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17/06/2021

Apollinaire vit toujours

Revue, poésie, francophone, Apollinaire, éditions Calliopées, Jean-Pierre LongreApollinaire n° 22, revue d’études apollinariennes, éditions Calliopées, 2021

« Après une longue période d’absence », comme l’écrit l’éditrice Sylvie Tournadre, voici un numéro exceptionnel d’une revue qui, sous la houlette de son comité de rédaction (Jean Burgos, Pierre Caizergues, Claude Debon, Daniel Delbreil, Étienne-Alain Hubert, Gérald Purnelle), garde toujours vivant « le flâneur des deux rives ». Numéro exceptionnel par son contenu, sa densité, sa diversité.

Diversité générique, puisqu’on a le choix : poésie, théâtre, étude de manuscrit, analyse comparative… D’abord un poème « de circonstance » offert par Serge Pey, « Rue des Polinaires » (les « polinaires » étaient « des artisans du métal », comme les poètes sont des artisans de la langue) ; apprécions cet hommage au demeurant très apollinarien, et semé de citations, allusions « clins d’œil » rythmant les strophes. Les pages suivantes présentent le premier acte de Chut, comédie « en vers dégagés » d’André Rouveyre, dont l’action se passe « dans le pigeonnier de Guillaume » et qui, sous les apparences du canular et de la plaisanterie, révèle, comme l’écrit Claude Debon, qui a découvert le texte dans les dossiers de Michel Décaudin, « l’histoire triste, dramatique parfois et en même temps rocambolesque de la publication des lettres et poèmes envoyés par Apollinaire à ses deux égéries, Lou et Madeleine ».

Suivent un article de Jacques Houbert (décédé en 2017) sur le manuscrit de « La Chanson du mal-aimé », relevant des variantes inédites et faisant sensiblement avancer l’édude de la genèse du poème. Puis, par Christa Dohmann, une analyse précise tendant à prouver, citations à l’appui, que Les Exploits d’un jeune don juan est la traduction partielle d’un ouvrage allemand, Kinder-Geilheit / Geständnisse eines Knaben (Lubricité des enfants / Confessions d’un garçon).

La vaste dernière partie est consacrée aux nombreuses informations réunies par Claude Debon : publications, événements, notamment ceux qui se sont déroulés autour de l’année 2018, anniversaire de la publication de Calligrammes et de la mort du poète. Impossible ici de reprendre et de résumer toutes ces informations, mais on peut mettre l’accent sur la Correspondance générale et les Lettres reçues par Guillaume Apollinaire éditées par Victor Martin-Schmets (Honoré Champion, 2015 et 2018) et sur l’impressionnant Dictionnaire Apollinaire, deux volumes publiés en 2019 sous la direction de Daniel Delbreil (Honoré Champion). On le voit, ce numéro 22, particulièrement substantiel et semé d’illustrations colorées, nous donne de belles nouvelles d’un Apollinaire toujours à découvrir.

Jean-Pierre Longre

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17/12/2013

Des revues à foison

Études greeniennes n° 5, Apollinaire n° 14, Cahiers Raymond Queneau n° 3, Éditions Calliopées, 2013

Revue, francophone, Julien Green, Guillaume Apollinaire, Raymond Queneau, éditions Calliopées, Jean-Pierre Longre

Aux éditions Calliopées, une part importante des publications est consacrée à des revues que l’on appellera monographiques, puisque chacune d’entre elles est consacrée à un auteur particulier : Guillaume Apollinaire, Julien Green, Pierre Jean Jouve, Raymond Queneau, Jean Tardieu. Apollinaire, Green et Queneau font l’objet des toutes dernières livraisons.

Le numéro 5 des Études greeniennes, présenté par Marie-Françoise Canérot et Carole Auroy, est largement consacré à des articles précis sur le motif de la nuit dans plusieurs des œuvres de l’écrivain. « S’enfoncer dans la nuit greenienne, c’est […] pénétrer au cœur battant d’un homme et d’un imaginaire », écrit M.-F. Canérot. Le volume se clôt par la fort belle reproduction d’une lettre manuscrite de l’auteur.

Revue, francophone, Julien Green, Guillaume Apollinaire, Raymond Queneau, éditions Calliopées, Jean-Pierre Longre

Le n° 14 d’Apollinaire, revue qui publie régulièrement, depuis plusieurs années, des « études » à la mesure du génie, de l’éclectisme et de la notoriété du poète, est inauguré, après l’éditorial de Jean Burgos, par les « ouvertures » d’un autre poète, Jean-Michel Maulpoix, puis par un texte émouvant de Madeleine Pagès, la fiancée lointaine, présenté par Claude Debon. Suivent des études spécialisées, notamment un article de grand intérêt sur « la musique d’Apollinaire », par Peter Dayan, avant les traditionnels comptes rendus et échos.


Raymond Queneau est, peut-on dire, celui qui peuple le plus Revue, francophone, Julien Green, Guillaume Apollinaire, Raymond Queneau, éditions Calliopées, Jean-Pierre Longreassidûment le catalogue des éditions Calliopées. Le numéro 3 des Cahiers qui lui sont consacrés, sous la houlette de Daniel Delbreil, est consacré à des « déchiffrements » divers : parallèle Queneau-Cioran, études concernant En passant, Pierrot mon ami, le « langage des fleurs », présentation d’un texte de jeunesse sur l’Albanie… Volume particulièrement émouvant, puisqu’il commence en évoquant la mémoire de trois grands « queniens » récemment disparus, Claude Simonnet, Brunella Eruli et Florence Géhéniau.

Revues de spécialistes ? Oui, en partie, avec les exigences intellectuelles et la perfection formelle que cela implique. Mais les études à caractère universitaire voisinent avec des textes, des présentations, des nouvelles, des échos dans lesquels tout lecteur peut trouver son intérêt et son plaisir.

Jean-Pierre Longre

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20/03/2013

Une belle voyageuse. Regard sur la littérature française d’origine roumaine

Parution

littérature,roumanie,francophone,éditions calliopées,salon du livre de paris,bibliothèque georges brassens,jean-pierre longreJean-Pierre Longre, Une belle voyageuse. Regard sur la littérature française d’origine roumaine. Éditions Calliopées, mars 2013.

 

Juillet 1990 : à l’invitation d’une amie née en Transylvanie, Jean-Pierre Longre, après avoir traversé une Europe en pleine métamorphose, arrive en Roumanie, dans ce pays qui vient de sortir d’une longue période de dictatures et de s’ouvrir à la liberté de circuler, de créer, d’accueillir. Frappé, comme d’autres visiteurs, non seulement par l’hospitalité, mais aussi par la francophilie des habitants, par leur connaissance précise de la langue, de la culture et de l’histoire de la France – les livres avaient été pour eux une échappatoire, un refuge, une ouverture vers le passé et l’avenir – il lie amitié avec plusieurs Roumains, de ceux qui le reçoivent à cette époque. Une amitié qui ne s’est pas relâchée, entretenue par de nombreuses visites de part et d’autre. 

EN PLUS DE VINGT ANS, LA ROUMANIE A NOTABLEMENT CHANGÉ, SA LITTÉRATURE AUSSI, COMME LES RELATIONS ÉDITORIALES QUELLE ENTRETIENT AVEC LA FRANCE. CET OUVRAGE EST ISSU DE PLUSIEURS ANNÉES DE FRÉQUENTATION ASSIDUE DE LA LITTÉRATURE ROUMAINE DEXPRESSION FRANÇAISE OU, POUR UNE MOINDRE PART, TRADUITE EN FRANÇAIS, FRÉQUENTATION DONT JEAN-PIERRE LONGRE A TENTÉ DE RENDRE COMPTE DANS DES ARTICLES DE FOND ET DANS DES NOTES DE LECTURE. AINSI EST MIS EN VALEUR LE CARACTÈRE À LA FOIS DURABLE ET DYNAMIQUE DUNE LITTÉRATURE QUI A ENRICHI DEPUIS AU MOINS UN SIÈCLE ET DEMI LE PATRIMOINE FRANCOPHONE ET EUROPÉEN ET QUI CONTINUE À LENRICHIR. TOUT EN TENANT COMPTE DE CETTE DUALITÉ, ON PEUT LIRE UNE BELLE VOYAGEUSE « À SAUTS ET GAMBADES », Y VAGABONDER À LA FAÇON DE MONTAIGNE, SELON LINTÉRÊT DU MOMENT, DUNE MANIÈRE CONTINUE OU DISCONTINUE. À CHACUN SON MODE DE TRANSPORT.

Voir la couverture complète ici: PRINT COUV BV.pdf

En vente ou en commande possible en librairie, ou aux éditions Calliopées

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contact@calliopees.fr, tél. + 33 1 46 42 15 77

11/03/2013

Mots, lignes, couleurs

Illustration, poésie, Madeleine Ravary, Apollinaire, éditions Calliopées, Jean-Pierre LongreMadeleine Ravary, Apollinaire illustré, Éditions Calliopées, 2012

« Admirez le pouvoir insigne         

Et la noblesse de la ligne :

Elle est la voix que la lumière fit entendre

Et dont parle Hermès Trismégiste en son Pimandre. »

Le premier poème, placé sous le signe d’Orphée, suggère la double dimension de ce double recueil : la musique des mots et des vers, la plastique des illustrations.

À chaque poème son dessin aux lignes courbes, aux couleurs abondantes ou, au contraire, en sobre noir et blanc. Le plus souvent, le figuratif se détache sur un foisonnement de volutes ou de lignes simplement suggestives, parfois frisant l’abstraction, parfois tenant du calligramme. Animaux ou êtres humains se glissent discrètement ou s’imposent carrément dans la profondeur de la page. Et comme le proclame l’enchanteur :

                                 « Bêtes en folie… Croyez-moi je vous aime

                                 Et sais le nom de chacune de vous. »

Claude Debon rappelle dans sa préface que Madeleine Ravary a eu de fameux ou d’obscurs prédécesseurs dans l’illustration du Bestiaire, et pratiquement aucun pour ce qui concerne L’Enchanteur pourrissant, et juge qu’« il faut du courage » pour se lancer dans ce genre de travail. C’est vrai. Le courage de se libérer des carcans tout en restant fidèle à la magie des poèmes, Madeleine Ravary l’a eu. Et l’influence chinoise, qui se manifeste ouvertement dans la traduction des titres du Bestiaire, plus secrètement dans les dessins eux-mêmes, n’est pas la moindre preuve de cette fusion entre liberté et fidélité, qui est l’un des propres de l’art.

Jean-Pierre Longre

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13/07/2012

Déroutantes et immuables dislocations

Nouvelle, francophone, Jean Burgos, éditions Calliopées, Jean-Pierre LongreJean Burgos, Anamorphoses, Éditions Calliopées, 2012

Jean Burgos, spécialiste de l’imaginaire en littérature, aurait pu se contenter (si l'on peut dire) de ses brillantes publications universitaires. Avec ce recueil, il va au-delà, puisque c’est sa propre imagination qu’il sollicite, laissant de côté sans les renier les éléments théoriques qu’il a développés dans ses recherches.  

Anamorphose : « Transformation, par un procédé optique ou géométrique, d’un objet que l’on rend méconnaissable, mais dont la figure initiale est restituée par un miroir courbe ou par un examen hors du plan de la transformation. – Image résultant d’une telle transformation. » (Dictionnaire Le Robert). Les mondes que l’auteur donne à explorer sont peuplés d’êtres mouvants dont les transformations et les dislocations, effrayantes ou pitoyables, détestables ou déroutantes, ne peuvent laisser indifférent, puisqu’elles concernent l’homme dans sa propre apparence et dans sa propre chair, ainsi que le monde grouillant et bestial qui peuple la réalité invisible. Une réalité qui tient du rêve, de l’hallucination, du cauchemar, mais aussi de la création universelle et de la vie quotidienne, qui projettent leurs ombres et leurs reflets déformés sur la perception qu’en a le genre humain.

La pénétration dans ces mondes, au cours des sept nouvelles du recueil, ne peut se faire qu’en suivant avec de perverses délices et une fidélité à toute épreuve les méandres d’une prose savamment élaborée, parsemée de termes rares et d’images insolites, une prose qui suit elle-même l’itinéraire labyrinthique que lui imposent des destins inattendus, inoubliables et définitifs. Cela dit, le grouillement descriptif, le fourmillement narratif et les surprises qu’ils ménagent n’occultent pas la sagesse résignée : « On n’a plus rien à espérer. On n’a plus de prestige à sauver ni de mode à défendre, plus de rang à tenir, plus de rôle à remplir ni de pudeur à vaincre ; on n’a plus rien à comparer et les saisons pourront se suivre. Le temps est là, il faut l’user, il faut danser la même danse pour ne plus jamais s’arrêter : ce sont partout mêmes visages qui n’ont plus de morts à masquer ».

Jean-Pierre Longre

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30/12/2011

De Valentin à Raymond

Revue, essai, francophone, Raymond Queneau, Oulipo, éditions Calliopées, Jean-Pierre LongreCahiers Raymond Queneau n°1, "Quenoulipo", Éditions Calliopées, 2011

Il y a eu, jusqu’en 1986, la première série des Amis de Valentin Brû ; puis les Cahiers Raymond Queneau, et une nouvelle série des Amis de Valentin Brû ; dorénavant, l’écrivain a repris la place du personnage et la nouvelle série des Cahiers Raymond Queneau, toujours sous l’égide de l’association des Amis de Valentin Brû, est publiée par les éditions Calliopées, maison qui a l’expérience des ouvrages sur Queneau et des revues diverses (Apollinaire, Cahiers Jean Tardieu, Études greeniennes).

Tout cela, Daniel Delbreil, directeur des publications, le rappelle à bon escient dans son éditorial, avant de laisser la place à Astrid Bouygues, responsable de ce numéro 1 consacré aux rapports entre Queneau et l’Oulipo (bien normal, puisque, comme chacun le sait, l’auteur de Cent mille milliards de poèmes fur cofondateur de l’Ouvroir, qui a fêté récemment ses 50 ans). Alors on a invité du beau monde, de belles plumes qui représentent différentes générations, différentes manières, différents types de relation au père (ou grand-père)… Paul Fournel, qui affirme justement : « Il n’est pas étonnant que chaque oulipien ait « son » Queneau et en fasse le meilleur usage » ; puis Frédéric Forte, Ian Monk, Jacques Jouet, Michèle Audin, Michelle Grangaud, Harry Mathews, Daniel Levin Becker, qui se sont tous soumis aux contraintes de l’écriture oulipienne et/ou mémorielle ; sans oublier, exhumés et présentés par Bertrand Tassou, des textes inédits de Jacques Bens, oulipien historique.

La vocation première des Cahiers Raymond Queneau est, comme on s’en doute, l’étude de l’œuvre quenienne. Après la création, donc, priorité aux universitaires : Camille Bloomfield mesure et analyse avec une précision scientifique les rapports Queneau–Oulipo, Virginie Tahar examine de près les rapports intertextuels entre les mêmes, et Astrid Bouygues fait part des relations oulipiennes entre les écrits de François Caradec et Raymond Queneau. Comptes rendus et échos divers closent, comme il se doit, un volume qui ne manquera pas de ravir un public déjà conquis, mais aussi de conquérir un public potentiel.

Jean-Pierre Longre

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Pour commander ou s’abonner :

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25/10/2011

Chaos bien ordonné

Nouvelle, francophone, Patrick Ledent, éditions Calliopées, Jean-Pierre LongrePatrick Ledent, À vos caddies !, Éditions Calliopées, 2011

Dans son précédent recueil (Joli coup), Patrick Ledent avait révélé un vrai talent de conteur. Voilà qui se confirme sans conteste dans À vos caddies !. Et le mot « recueil » n’est pas anodin : les vingt nouvelles, encadrées par des « Prolégomènes » et un « Envoi », bouclent un itinéraire plein de surprises, qui mène le lecteur d’une envolée satirique (le monde de la consommation) à l’autre (le monde du travail), d’un cimetière au même cimetière, à Nice où sévissent des vampires très humains. La vie, mort comprise…

Les surprises ? Elles sont multiples et variées : un drôle de restaurant où se cache une drôle de lolita, l’étrange rencontre d’une tulipe et d’un enfant, les illusions d’un tueur en série, les découragements d’un employé de bureau, les ruses d’une élégante de casino… des accidents bizarres, des hasards suspects, des rencontres inattendues…

Pour réaliste que soit le monde dans lequel évoluent les personnages et surgissent les événements, le lecteur se laisse volontiers transporter vers l’imprévu, et la verve de l’auteur y est pour beaucoup. Car le suspense s’assortit d’une écriture alerte, d’une prose séduisante où se profilent parfois quelques silhouettes familières, telle celle de Queneau qui passe comme une discrète figure tutélaire. On se laisse mener avec délices par le bout du nez pour s’évader à loisir, poussant devant soi une provision de références rassurantes et d’inventions délicieuses, dans un chaos bien ordonné. « Mais c’est dur, le chaos. Alors, pardon, je compense. Je mets de l’ordre, me réinvente, vous réinvente. Invente tout court, puisqu’on est frères. Des petites histoires. Je fais comme tout le monde, je fais comme vous : je creuse. Une évasion, ça commence par là ».

Jean-Pierre Longre

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09/05/2011

Mieux vaut rire ?

Essai, Raymond Queneau, François Naudin, Editions Calliopées, Jean-Pierre LongreFrançois Naudin, Les terreurs de Raymond Queneau, Essai sur les 12 travaux d’Hercule, Calliopées, 2011

 

« Plus Queneau entend rire et faire rire, plus redoutables sont les éléments que ce rire entreprend d’escamoter ». Voilà le théorème qui conduit François Naudin à s’interroger, en prenant principalement comme points d’appui le poème « Je crains pas ça tellment » et le texte « Une trouille verte », mais aussi en observant plus généralement et très précisément l’œuvre entière.

 

Les terreurs de Raymond Queneau est un livre à la fois savant et personnel, parfois désespéré – forcément, vu le sujet – mais pas toujours. Dans sa teneur et dans sa forme, il dénote une parfaite connaissance des écrits, et même de ce que l’on peut savoir de l’homme Queneau, de sa vie, de ses préoccupations, de ses lectures. En même temps, il témoigne d’une relation intime, voire secrète, avec le monde quenien. 

 

François Naudin veut être clair, mettant en œuvre une sorte de didactisme qui conduit le développement. Mais il n’oublie pas le sourire, par exemple dans les titres du genre « Le pot de fleurs et le manque de pot » ou « Notre père qui êtes absent ». Ce qui ne l’empêche pas d’examiner, très sérieusement, le rôle joué par la lecture dans la lutte contre la culpabilité et, en regard, la transposition de l’anxiété dans la création artistique, d’émettre l’idée d’une écriture comme art de la duplicité, de la dissimulation ou de prendre position sur ce que certains appellent les « crises mystiques » de l’auteur, en parlant plutôt de « crises spirituelles, à la rigueur »…

 

Terreurs de l’homme Queneau, terreurs de l’auteur Queneau, terreurs de ses personnages, tout cela à la fois ? Les questions ont le mérite d’apparaître au grand jour, montrant que rien n’est simple chez lui, même si tout se lit avec plaisir. Il faut aller voir au fond des choses, sans arrière pensée, sans a priori, et c’est ce que fait avec beaucoup d’à-propos et de finesse François Naudin.

 

Jean-Pierre Longre

 

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12/02/2011

Animaux littéraires

Essai, roman, francophone, Pascal Herlem, Jean Echenoz, Editions Calliopées, Jean-Pierre LongrePascal Herlem, Les chiens d’Echenoz, précédé d’un Avertissement de Jean Echenoz, Calliopées, 2010

« Le chien littéraire constitue une race à part entière ». Voilà qui est clairement énoncé. Fort de cette vérité, Pascal Herlem trace sa route, explore, hume, flaire, s’arrête, écoute, repart, examine les écrits d’Echenoz jusque dans leurs moindres recoins, à travers le « maillage serré » d’une œuvre dans laquelle « le sens peut circuler dans toutes les dimensions possibles ». Auparavant, il aura pris soin d’étayer son point de départ : le chien est partout dans la littérature, aussi bien chez Alphonse Allais que chez Maupassant ou Tchekhov – et pas seulement chez La Fontaine, Buffon ou Jules Renard… Une mention spéciale pour Queneau, à la fois « chêne » et « chien »… Le chien est donc bien « littéraire », mais aussi « locutif », et le rappel de quelques expressions courantes intégrant l’animal métaphorique nous rafraîchit plaisamment la mémoire.

 Alors se déroule, avec un sérieux humour pince-sans-rire, suivant une méthode imperturbable et infaillible, une « echenozographie canine » qui nous apprend beaucoup sur les chiens, sur l’écrivain, son oeuvre et ses personnages, mais aussi sur le monde et la condition humaine. En psychanalyste chevronné, en critique averti, en lecteur avisé (épithètes interchangeables ad libitum), Pascal Herlem parcourt les romans d’Echenoz selon une progression qui ne laisse rien au hasard. Après les « chiens de langue » (mentions allusives, comparatives, indirectes, fragmentaires) viennent les chiens « culturels », auxquels on se réfère pour retrouver « un certain équilibre du monde », puis les « chiens-objets », métaphores des choses de la vie, et l’on arrive au plat de résistance avec les chiens-personnages : les « petits seconds rôles » et « rôles de figurants » suscitant le sentiment d’abandon ou imposant leur utilité dans la garde des habitations et des fermes ; les chiens identifiables à leur race et/ou à leur nom – ce qui nous vaut des considérations animalières très documentées sur, par exemple, l’histoire des molosses ou l’origine des danois ; enfin, les chiens reconnaissables non seulement à leur race et à leur nom, mais aussi à l’identité de leur maître – faveur qui leur confère, à eux surtout, des fonctions précises : percer les secrets de l’âme humaine, assurer « une critique sociologique de première grandeur ».

Si l’auteur nous dévoile « l’art si particulier d’écrire en chien » d’un Echenoz qui, de son propre aveu, ne savait pas qu’il connaissait cette langue, s’il nous embarque dans certaines des « énigmes de l’univers romanesque d’Echenoz » (celle de Titov, entre autres, dans Nous trois), c’est à l’évidence pour mieux nous faire connaître les hommes, et pour nous faire deviner différents cheminements possibles à travers l’œuvre de l’un des meilleurs romanciers de notre époque. La route canine ouvre d’autres routes, à partir desquelles s’en entrouvrent d’autres encore, et ainsi de suite. Grâce à Pascal Herlem, nous avons plus de chances de nous rapprocher du « lecteur complet » qu’imagine Jean Rousset dans Forme et signification, ce lecteur qui, « tout en antennes et en regards, lira l’œuvre en tous sens, adoptera des perspectives variables mais toujours liées entre elles, discernera des parcours formels et spirituels, des tracés privilégiés, des trames de motifs ou de thèmes qu’il suivra dans leurs reprises et leurs métamorphoses, explorant les surfaces et creusant les dessous jusqu’à ce que lui apparaissent le centre ou les centres de convergence, le foyer d’où rayonnent toutes les structures et toutes les significations ».

Jean-Pierre Longre

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15/06/2010

Promesses tenues

COUV_UNE_APO_7.jpgApollinaire n° 7, éditions Calliopées, 2010

À propos du premier numéro, paru en 2007, j’écrivais : « On pourrait dire que ce numéro 1 met les choses en place ; mais pas seulement : par sa tenue et sa teneur, il offre d’emblée aux lecteurs d’Apollinaire (présents et futurs, spécialistes et amateurs, étudiants et chercheurs) des points de vue à  la fois nouveaux et ouverts sur les textes et leurs commentaires, et en appelle d’autres à foison. De quoi entretenir le "beau navire" de la mémoire et entonner sans cesse des "chants d’universelle ivrognerie" ».

Depuis trois ans, le « beau navire » poursuit son périple. Sept numéros ont été publiés avec régularité, opiniâtreté, et la qualité des articles y est toujours excellente. Cette dernière livraison, par exemple, continue l’exploration (entamée dans les numéros précédents) de « l’année allemande » qui, inaugurée par un dossier biographique sur le « touriste » Apollinaire par Michel Décaudin (il reste décidément, même à titre posthume, la référence), fait la matière principale du volume : études de Gerhard Dörr, Louis Brunet, Pierre Caizergues, Kurt Roessler, avant une analyse du Bestiaire ou Cortège d’Orphée par Anna Saint-Léger Lucas, puis les comptes rendus et informations bibliographiques ou événementielles.

Le monde et l’œuvre d’Apollinaire, matière poétique inépuisable… Cette belle « revue d’études apollinariennes », d’une qualité scientifique indiscutable et désormais reconnue, a toujours de l’avenir.

Jean-Pierre Longre

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19/05/2010

À voir et à lire

couv-calligrammes.jpgClaude Debon

Calligrammes dans tous ses états

« Édition critique du recueil de Guillaume Apollinaire »
Éditions Calliopées,  2008


En avant-première du 12e Printemps des poètes, le samedi 7 mars 2010,
«Calligrammes» dans tous ses états a reçu le Prix Ronsard 2010

Calligrammes est un recueil complexe, dont le titre ne dévoile qu’un aspect, celui des fameux « poèmes dessins », et encore… Il fallait l’immense travail de Claude Debon et de son éditrice pour montrer, au plein sens du terme, cette complexité.

Calligrammes dans tous ses états, livre de grand format, est certes une « édition critique », dont les cinquante premières pages rappellent bon nombre de données indispensables sur l’ancienneté de la tradition (européenne et chinoise) des « poèmes figurés », ainsi que sur les sources livresques et personnelles, dont le goût particulier d’Apollinaire pour le dessin, lui qui n’hésitait pas à écrire : « Il se constitue un art universel, où se mêlent la peinture, la sculpture, la poésie, la musique, la science même… ». L’étude génétique, rigoureuse à tous égards (scientifique, historique, littéraire) n’évite ni l’analyse subtile (sur l’originalité du recueil, sur  son double aspect visuel et musical) ni la minutie générique : comment désigner ces textes qui sont en même temps des dessins ? « Idéogramme lyrique », « poème figuré », « poème visuel », « poème à voir », « poème dessin », « poème formel »… ? Pour Claude Debon, « ces  hésitations sont à la hauteur de l’innovation, quasiment « innommable » ». Car Calligrammes est un livre résolument moderne, où la recherche de « formes nouvelles » n’entre pas en contradiction avec l’idéal de pureté, voire de dépouillement – ce qui n’a pas forcément été compris lors de la parution, la faveur de la critique ayant porté davantage sur les aspects « classiques » du recueil que sur les « calligrammes » eux-mêmes.

Le dossier (plus de 300 pages) constitue évidemment la part essentielle de l’ouvrage, satisfaisant la curiosité tout azimut en donnant à voir les ébauches, les avant textes, les corrections, les épreuves. Chaque poème bénéficie de toutes les étapes nécessaires à la satisfaction de cette curiosité : versions successives avec variantes, documents iconographiques reproduisant manuscrits et épreuves, notes explicatives, commentaire, bibliographie. On mesure le travail effectué non seulement à l’épaisseur de l’ensemble, mais aussi à l’émotion ressentie devant ces reproductions, l’écriture et les dessins de la main du poète, le papier plus ou moins jauni des épreuves… Quelques exemples au fil des pages : la construction progressive, pour « Paysage », de « la maison où naissent les étoiles et les divinités », ou de celle d’« Océan de terre », bâtie « au milieu de l’Océan », « Maison humide / Maison ardente » ; l’élaboration détaillée de « Cœur couronne et miroir » ; le collage si difficile (à faire, à lire) de la première version imprimée de « La Mandoline l’œillet et le bambou » ; le cahier quadrillé, illustré, manuscrit du premier exemplaire de Case d’armons ; une « Carte postale » de six vers ; la liberté aérienne d’« Éventail des saveurs »…

Cette émotion n’est pas uniquement esthétique (Calligrammes, bel et bien écrit, n’est pas, rappelons-le, un recueil seulement « figuré »), mais littéraire et tout bonnement humaine. Contrairement à ce qu’une lecture partielle et superficielle laisse trop souvent croire, Apollinaire n’était pas belliciste : la « merveille de la guerre » ou le « Dieu que la guerre est jolie » ont entraîné trop de contresens, et Claude Debon, à juste titre, rectifie en écrivant que cette poésie « affirme la continuité d’un élan cosmique : le poète rêve […] d’une conquête totale de l’espace céleste et terrestre ».

Calligrammes dans tous ses états, étude universitaire précise, livre d’une grande beauté plastique et performance éditoriale, ne peut qu’inciter à lire et relire Apollinaire, à sonder sans fin ses poèmes de la guerre et de l’amour, du réel et de l’imaginaire, de la souffrance et de l’exaltation, de l’obscurité et de la lumière, de l’hermétisme et de la limpidité, de la musique et du silence.

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26/04/2010

Coup d’essai, coup de maître

couv-jolicoup.jpgPatrick Ledent, Joli coup. Éditions Calliopées, 2009.

 

 Patrick Ledent est un disciple d’André Blavier, lui-même disciple de Raymond Queneau. Filiation de grand prestige, difficile aussi, qui exige la maîtrise des mots, de l’écriture et de la construction narratives, la mainmise sur les personnages, sur leurs gestes et leurs réactions, le sens du rire, avec tout ce qu’il montre et qu’il sous-entend…

Les dix-sept nouvelles du recueil répondent à ces exigences, pour le grand plaisir du lecteur ; plaisir d’une lecture savoureuse, d’une délicieuse cruauté distillée par le suspense, les retournements de situation et les dénouements inattendus. Le « joli coup » final conclut parfaitement les « coups » précédents ourdis par certains personnages, par les narrateurs ou tout simplement par l’auteur et le destin dont il dispose à sa guise.

L’art du récit s’assortit en outre d’un goût patent pour les leçons humaines qui, sous l’apparence de la méchanceté, recèlent une véritable lucidité. Les faits quotidiens, les souffrances, les plaisirs, la vie, la mort sont relatés avec le sourire sans concessions des moralistes, et le tout pourrait se prêter à une belle analyse sociologique. Les gens ordinaires qui peuplent ces nouvelles, victimes ou comploteurs, trop bons ou trop mauvais, naïfs ou machiavéliques, nous ressemblent étrangement, et en même temps ils nous échappent, comme s’ils illustraient ce dont nous serions capables si nous osions aller jusqu’au bout de nos désirs. En attendant, pas d’hésitation : allons jusqu’au bout de ce coup d’essai prometteur.

 

 Jean-Pierre Longre

 

Editions Calliopées : www.calliopees.fr

25/04/2010

Les enchantements du poète

couv-lenchanteur[1].jpgJean Burgos

Apollinaire et L’Enchanteur pourrissant, genèse d’une poétique.

Éditions Calliopées, 2009.

 

En 2008, les éditions Calliopées publiaient le très beau Calligrammes dans tous ses états de Claude Debon. Décidément à la pointe des études apollinariennes (n’oublions pas la publication régulière de la revue Apollinaire, qui a déjà à son actif six numéros), la même maison a récemment publié un autre beau livre grand format, Apollinaire et L’Enchanteur pourrissant de Jean Burgos, spécialiste des rapports entre poésie et imaginaire.

 

Même si celui-ci avait déjà, dans une édition critique de 1972, commenté L’Enchanteur pourrissant, il estime à juste titre devoir revenir sur l’ouvrage à l’occasion de l’acquisition par la BNF du premier manuscrit de l’œuvre, et en profite pour élargir cette étude génétique à la « genèse d’une poétique ».

 

Placé dans son contexte médiéval, vu comme un « théâtre d’ombres » à caractère poétique, le premier ouvrage qu’Apollinaire a publié (en 1909), mais qui l’a préoccupé toutes les années suivantes, est montré comme une œuvre en élaboration incessante, comme une série de « gammes » figurant peut-être « l’histoire même de la création apollinarienne ». La description et l’analyse du manuscrit, mais aussi de brouillons abandonnées, de feuillets isolés, de dessins, de cahiers et de carnets permettent d’envisager une perspective poétique, et la reproduction complète du document, dans la dernière partie du livre, donne au lecteur toute latitude pour se frotter lui-même à l’analyse.

 

Jean Burgos consacre aussi des chapitres à la réception de l’œuvre, à la création et à la publication du Festin d’Esope, « revue des belles lettres » dans laquelle Apollinaire fit paraître son Enchanteur pourrissant, à celles de Couleur du temps, drame qui trahit un « changement profond ». Les pages intitulées « Pour une nouvelle lecture de L’Enchanteur pourrissant » révèlent en tout cas l’implication personnelle, intime, profonde d’Apollinaire dans son œuvre, dévoilant une « poétique à l’œuvre ». Parallèlement, on s’aperçoit, grâce à ce nouveau livre, que les études apollinariennes sont toujours un chantier riche de nouveautés.

 

Jean-Pierre Longre

Editions Calliopées : www.calliopees.fr