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Confrontations et affection (27/01/2025)

Roman, histoire, Allemagne, Bernhard Schlink, Bernard Lortholary, Gallimard, Folio, Jean-Pierre LongreBernhard Schlink, La petite-fille, traduit de l’allemand par Bernard Lortholary, Gallimard, 2023, Folio, 2024

En 1964, à l’époque où l’Allemagne était divisée en deux blocs, Kaspar, venu épisodiquement de l’Ouest, et Birgit, jeune femme de l’Est, s’éprennent l’un de l’autre et prévoient de vivre ensemble à Berlin Ouest. Ce que ne sait pas Kaspar, c’est que Birgit est enceinte d’un amoureux éphémère, et qu’avant de partir elle accouche en secret d’une fille qu’elle décide d’abandonner, faute de pouvoir lui faire passer avec elle le rideau de fer, et aussi par rejet de son géniteur. Cette fille cachée, elle ne la reverra jamais, ne connaîtra pas son destin. Mais une mère ne vit pas impunément ce genre de situation, et ses relations avec Kaspar vont s’en ressentir : « Je ne savais pas le mal que fait à long terme le silence qu’on garde. Si je l’avais su, si j’avais pensé en termes de longues années – est-ce que cela aurait changé quelque chose ? », écrit-elle dans son journal secret, qu’elle compose comme un roman.

Ce journal, Kaspar le découvre après la mort prématurée de Birgit, qui a auparavant tenté de fuir ses sombres pensées et d’enfouir sa culpabilité en se réfugiant dans des activités sans suite, en partant un certain temps en Inde, en sombrant dans l’alcool… Kaspar apprend donc l’existence de la fille de Birgit, et décide d’aller à sa recherche. Il découvre qu’elle s’appelle Svenja, qu’elle a été élevée par son père biologique et son épouse, qu’elle vit avec son mari dans un village de l’Est, sorte de communauté néo-nazie qui ne cherche qu’à glorifier l’Allemagne blanche qu’il faudrait débarrasser des Juifs et des immigrés ; le couple a une fille adolescente, Singur, elle-même embrigadée dans l’extrémisme nationaliste. En échange de l’héritage de Birgit, Svenja et son mari acceptent de confier Singur à Kaspar pendant les vacances scolaires.

Roman, histoire, Allemagne, Bernhard Schlink, Bernard Lortholary, Gallimard, Folio, Jean-Pierre LongreAlors, entre le septuagénaire, libraire aux idées libérales et progressistes, et la jeune fille endoctrinée mais prête à s’ouvrir à diverses connaissances et aux discussions, s’engage une série d’échanges parfois difficiles, mais affectueux. Kaspar ne veut pas brusquer Singur, ne veut pas lui laisser croire qu’il méprise ses idées et celles de ses parents. Délicatement, il la fait accéder à sa propre culture en l’emmenant au concert, au musée, en la faisant travailler à la librairie où elle découvre des livres qu’elle ne connaissait pas ; et elle se passionne pour la musique, prend des cours de piano, une heure tous les matins chaque fois qu’elle séjourne à Berlin chez celui qu’elle appelle ouvertement et naturellement « Grand-Père », et qui s’émerveille des progrès rapides qu’elle fait en jouant notamment Bach.

Une sorte de rivalité s’installe entre Kaspar et les parents de Singur, qui voient d’un mauvais œil l'influence qu’il a sur elle. Mais en a-t-il vraiment ? « Il lui avait fait une place dans son cœur – mais à condition qu’elle abjure son monde et qu’elle trouve accès au sien ? Non, il ne voulait pas aimer ainsi. Et comment pouvait-il penser, ne fût-ce qu’un instant, que sa personne, sa présence, son influence pourraient corriger en quelques semaines ce qui avait mal tourné pendant quinze ans ? Quelle prétention, quelle impatience ! » Le destin de Singur ne sera pas forcément celui que son « Grand-Père » et ses parents attendaient, mais il sera représentatif de celui d’une certaine jeunesse. Le roman de Bernhard Schlink, à la fois dur et émouvant, entraîne, à partir d’un exemple particulier, une réflexion sur l’histoire contemporaine de l’Allemagne, plus largement sur celle de l’Europe et, au vu de son état actuel, sur celle du monde.

Jean-Pierre Longre

www.gallimard.fr

www.folio-lesite.fr 

19:08 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, histoire, allemagne, bernhard schlink, bernard lortholary, gallimard, folio, jean-pierre longre |  Facebook | |  Imprimer |