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Les risques de la franglophonie (20/03/2025)

 Essai, rapport, article, francophone, académie française, étiemble, Bernard Cerquiglini, Plon, Gallimard, Folio, Black Herald Press, Jean-Pierre LongreAcadémie française, N’ayons pas peur de parler français, « Le rapport qui alerte », Plon, 2024

Ce livre bref mais dense veut donner l’alerte face « à la violence d’un phénomène », celui de l’extension « vertigineuse » de « l’utilisation non seulement abusive, mais invasive de termes anglo-américains. » C’est ce qu’écrit Dominique Bona dans la préface, tout en admettant que la langue française « n’a jamais cessé d’évoluer » grâce aux apports d’autres langues. Il s’agit donc, dans ce « rapport », de montrer en quoi la langue française subit « une évolution préoccupante » : « Jusqu’au XXe siècle, l’implantation de vocables étrangers se faisait à travers un processus d’assimilation, de francisation progressive. Actuellement, au contraire, l’entrée quasi immédiate dans la vie publique de mots anglais ou supposés tels, via les moyens de diffusion de masse, sans adaptation aux caractéristiques morphologiques et syntaxiques du français, conduit à une saturation. »

Les exemples ne manquent pas, dans les domaines publics et privés. Ce qui est préoccupant, ce n’est pas que certains mots ou certaines tournures venus du monde anglo-américain s’intègrent dans le français, mais que ces mots ou tournures soient incompréhensibles pour le commun des mortels (« la climatisation bi-split », « OpenClassrooms MOOC », le « crowdsourcing affluence voyageurs » etc.) ; et aussi que l’arrivée de nombreux termes soient injustifiée parce qu’ils existent déjà. « Exemples : concorder, correspondre/matcher ; déployer, répartir/dispatcher ; emballage/packaging ; faux, forgé, mensonge/fake ; foyer/cluster ; mélange/mix ; message/post ; mettre en place, processus/process ; réaliser/implémenter ; réseau/network ; sûr, sécurisé/secure. »

On ne reprendra pas ici les nombreux exemples donnés au fil des pages, une liste qui pourrait s’allonger de jour en jour, par un phénomène expansif de mode, de snobisme (pour utiliser un mot d’origine anglaise mais bien ancré dans le français). L’ouvrage se clôt sur quelques préconisations destinées à aller « vers une communication claire et efficace ». Sans « s’opposer à l’évolution du français, à son enrichissement au contact d’autres idiomes », les académiciens proposent un triple but à atteindre : « Tenir compte du public dans son ensemble, contribuer au maintien du français et lui permettre de participer à une mondialisation réussie. » Espérons…

Jean-Pierre Longre

www.plon.fr

Pour donner suite…

Si l’on veut profiter d’une vraie relation harmonieuse entre les langues anglaise et française, rien ne vaut la lecture de belles traductions et de publications bilingues. Voir : https://www.blackheraldpress.com

 

Et voici quelques rappels

 Essai, rapport, article, francophone, académie française, étiemble, Bernard Cerquiglini, Plon, Gallimard, Folio, Black Herald Press, Jean-Pierre LongreIl y a plus de 60 ans : Étiemble, Parlez-vous franglais ? Première parution en 1964. Nouvelle édition sous-titrée Fol en France Mad in France - La Belle France Label France et augmentée d'un avant-propos de l'auteur en 1991, Folio, 1991

Présentation :

Les Français passent pour cocardiers ; je ne les crois pas indignes de leur légende. Comment alors se fait-il qu'en moins de vingt ans (1945-1963) ils aient saboté avec entêtement et soient aujourd'hui sur le point de ruiner ce qui reste leur meilleur titre à la prétention qu'ils affichent : le français. Hier encore langue universelle de l'homme blanc cultivé, le français de nos concitoyens n'est plus qu'un sabir, honteux de son illustre passé. Pourquoi parlons-nous franglais ? Tout le monde est coupable : la presse et les Marie-Chantal, la radio et l'armée, le gouvernement et la publicité, la grande politique et les intérêts les plus vils. Pouvons-nous guérir de cette épidémie ? Si le ridicule tuait encore, je dirais oui. Mais il faudra d'autres recours, d'autres secours. Faute de quoi, nos cocardiers auront belle mine : mine de coquardiers, l'œil au beurre noir, tuméfiés, groggy, comme disent nos franglaisants, K.O. Alors, moi, je refuse de dire O.K.

Étiemble

 Essai, rapport, article, francophone, académie française, étiemble, Bernard Cerquiglini, Plon, Gallimard, Folio, Black Herald Press, Jean-Pierre LongreEn contrepoint (et contrepied) : Bernard Cerquiglini, La langue anglaise n'existe pas. C'est du français mal prononcé, Folio, 2024

Présentation :

Langue officielle et commune de l’Angleterre médiévale durant plusieurs siècles, le français a pourvu l’anglais d’un vocabulaire immense et surtout crucial. Traversant la Manche avec Guillaume le Conquérant, il lui a offert le lexique de sa modernité. C’est grâce aux mots français du commerce et du droit, de la culture et de la pensée que l’anglais, cette langue insulaire, est devenu un idiome international. Les « anglicismes » que notre langue emprunte en témoignent. De challenge à vintage, de rave à glamour, après patch, tennis ou standard, de vieux mots français, qui ont équipé l’anglais, reviennent dans un emploi nouveau ; il serait de mise de se les réapproprier, pour le moins en les prononçant à la française. Avec érudition et humour, Bernard Cerquiglini inscrit la langue anglaise au patrimoine universel de la francophonie.

www.folio-lesite.fr

 

Un article ancien : Jean-Pierre Longre, « Franglophones, encore un effort ! », Revue Lettre(s) (Asselaf) n° 43, décembre 2006 - janvier 2007 p. 14-16.

La défense de la langue française passe par son illustration ; le programme ne date pas d’aujourd’hui, et ce que Du Bellay accomplit en son temps, nous pouvons et devons le perpétuer. La richesse, la diversité et l’expressivité du français, admettons-le, sont dues au moins en partie à sa perméabilité aux langues étrangères, et singulièrement à l’anglais – cela non plus ne date pas d’aujourd’hui.

Rappelons-nous que si le français vient globalement du latin (du latin populaire, lui-même bien mêlé), une forte minorité de mots sont d’origine germanique, italienne, arabe, anglaise… De la langue anglaise viennent des termes aussi courants que (au hasard et dans le désordre) chèque, vitamine, autocar, bébé, firme, bifteck, sinécure, station service, bol, paquebot, visualiser, redingote, snob… Et n’oublions pas les va-et-vient entre les deux langues, dont certains sont bien connus : tunnel (qui, venant des tonneau / tonnelle français, est passé par l’anglais pour revenir au français) ; tennis (mot anglais issu de l’impératif français tenez) ; ajourner (de l’anglais d’origine française to adjourn) ; rosbif (de bœuf rôti – rosté en ancien français) ; flirter (flirt venant de fleurette, celle que l’on conte) ; management (issu de l’ancien français), et, évidemment, e-mail (mail venant de la malle-poste)…

Laissons de côté ces aspects historiques, que les connaisseurs complèteront aisément et abondamment, pour reconnaître que les écrivains contribuent à un enrichissement, à une diversification que la notion moderne de francophonie ne peut que confirmer et renforcer. Peut-on encore défendre la langue française ? N’en doutons pas. Mais cela ne se fera pas en piquant des colères aussi néfastes (pour la santé) que vaines (pour ladite défense) contre les méchants Anglo-Américains qui veulent nous imposer leur loi, ou contre les vilains Franco-Francophones qui dépassent les normes strictes de l’idiome académique. Chacun sachant que de nos jours la vie des pays anciens ne peut se passer de la vigueur de l’immigration, intéressons-nous au concept de « naturalisation » ou de « francisation » des mots anglais, que Baudelaire ne s’est même pas donné la peine de mettre en pratique, tant le « spleen » doit correspondre tel quel à un état d’esprit international. N’y cédons pas, et considérons l’inventivité, par exemple, d’un Marcel Aymé qui n’a pas hésité à intituler un de ses romans Travelingue, ou d’un Raymond Queneau qui, en éminent angliciste, s’en est donné à cœur joie avec ses coqutèle, ouisqui, bouledoseur, cloune, niqueurzes, bicause, nokaoute, quidnappeurs (ou guidenappeurs), bloudjinnzes, apibeursdè touillou, gueurle, claqueson, coboille, glasse, cornède bif, bâille-naïte… Et ce petit dialogue des Fleurs bleues, n’est-ce pas du français ?

 Il y avait un campeur mâle et un campeur femelle.

- Esquiouze euss, dit le campeur mâle, mà wie sind lost.

- Bon début, réplique Cidrolin.

- Capito ? Egarrirtes… lostes.

- Triste sort.

- Campigne ? Lontano ? Euss… smarriti…

- Il cause bien, murmura Cidrolin, mais parle-t-il l’européen vernaculaire ou le néo-babélien ?

Du français international, sans doute, mais compréhensible tout de même, et si pittoresque… Et peut-on résister à la tentation de reproduire ici celui des Exercices de style qui s’intitule « Anglicismes » ?

Un dai vers middai, je tèque le beusse et je sie un jeugne manne avec un grète nèque et un hatte avec une quainnde de lèsse tressés. Soudainement ce jeugne manne bi-queumze crézé et acquiouse un respectable seur de lui trider sur les tosses. Puis il reunna vers un site eunoccupé.

A une lète aoure je le sie égaine ; il vouoquait eupe et daoune devant la Ceinte Lazare stécheunne. Un beau lui guivait un advice à propos de beutone.

Évidemment, ces triturations sont celles d’un écrivain, qui conçoit la langue comme un instrument de créations aussi poétiques que ludiques ; c’est ce que font, moins systématiquement mais tout aussi sérieusement, dans une pure tradition célino-quenienne, des écrivains (parmi un grand nombre) aussi différents que Daniel Pennac et Pierre Autin-Grenier (qui n’hésite pas à envoyer des « émiles » aussi facilement qu’on pourrait envoyer des « himêles » ou des « y-mêle(s) »). Alors, pourquoi ne pas s’inspirer de ces triturations pour « naturaliser », « assimiler », « intégrer » des mots qui, dans ces conditions, ne seraient pas considérés comme des intrus ou des envahisseurs, mais comme des amis venus nous prêter main-forte ? Une immigration maîtrisée, en quelque sorte. Si les Anglo-américains veulent nous envoyer leurs enfants, accueillons-les, adoptons-les, faisons-en de bons petits francophones.

Dans le même ordre d’idées, on peut se référer à Gaston Miron, que l’on ne risque pas de soupçonner de vouloir saboter la langue française. Pour lui, la langue « n’évolue pas par son propre dynamisme interne » ; se plaçant dans la situation du bilinguisme propre au Québec (mais cette situation, tout bien réfléchi, est celle de la plupart des francophones, y compris, par les temps qui courent, des hexagonaux), voici ce qu’il écrivait dans Décoloniser la langue (1972) :

Il serait étonnant que la langue ne subisse pas d’influences déformantes. Mais, dans l’ouvert et le fermé d’une langue, les facteurs de résistance, de rejet, d’assimilation ne sont pas négligeables. Celui qui dit : « Mon dome light est locké » ou « Y a eu un storm hier » ou « Le dispatcher m’a donné ma slip pour aller gaser » parle québécois, la phrase demeure fidèle au système de la langue, on ne constate qu’une insuffisance de vocabulaire qui s’explique sociologiquement. Ce genre de frottement, de contact avec l’autre langue, est assez superficiel. Ça ne va pas plus loin que l’emprunt lexical, souvent l’emprunt est transitoire ou assimilé. Ce qui est plus grave c’est une influence qui crée un type de symbiose subtile et pénétrante, et qui attaque le système syntaxique. Exemples : Ne dépassez pas quand arrêté, Saveur sans aucun doute, Pharmacie à prix coupés. Ce n’est pas, comme certains le prétendent, une langue nouvelle, ça. C’est la communication de l’autre dans nos signes ; la langue de l’autre informe notre langue de ses calques. Les chasseurs d’anglicismes lexicaux ne trouveront pas un traître mot d’anglais là-dedans ; pourtant c’est de l’anglais en français. La communication de notre langue dé-fonctionne là-dedans sous l’effet du code de l’autre. Ça produit du non-sens, ou un sens autre que le sens que ça devrait produire. 

Puisque nous parlons tous le franglais (et aussi le frallemand, le fritalien, le frarabe, le frespagnol etc…), évitons de tirer hostilement la langue aux autres (une langue bien chargée, dont la pureté est illusoire) ; nourrissons-la, en revanche, d’apports lexicaux nouveaux, laissons-la respirer au vent des horizons lointains, en faisant en sorte de préserver ses fonctions vitales. C’est à ce prix qu’elle vivra.

https://www.asselaf.fr/numeros/Lettres43.pdf

 

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