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La contagion Queneau (09/05/2011)

essai,francophone,raymond queneau,jean-pierre martin,gallimard,jean-pierre longreJean-Pierre Martin, Queneau losophe, Gallimard, « L’un et l’autre », 2011

Quel présomptueux, ce Jean-Pierre Martin ! se dit-on. Le voilà qui, non content de publier trois livres quasiment en même temps*, se targue d’avoir été élu « meilleur lecteur de son œuvre » par Queneau lui-même, d’avoir entretenu avec lui une correspondance anthume et posthume aussi abondante qu’intime, d’être en quelque sorte le filleul du maître – que dis-je, le filleul : son égal, son conseiller, « sa chance » même ! Autant dire que sans Martin, Queneau n’existerait pas… Bon, tout ça, c’est pour de rire. Un peu. C’est en tout cas pour dire combien le lecteur se sent en phase avec un auteur qu’il admire depuis belle lurette.

Qu’il admire et qu’il comprend, autant qu’on puisse comprendre ce qui se trame derrière l’apparente fantaisie et la multiplicité des facettes qu’avec la discrétion qui le caractérise  l’ami Raymond présente à ses observateurs. De même que Jean-Pierre Martin cache sous un ton plaisant une rigoureuse analyse de la « pensée » quenienne, de même Raymond Queneau cache sous le rire communicatif, la myopie sympathique et l’ironique légèreté de ses personnages une gravité tenant à la fois à la réalité de la souffrance et à la profondeur de la réflexion. Il y a bien une « correspondance » entre les deux auteurs, mais une correspondance qui dépasse la fiction des lettres échangées pour atteindre les secrets que recèle le travail littéraire. 

Là, il faut bien en venir à la « losophie », qui est, disons, « la philosophie corrigée par le rire, le burlesque, le quotidien et le principe de relativité », ou encore ce qui « emprunte les formes de la littérature pour donner voix à une nébuleuse de pensées et de méditations qui n’ont place dans aucun système » (car, tout de même, « ça ne rigole pas toujours, la losophie »). Bref, pour plus de précisions sur ce concept, on lira avec profit le chapitre intitulé « Morceaux de losophie », sorte de petite anthologie mettant en bonne place quelques œuvres choisies comme Gueule de Pierre, Le Chiendent ou Les Derniers Jours. C’est cela : revenons-en toujours à l’écriture, à la langue, aux textes ; il nous est donné là une belle occasion de relire ceux-ci avec un regard renouvelé.

En mettant l’accent sur les relations intimes qu’il entretient avec Raymond Queneau, Jean-Pierre Martin procure un plaisir contagieux, tout en définissant mine de rien mais sérieusement les tendances (phi)losophiques de l’écrivain, et en livrant une vraie biographie littéraire et orientée de celui avec qui il rêve de faire du tandem sur la côte normande et à qui il n’hésite pas à dire : « Vous avez joué vos tripes tout en laissant tomber la musique guimauve, ce pourquoi on ne vous a pas toujours compris ».

Jean-Pierre Longre

* Outre Queneau losophe : Les liaisons ferroviaires, Éditions Champ Vallon, 2011 (voir ici) ; Les écrivains face à la doxa, essai sur le génie hérétique de la littérature, Éditions José Corti, 2011 (voir ).

www.gallimard.fr

http://jeanpierremartin.net

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