasion d’une pandémie et du dérèglement climatique, mais aussi à cause de l’envahissement galopant des réseaux sociaux, où se multiplient les commentaires sur le moindre événement. « Il y a ceux qui trouvent qu’on n’en fait pas assez. Ceux qui s’indignent. Et tous les De Gaulle des réseaux sociaux qui lancent leur petit appel du 18 juin. La plupart se contentent de quelques lignes. » D’autres se répandent longuement, lancent des insultes… À côté de Daniel s’agitent maints personnages, femmes et hommes dont les ambitions sont réelles, bien que diverses, et qui jouent parfois leur réputation et leur vie à tenter de les satisfaire. Vies personnelles et vies publiques s’imbriquent, se répondent, s’entrechoquent – et au-delà du foisonnement de détails sur ces vies et les illusions qui les accompagnent, nous sentons que c’est l’existence humaine qui est en jeu, comme l’existence de Daniel dans sa crevasse.
Avec ce premier roman, Florian Forestier, philosophe suisse qui travaille « sur les enjeux des transitions numérique et écologique », ne se contente pas de mettre ses connaissances au service de la fiction et de proposer un récit où se mêlent réalisme et suspense politico-écologique. Il manifeste un vrai talent littéraire, faisant voisiner l’analyse de la fébrilité sociale et médiatique avec les évocations symboliques et poétiques, urbaines ou montagnardes. « Il a coupé droit à travers les roches qui jalonnent le haut du plateau. Ainsi, il a rejoint un col creusé comme un trône de pierre entre deux falaises. Sous lui, très bas, s’étendent des collines et des bois s’abîmant vers le creux de la vallée centrale. » On bascule d’un monde à l’autre, dans le temps comme dans l’espace.
Jean-Pierre Longre
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