Hollywood, Afrique (19/03/2015)
Marie Darrieussecq, Il faut beaucoup aimer les hommes, P.O.L., 2013, Folio, 2015
Prix Médicis 2013
Dans le monde à la fois excentrique et fermé du cinéma hollywoodien, Solange, la jeune française de Clèves devenue actrice américaine, et Kouhouesso, second rôle dont la figure est cependant notoire, se rencontrent au cours d’une soirée. Cela aurait pu être « Coup de foudre chez George Clooney » – car c’est bien lors d’une réception chez la star que cela se passe. Cela aurait pu être aussi un drôle de roman à clés (outre Clooney, on y rencontre Matt Damon, Steven Soderbergh, Vincent Cassel et quelques autres), ou encore un roman de mœurs, un roman exotique, un roman psychologique…
Bien sûr, ces lectures sont possibles, mais il y en d’autres, plus prégnantes. On pourrait parler de roman d’atmosphères (au pluriel), de roman parodique aussi, jouant avec les stéréotypes auxquels est confrontée l’héroïne : le cinéma, bien sûr, comme un miroir déformant et onirique ; la passion amoureuse, au premier plan, liée à l’attente – celle de l’homme qu’elle aime, qui n’a pas son pareil pour se faire désirer longuement et pour débarquer au moment inattendu ; le couple mixte (femme blanche, homme noir) et les clichés que, nonobstant l’évolution des mœurs et les apparences progressistes, cette alliance véhicule ; l’Afrique, sa chaleur, ses paysages et ses coutumes – où Kouhouesso va tourner Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad.
Dans un style où perce, entre autres, la « petite musique » de Marguerite Duras (à qui l’auteure a emprunté son titre), Marie Darrieussecq construit un récit très personnel, aux allures à la fois théâtrales et cinématographiques, tragédie en cinq actes ou film en cinq grandes séquences précédées d’un « générique » et complétées par un « bonus » (dix ans après…). Mais la différence entre un film ou une pièce de théâtre et un roman, c’est que celui-ci peut diversifier les points de vue, accéder directement à l’intériorité des personnages, mettre des mots sur les comportements et les attitudes, approcher par le verbe les mystères de la vie, les rêves des humains, le sens des silences et la poésie du monde. Tout cela, Il faut beaucoup aimer les hommes y parvient dans une prose à la fois retenue et fiévreuse, sensible et sensuelle, pleine d’images et d’échos, une prose qui laisse de belles traces dans la mémoire du lecteur.
Jean-Pierre Longre
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