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"Le maillon rompu" (04/05/2011)

9782260018094.jpgLionel Duroy, Le chagrin, Julliard, 2010. Rééd. J'ai lu, 2011.

Pour Michel Leiris publiant L’âge d’homme, l’ombre de la « corne de taureau » qui guette le torero représente le danger qu’encourt l’autobiographe lorsqu’il se donne pour règle de dire « la vérité, rien que la vérité ». L’écriture est alors un « acte » qui pèse lourdement sur les relations de l’auteur avec son entourage, et donc sur le destin de cet auteur. Là s’arrête l’analogie entre l’ouvrage de Leiris et celui de Lionel Duroy : la construction, le style, l’intention même sont différents. Mais dans les deux cas, l’expression la plus fidèle, la plus sincère possible des souvenirs est un risque délibérément encouru, voulu par la nécessité de la libération personnelle.

De 1944 au début des années 2000, des origines parentales à la création d’une nouvelle famille, les souvenirs de William Dunoyer de Pranassac (alias Lionel Duroy) se succèdent au rythme de ce qui a marqué, voire bouleversé son existence, à commencer par les traumatismes de l’enfance, entre un père en permanente cessation de paiement, une mère dont les rêves mondains déçus provoquent chez elle des dépressions périodiques et une ribambelle de frères et sœurs élevés au gré des circonstances. Une enfance chaotique, marquée par les disputes des parents, une scolarité lacunaire, des bonheurs fugitifs sans lendemains. Puis viennent les voyages, les amours, les ratages, la paternité, le journalisme, l’écriture…

Cette écriture, qui n’est pas simplement narration – histoire de raconter sa vie pour se satisfaire et satisfaire la curiosité des lecteurs – retrace une évolution personnelle qui, certes, ne manque pas d’intérêt : des complexes enfantins à une certaine assurance, de l’extrême droite familiale à la gauche bon teint, de la soumission à la révolte.  Il y a aussi la quête minutieuse du vrai, les documents et les photos palliant les défaillances de la mémoire, le doute et les questions, loin d’être occultés, se faisant même moteur de la recherche. Mais l’écriture est au premier chef, et en dernier lieu, le moyen de survivre. Lorsqu’en 1990 paraît Priez pour nous, c’est la rupture avec toute la famille, parents, frères et sœurs, neveux et nièces : l’auteur s’est livré à la « corne de taureau » en allant jusqu’au bout du règlement de comptes avec sa mère, et c’est au prix de cette brouille qu’il peut poursuivre son chemin.

Le chagrin est en quelque sorte le roman d’un regard sur soi, le roman d’une autobiographie sans concessions : Lionel Duroy raconte comment il en est arrivé à composer une œuvre de révolte, comment il est devenu « le maillon rompu, celui sur lequel s’est cassée la chaîne ». Récit violent et tendre à la fois, plein d’une émotion à peine bridée par l’écriture.

Jean-Pierre Longre

www.laffont.fr/julliard

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