« Voir un peu de la vraie vie » (18/05/2023)
Paul Fournel, Le Livre de Gabert, P.O.L., 2023
C’est à Chamoison (village imaginaire mais conforme à la réalité), en Haute-Loire (département bien connu de Paul Fournel) que Gabert, écrivain ventru lassé de Paris et des prix à payer pour y survivre, s’est retiré pour « écrire à pas cher » et développer son imagination pleine de visions fantastiques et monstrueuses. Sa vie s’organise, entre l’écriture nocturne de « polars ruraux » et la fréquentation progressive des gens du village, dont il découvre bon gré mal gré les habitudes, voire les petits secrets. Il fera même un peu l’écrivain public bénévole pour des courriers administratifs ou des lettres d’amour. Lors de ses déjeuners quotidiens dans le bistrot de Tréport, il rencontre les hommes importants du village jouant à la belote, discutant foot et télé… Côté féminin il y a Lune, qui fréquente assidûment les mâles et qui aime se promener dans la campagne avec Gabert, Lola, la voisine éleveuse de brebis et sa fille Magali, une Zazie rurale, qui vient très souvent au logis de Gabert se faire raconter des histoires.
Il faut dire que l’auteur a de la suite dans les idées et le sens du pittoresque humain. On retrouve dans Le Livre de Gabert des personnages bien connus des lecteurs de Paul Fournel : la grosse Claudine et ses propos acerbes, la veuve Waserman qui habite dans son garage, les frères Bandelmas et leur manège, d’autres encore, croisés dans Les grosses rêveuses, Foraine et ailleurs. Une vraie Comédie Humaine… Et puis, très important : Gabert retrouve Jeune-Vieille (Geneviève), amie d’enfance et collègue en écriture, qui fut la protagoniste d’un roman précédent – où d’ailleurs nous croisâmes Gabert. Ils se revoient à plusieurs reprises, passent ensemble de beaux moments d’amour, et parlent livres et éditeurs.
Car le roman est pour Paul Fournel une nouvelle occasion (sinon le propos essentiel) de nous faire pénétrer dans le monde mystérieux de l’édition. Écrire des romans noirs à petit succès, cela va un moment ; mais Jeune-Vieille est persuadée que son ami peut aller plus loin. Tandis qu’elle va chercher la gloire ailleurs, elle le confie à Robert Dubois, éditeur à l’ancienne, comme on l’a su dans un roman précédent, La Liseuse : « Geneviève m’a conseillé de te lire et de te faire écrire le contraire de ce que tu écris pour te tirer hors de tes routines et t’aérer la tête. Elle est sûre que tu caches un bon livre quelque part en toi et que tu dois le faire sortir. « Un livre d’amour », m’a-t-elle dit, le livre de Gabert. » On ne le connaîtra pas, ce livre ; on saura seulement qu’il l’écrira le jour, contrairement à ses romans noirs, et qu’il s’agira de « raconter juste ce qu’il voit, repousser ce qu’il imagine. » « Voir un peu de la vraie vie. Pendant trop longtemps, il n’avait pas su débusquer le mouvement dans l’immobilité, traquer le bruit dans le silence. Et puis, peu à peu, c’est ce monde qu’il ne voyait pas qui est venu se construire et s’imposer dans son livre. » Pour peu, on dirait bien que Le Livre de Gabert est « le Livre de Fournel ».
Jean-Pierre Longre
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