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Paradoxes et vérité (26/09/2014)

Russell Banks, Lointain souvenir de la peau. Traduit de l’américain par Pierre Furlan, Actes Sud, 2012, Babel, 2013

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Premier paradoxe : aux États-Unis d’Amérique, les délinquants sexuels condamnés puis libérés ne doivent pas sortir des limites de leur comté, et ont interdiction de résider à moins de 800 mètres d’un lieu susceptible d’être fréquenté par des enfants (école, bibliothèque, centre de loisirs etc.). En Floride, dans le comté de Calusa (nom sous lequel ne se cache pas vraiment celui de Miami), quelles solutions leur reste-t-il ? L’aéroport, les marais ou le viaduc qui relie la ville à la mer, et sous lequel vit effectivement une colonie de parias.

Second paradoxe : le Kid, 21 ans, bracelet électronique à la cheville, fait partie de ces parias, et a planté sa tente sous ce viaduc. Pourtant, il est vierge. Son addiction au sexe, qui le tient depuis l’enfance, est purement virtuelle, passant par des sites internet qui n’ont aucun secret pour lui ; la seule incursion qu’il a faite dans le monde réel n’a été qu’une tentative minable, un lamentable piège, et lui a valu sa condamnation. Vierge sexuellement, il l’est aussi socialement ; sans attache parentale, ses seuls amis sont un iguane, puis une chienne et un perroquet ; ses compagnons d’infortune ne sont que des voisins plus ou moins clochardisés, puis ou moins sympathiques, obéissant au « chacun pour soi » des exclus. Frotté à la dure réalité, le Kid perdra sa naïveté, aura l’occasion de mettre son intelligence à l’épreuve, de toucher du doigt la complexité de l’existence : « À présent, lentement, il commence à se rendre compte qu’il pourrait ne pas être quelqu’un d’exceptionnel mais qu’au moins il a une importance par le simple fait d’être qui il est, qu’en réalité il n’est pas comme la masse de l’humanité telle qu’elle était à ses débuts, comme ces gens dont la vie entière, tout ce qu’ils décidaient de faire ou de ne pas faire, était déterminée par des facteurs extérieurs, par les conditions et les circonstances de leur naissance et par les gens qu’ils trouvaient là pour les accompagner dans leur vie ».

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Cette démarche et cette transformation sont déclenchées par l’arrivée dans la vie du Kid d’un étrange personnage, le « Professeur », qui dans le cadre de ses recherches sociologiques s’intéresse particulièrement au jeune homme. Sans dévoiler les mystères de son propre passé ni les secrets de son présent, le « Professeur » parvient à faire parler son protégé, à lui faire prendre conscience de la vie, des sentiments, des relations humaines, mais aussi de la difficulté, voire de l’impossibilité de connaître la vérité, comme il est impossible de savoir si le trésor des pirates de jadis est vraiment caché quelque part.

Voilà une des questions centrales de ce grand roman : peut-on croire sans savoir ? « Ouais, bon, moi, il faut que je sache si cette histoire est vraie ou pas. Parce que s’il s’agit juste de croire, je peux aller d’un côté comme de l’autre. Et si je vais d’un côté, mon « comportement humain » sera pas le même que si je vais de l’autre et vice versa. Quel que soit le côté où je vais, j’aurai peur que ce soit pas le bon côté, et mon comportement humain sera pas bon non plus. On est pas dans un roman ou un film, tu comprends, où des conneries de ce genre n’ont aucune importance puisqu’à la fin on sait ce qui s’est réellement passé ». Dernier enchaînement de paradoxes : Lointain souvenir de la peau est bien un roman, mais un roman qui interroge la réalité sans forcément trouver de réponse, une fiction que l’on peut ranger dans la catégorie du réalisme social, mais qui met en avant les mensonges d’une société disparaissant sous les illusions du monde virtuel des écrans d’ordinateurs. « Ce qu’il sait pourtant, c’est que si rien n’est vrai, alors rien n’est réel. La logique le lui dit. Et si rien n’est réel, alors rien n’a d’importance ».

Jean-Pierre Longre

www.actes-sud.fr   

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