« Je ne sais plus pourquoi je meurs » (05/07/2014)
Sorj Chalandon, Le quatrième mur, Grasset, 2013, Le Livre de Poche, 2014
Prix Goncourt des lycéens 2013
Le récit commence sur un rythme essoufflé, violent, dans le sang et la souffrance, et toute la suite du roman est un long retour en arrière haletant – mieux qu’un reportage sur la guerre du Liban, un roman à la fois personnel et collectif, où la réalité se laisse déborder par la fiction narrative.
Georges, un peu étudiant, un peu théâtreux, un peu pion, a participé à toutes les luttes gauchistes et pro-palestiniennes des années 1970, mais vit aussi l’amour et les joies de la paternité. En 1982, il se laisse persuader par son ami et mentor mourant, Sam, Grec et Juif, qui fut victime de la dictature des Colonels et militant de la justice et de la liberté, de partir pour le Liban en guerre prendre la relève de son utopie. Il s’agit de mettre en scène Antigone d’Anouilh et de faire jouer la pièce par des comédiens issus de toutes les religions, de toutes les factions qui se combattent les unes les autres, Druzes, Chiites, Palestiniens, Chrétiens, et ainsi de donner au théâtre l’occasion de mettre un instant entre parenthèses les tirs, les bombardements, les attentats, les embuscades et les contrôles meurtriers, laissant aux acteurs la liberté de tirer au profit de leur cause l’interprétation de leur rôle.
Tout cela est une histoire de combats. Pas seulement ceux qui se déroulent à Beyrouth, mais aussi celui de Sam contre la mort (de son corps et de son projet), celui de Georges en proie à sa lutte intérieure (choisir entre le bonheur simple de la vie familiale et le malheur irrésistible, confinant à la folie, de la guerre fratricide), celui du lecteur contre l’émotion et la rage qui l’étreignent devant le récit des massacres, devant la description du camp de Chatila dévasté par la barbarie aveugle, et celui de la petite Antigone contre le pouvoir de Créon, du devoir fraternel et mortel contre la tentation de la vie ; le choix d’Antigone sera-t-il aussi celui de Georges ?
Sorj Chanlandon, vrai journaliste et vrai romancier, montre ici combien la réalité peut fournir une matière romanesque prenante et terrible, et combien la fiction peut permettre de saisir la réalité et de poser les questions essentielles. De quoi faire résonner la fameuse réplique d’Antigone : « Je ne sais plus pourquoi je meurs ».
Jean-Pierre Longre
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