À voir et à lire (19/05/2010)
Claude Debon
Calligrammes dans tous ses états
« Édition critique du recueil de Guillaume Apollinaire »
Éditions Calliopées, 2008
En avant-première du 12e Printemps des poètes, le samedi 7 mars 2010,
«Calligrammes» dans tous ses états a reçu le Prix Ronsard 2010
Calligrammes est un recueil complexe, dont le titre ne dévoile qu’un aspect, celui des fameux « poèmes dessins », et encore… Il fallait l’immense travail de Claude Debon et de son éditrice pour montrer, au plein sens du terme, cette complexité.
Calligrammes dans tous ses états, livre de grand format, est certes une « édition critique », dont les cinquante premières pages rappellent bon nombre de données indispensables sur l’ancienneté de la tradition (européenne et chinoise) des « poèmes figurés », ainsi que sur les sources livresques et personnelles, dont le goût particulier d’Apollinaire pour le dessin, lui qui n’hésitait pas à écrire : « Il se constitue un art universel, où se mêlent la peinture, la sculpture, la poésie, la musique, la science même… ». L’étude génétique, rigoureuse à tous égards (scientifique, historique, littéraire) n’évite ni l’analyse subtile (sur l’originalité du recueil, sur son double aspect visuel et musical) ni la minutie générique : comment désigner ces textes qui sont en même temps des dessins ? « Idéogramme lyrique », « poème figuré », « poème visuel », « poème à voir », « poème dessin », « poème formel »… ? Pour Claude Debon, « ces hésitations sont à la hauteur de l’innovation, quasiment « innommable » ». Car Calligrammes est un livre résolument moderne, où la recherche de « formes nouvelles » n’entre pas en contradiction avec l’idéal de pureté, voire de dépouillement – ce qui n’a pas forcément été compris lors de la parution, la faveur de la critique ayant porté davantage sur les aspects « classiques » du recueil que sur les « calligrammes » eux-mêmes.
Le dossier (plus de 300 pages) constitue évidemment la part essentielle de l’ouvrage, satisfaisant la curiosité tout azimut en donnant à voir les ébauches, les avant textes, les corrections, les épreuves. Chaque poème bénéficie de toutes les étapes nécessaires à la satisfaction de cette curiosité : versions successives avec variantes, documents iconographiques reproduisant manuscrits et épreuves, notes explicatives, commentaire, bibliographie. On mesure le travail effectué non seulement à l’épaisseur de l’ensemble, mais aussi à l’émotion ressentie devant ces reproductions, l’écriture et les dessins de la main du poète, le papier plus ou moins jauni des épreuves… Quelques exemples au fil des pages : la construction progressive, pour « Paysage », de « la maison où naissent les étoiles et les divinités », ou de celle d’« Océan de terre », bâtie « au milieu de l’Océan », « Maison humide / Maison ardente » ; l’élaboration détaillée de « Cœur couronne et miroir » ; le collage si difficile (à faire, à lire) de la première version imprimée de « La Mandoline l’œillet et le bambou » ; le cahier quadrillé, illustré, manuscrit du premier exemplaire de Case d’armons ; une « Carte postale » de six vers ; la liberté aérienne d’« Éventail des saveurs »…
Cette émotion n’est pas uniquement esthétique (Calligrammes, bel et bien écrit, n’est pas, rappelons-le, un recueil seulement « figuré »), mais littéraire et tout bonnement humaine. Contrairement à ce qu’une lecture partielle et superficielle laisse trop souvent croire, Apollinaire n’était pas belliciste : la « merveille de la guerre » ou le « Dieu que la guerre est jolie » ont entraîné trop de contresens, et Claude Debon, à juste titre, rectifie en écrivant que cette poésie « affirme la continuité d’un élan cosmique : le poète rêve […] d’une conquête totale de l’espace céleste et terrestre ».
Calligrammes dans tous ses états, étude universitaire précise, livre d’une grande beauté plastique et performance éditoriale, ne peut qu’inciter à lire et relire Apollinaire, à sonder sans fin ses poèmes de la guerre et de l’amour, du réel et de l’imaginaire, de la souffrance et de l’exaltation, de l’obscurité et de la lumière, de l’hermétisme et de la limpidité, de la musique et du silence.
11:15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : essai, poésie, francophone, apollinaire, claude debon, editions calliopées, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |