2669

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : les mots du spectacle en politique

« Capturer l’irréel »

Roman, anglophone, Rachel Cusk, Blandine Longre, Gallimard, Jean-Pierre LongreLire, relire... Rachel Cusk, La dépendance, traduit de l’anglais par Blandine Longre, Gallimard, « Du monde entier », 2022, Folio, 2024

Prix Femina étranger 2022

Au cours d’une promenade matinale dans Paris, M, la narratrice, attirée par un autoportrait de L, entre dans une galerie où est présentée une « rétrospective » du fameux peintre. Elle y est prise d’un sentiment indéfinissable, et une phrase s’impose à elle : « Je suis ici. » À partir de là, M n’aura de cesse que d’inviter L dans la « dépendance » que Tony, son second mari, a aménagée en studio destiné à y loger des invités de passage, artistes ou écrivains, près de leur propre maison isolée au milieu d’un immense et fascinant paysage de marais envahis régulièrement par la mer montante.

roman,anglophone,rachel cusk,blandine longre,gallimard,jean-pierre longreAprès maints contretemps, maintes tergiversations, L arrive finalement, étrangement accompagné d’une jeune femme, Brett. En même temps, la fille de M, Justine, et son compagnon Kurt sont en visite pour un temps indéterminé dans la maison. Les trois couples vont établir des relations complexes, chaque individu avec son tempérament, ses goûts, sa sensibilité, son mode de vie, son rapport aux autres et à soi-même. Comment préserver son intimité, ses sentiments, sa vie de couple face à un homme insaisissable et surprenant ? « En observant L et plus encore Brett, je me demandais si nous n’avions pas invité, pour la première fois, un coucou dans notre nid. »

La dépendance n’est pas un roman à caractère social, conjugal ou sentimental. Ce n’est pas non plus un roman à clé, même si l’autrice rend hommage à Mabel Dodge Luhan qui a accueilli chez elle à Taos D. H. Lawrence et a rendu compte de ce séjour dans Lorenzo in Taos (1932). Rachel Cusk, qui bâtit le récit de l’héroïne narratrice sur le mode des confidences adressées à un certain Jeffers, semble vouloir faire accéder ses personnages et ses lecteurs à une réalité insaisissable : « Il existait une réalité supérieure, songeais-je, par-delà, derrière ou en deçà de la réalité que je connaissais, et il me semblait que si j’arrivais à me frayer un passage jusqu’à elle j’aurais vaincu une douleur endurée depuis toujours. » L’accession à cette réalité, comme un trajet tourmenté dans le marais, n’est pas sans provoquer des ruptures, des brouilles, des réconciliations entre les personnages (M et Tony, L et M, Justine et Kurt etc.). Mais c’est par-dessus tout la vérité qui compte, la vérité que seul l’art permet d’atteindre : « L’art véritable revient à s’efforcer de capturer l’irréel. »

Jean-Pierre Longre

www.gallimard.fr

www.folio-lesite.fr 

Lire la suite

15/02/2024 | Lien permanent

Pour le théâtre contemporain

Les éditions L’Espace d’un instant

Indispensables si l’on veut connaître le théâtre contemporain d’Europe, du Moyen Orient, de la Méditerranée, les éditions L’Espace d’un instant publient des pièces à un rythme quasi mensuel. Voici leur présentation :

« Les choix de publications des éditions l’Espace d’un instant, partenaires de la Maison d’Europe et d’Orient, sont pour la plupart directement inspirés des palmarès du réseau européen de traduction théâtrale Eurodram. La ligne éditoriale est principalement orientée vers les écritures contemporaines, sans négliger les lacunes de répertoire, dans le cadre des dramaturgies d’Europe, d’Asie centrale et de Méditerranée – de l’Islande à l’Afghanistan. Elle privilégie notamment les regards critiques et la recherche théâtrale, la diversité linguistique, ainsi que les relations possibles avec les scènes francophones, sans négliger une certaine représentativité des genres et des communautés. Il s’agit quasi exclusivement de traductions théâtrales, avec quelques exceptions d’une part pour des auteurs francophones et d’autre part pour des ouvrages théoriques. Différentes anthologies (Bulgarie, Biélorussie, Caucase, Croatie, Kurdistan d’Irak, Turquie, Ukraine) ont également été publiées. Certains ouvrages ont été édités en coédition avec d’autres éditeurs. Des photographes sont sollicités pour les illustrations de couverture. La quasi-totalité des ouvrages sont accompagnés d’une préface et d’une note technique et biographique. L’Espace d’un instant a remporté le prix de la traduction 2023 du PEN Club français. Le rythme annuel de publication est d’environ une dizaine de livres par an, pour en moyenne le triple de pièces. Depuis 2001, 346 textes de 275 auteurs ont ainsi été publiés dans 137 livres (au 1er janvier 2023). »

https://parlatges.org/presentation-des-editions-lespace-d...

 

Quelques publications récentes (cliquer sur les images) :

 

Théâtre, L’Espace d’un instant, Maison d’Europe et d’Orient

 Théâtre, L’Espace d’un instant, Maison d’Europe et d’OrientThéâtre, L’Espace d’un instant, Maison d’Europe et d’OrientThéâtre, L’Espace d’un instant, Maison d’Europe et d’OrientThéâtre, L’Espace d’un instant, Maison d’Europe et d’Orient

 

 

Théâtre, L’Espace d’un instant, Maison d’Europe et d’Orient

Théâtre, L’Espace d’un instant, Maison d’Europe et d’Orient

Théâtre, L’Espace d’un instant, Maison d’Europe et d’Orient

 

Lire la suite

15/07/2024 | Lien permanent

Survivre, pardonner, changer les choses

Essai, autobiographie, anglophone (États-unis), Eva Mozes Kor, Lisa Rojany Buccieri, Peggy Tierney, Blandine Longre, Armand Colin, Jean-Pierre LongreEva Mozes Kor, avec Lisa Rojany Buccieri, Les jumelles de Mengele. Le témoignage unique d’une rescapée d’Auschwitz. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Blandine Longre, Armand Colin, 2023

On ne s’habituera jamais à l’horreur, et chaque témoignage sur les camps d’extermination apporte son lot de questions sur « l’espèce humaine », à la suite de celles que se pose Robert Antelme. En lisant Survivre un jour de plus, on se demande comment des hommes, des médecins devenus bourreaux, ont pu faire subir les atrocités infligées à leurs victimes sous prétexte d’expérimentations médicales, et comment les victimes – du moins certaines d’entre elles – ont pu résister aux souffrances. Cette résistance, Eva Mozes Kor l’explique par l’amour que sa jumelle Miriam et elle se portaient mutuellement, ce qui constituait un soutien inébranlable : « Nous nous raccrochions l’une à l’autre parce que nous étions des jumelles. Nous comptions l’une sur l’autre parce que nous étions des sœurs. Et parce que nous appartenions à la même famille, nous ne renoncions pas. ». Ajoutons à cela une force de caractère exceptionnelle : « Je ne suis pas morte, me répétais-je. Je refuse de mourir. Je vais me montrer plus futée que ces docteurs, prouver à Mengele qu’il a tort, et sortir d’ici vivante. ».

Âgées de dix ans, Eva et Miriam, Juives nées en Roumanie, ont été déportées à Auschwitz avec leur famille – leurs parents et leurs deux sœurs, qu’elles ne reverront pas. C’est leur long calvaire qu’avec l’étroite collaboration de Lisa Rojany Buccieri l’auteure relate ici : le départ forcé de leur village sous le regard muet d’une population rongée par l’antisémitisme, l’arrivée brutale au camp, les expériences inhumaines faites sur les jumeaux, et donc sur Eva et Miriam, par Mengele et ses sbires, les maladies, la faim, la peur incessante de la séparation et de la mort, mais le courage inaltérable. Enfin la déroute nazie, la libération par les Russes (qui ne manquent pas de mettre en scène le film de la sortie du camp), et la question de l’avenir qui se pose aux deux fillettes maintenant seules : « Nous avions survécu à Auschwitz. Nous avions onze ans. Nous n’avions désormais qu’une question en tête : comment allions-nous rentrer chez nous ? ». Après maints détours, c’est le retour au village de Porţ, le malaise qui les prend en réalisant que ce ne sera plus jamais comme avant, et la volonté de se construire « une nouvelle vie ». Pendant cinq ans elles vivront à Cluj chez leur tante, puis, avec les difficultés que l’on devine sous le régime roumain de l’époque, ce sera le départ pour Israël.

Devenue par la suite américaine, Eva Mozes Kor a fondé « une association de soutien aux jumeaux ayant survécu aux expérimentations de Josef Mengele, et a aidé à faire pression sur plusieurs gouvernements afin que soit retrouvé ce dernier. ». Après le décès de Miriam, elle a ouvert à sa mémoire le « Musée et centre éducatif de la Shoah », et est devenue une ambassadrice de la paix et du pardon – conformément à ce qu’elle espèrait transmettre aux jeunes générations et qui conclut l’ouvrage : ne jamais renoncer, et pardonner à ses ennemis. Ce livre poignant, illustré par d’émouvantes photos, est à la fois témoignage nécessaire, leçon de courage et « message de pardon ».

L'ouvrage a été publié pour la première fois en 2009 sous le titre Surviving the Angel of Death: The Story of a Mengele Twin in Auschwitz, puis en 2018 dans une traduction française de Blandine Longre sous le titre Survivre un jour de plus - Le récit d'une jumelle de Mengele à Auschwitz aux éditions Notes de Nuit. Après le décès d’Eva Mozes Kor en 2019, une nouvelle édition est parue en 2020 en anglais et en 2023 en français, augmentée d’une postface de l’éditrice Peggy Tierney, qui insiste sur certains traits de caractère d’Eva comme la ténacité et la détermination, le sens de l’humour et du pardon, et qui écrit : « Si une rescapée d’Auschwitz d’un mètre quarante-cinq, orpheline, réfugiée, immigrée, agente immobilière avec un accent roumain vivant à Terre Haute, dans l’Indiana, a été en mesure de trouver un public international pour propager son histoire et son message, alors chacun de nous est capable de changer les choses, qui que nous soyons et où que nous vivions. »

Jean-Pierre Longre

www.dunod.com/marque/armand-colin  

Lire la suite

15/06/2024 | Lien permanent

La dernière montagne

Roman, Montagne, Néerlandais, Pays-Bas, Toine Heijmans, Françoise Antoine, Belfond, Jean-Pierre LongreToine Heijmans, Dette d’oxygène, traduit du néerlandais par Françoise Antoine, Belfond, 2023, 10/18, 2024

Walter a été initié à l’escalade par Lenny en grimpant et regrimpant sur une pile de pont. Ainsi, dans le pays le plus plat qui soit, les Pays-Bas, les deux amis se passionnèrent pour la haute montagne. « De loin, j’appris à connaître l’Eiger et l’Everest, l’aiguille Verte et le Changabang. Les piliers, les couloirs, les solos et les directissimes. Lenny m’interrogea jusqu’à ce que je puisse débiter dans l’ordre et sans me tromper les noms des quatorze sommets de plus de huit mille mètres ainsi que ceux des plus hautes montagnes sur chacun des sept continents. Les voies normales, les voies exceptionnelles. Les drames et les victoires – pour peu qu’on le voie ainsi. » Apprentissage de l’esprit et du corps, rapidement mis en pratique : les deux amis se mirent à gravir tous les sommets, toutes les voies qu’ils purent, du massif du Mont Blanc à l’Himalaya, découvrant l’exaltation et les souffrances, les victoires et les défaites de l’alpinisme, la solitude des parois et la foule des camps de base, les déserts minéraux et la promiscuité des bivouacs, la soif de vie et les réalités de la mort.

roman,montagne,néerlandais,pays-bas,toine heijmans,françoise antoine,belfond,jean-pierre longre,1018Le récit commence à l’altitude de 8188 mètres sur un sommet de l’Himalaya, et se termine à la même altitude, sur le même sommet. Entre temps se déroulent les péripéties, les souvenirs, les regrets, les évocations des grands disparus, ces « conquérants de l’inutile », comme les a nommés Lionel Terray. « Les cimes sont objectivement inutiles, renchérit Walter, elles ne produisent rien, contrairement aux vallées. Ou contrairement aux cols, par lesquels on peut mener du bétail ou transporter des marchandises : eux au moins offrent une perspective de progrès. Ici, on ne fabrique rien. Ici, on décompose, cellule par cellule. » On passe d’une altitude à l’autre (les titres des chapitres sont à cet égard très précis), d’un personnage à l’autre – les héros et héroïnes avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs histoires et leurs légendes, Hillary et Tensing (le Néo-Zélandais ayant eu tendance à s’approprier un mérite qui revenait largement au Sherpa), Alison Hargeaves, Reinhold Messner, Wanda Rutkiewicz, Walter Bonatti, Herzog et Lachenal, Whymper, Toni Kurz… et même Pétrarque, « le premier alpiniste de l’histoire » avec son ascension du Mont Ventoux le 26 avril 1336.

Nous vivons avec Walter et Lenny, d’autres compagnons comme Bart ou Monk, les joies de la victoire sur les éléments et sur soi, mais aussi les douleurs, les épuisements et les désespoirs devant la violence impitoyable et mortelle de la nature. Nous apprenons aussi beaucoup, certes sur les techniques modernes mises à la disposition des grimpeurs d’aujourd’hui, mais aussi sur l’industrie commerciale qui mène les grandes expéditions himalayennes sur des itinéraires parfaitement préparés par les Sherpas jusqu’aux abords des sommets, sur les camps de base devenus de vraies villes de tentes avec toutes les commodités. Surtout, sur la constitution du corps humain et ses capacités de résistance et de survie. Et finalement ceci : « Nous autres, alpinistes, appartenions à la montagne, au même titre que les chamois, et cela nous donnait le droit d’entreprendre des expéditions inconcevables. » Dette d’oxygène est un hymne à la haute montagne, un hymne magnifique, lucide et sans concessions.

Jean-Pierre Longre

www.lisez.com/belfond/5

www.lisez.com/1018/16

 

Lire la suite

10/09/2024 | Lien permanent

Mortelles espérances à Brangues

Essai, récit, francophone, Jean Prévost, Stendhal, Philippe Berthier, Emmanuel Bluteau, La Thébaïde, Jean-Pierre LongreJean Prévost, L’affaire Berthet, préfacé par Philippe Berthier, édition établie par Emmanuel Bluteau, La Thébaïde, 2014

Stendhal, fervent lecteur de La Gazette des tribunaux, y découvrit fin 1827 le compte rendu du procès d’un certain Antoine Berthet, jugé aux Assises de l’Isère pour avoir tiré, dans l’église de Brangues, sur son ex-maîtresse Madame Michoud ; condamné à mort, il fut exécuté en février 1828, à l’âge de 25 ans. Sur cette trame narrative, transfigurée par le génie du romancier, se bâtit Le Rouge et le Noir, publié en 1830.

Mais, comme le précise à juste titre Philippe Berthier, Julien  Sorel n’est pas Antoine Berthet, et Stendhal s’est largement écarté du fait divers, de ses protagonistes et de sa simple relation, qui toutefois reste grâce à lui dans les annales des affaires judiciaires. Jean Prévost, dont les talents de journaliste et de romancier n’occultent pas ceux du critique et du grand stendhalien qu’il fut (ce qu’atteste, entre autres, la très belle et très originale thèse qu’il soutint à Lyon en 1942 : La Création chez Stendhal. Essai sur le métier d’écrire et la psychologie de l’écrivain.), Jean Prévost, donc, s’empara de l’Affaire Berthet pour la publier dans Paris-Soir du 10 janvier au 12 février 1942. Ici édité en volume, ce feuilleton est complété par le compte rendu fait en 1827 dans La Gazette des tribunaux et par quelques autres documents.

Tout y est, mais enrichi par l’esprit inventif et le style incisif de Jean Prévost. Sous sa  plume, les brefs épisodes de la vie d’Antoine deviennent les chapitres d’un feuilleton journalistique devenu roman biographique haletant. Le frêle jeune homme victime des brutalités de son forgeron de père, devenu séminariste puis précepteur dans une famille de notables, amoureux de la mère de ses élèves, puis rêvant d’un mariage noble et tombant du haut de ses ambitions et de ses illusions, est ainsi le héros de ce récit qui ne s’embarrasse ni de précautions oratoires ni de fioritures, mais qui campe un personnage en complet désarroi social et psychologique. « L’espérance a toujours été le vrai poison d’Antonin Berthet ». Même s’il l’a inspiré, Antoine (ou Antonin) n’est pas Julien, et Jean Prévost ne nous sert pas une version remaniée du Rouge et le Noir. Son « grand récit historique » a les couleurs et le rythme du roman vrai.

Jean-Pierre Longre

https://fr-fr.facebook.com/pages/%C3%89ditions-La-Th%C3%A...

http://www.collectif-des-editeurs-independants.fr/editeur...

Lire la suite

23/05/2014 | Lien permanent

En quête d’Éden

Roman, francophone, Léo Henry, Jacques Mucchielli, Dystopia, Jean-Pierre LongreLéo Henry et Jacques Mucchielli, Sur le fleuve, Dystopia Workshop, 2013

Au cœur de la forêt tropicale, le long d’un fleuve qui pourrait bien être l’Amazone ou l’un de ses affluents, se sont aventurés quelques personnages venus pour différentes raisons se perdre au-delà des océans à la recherche de Manoa, la Cité d’or. Un noble castillan et son épouse indigène, un ancien inquisiteur et son secrétaire, un soldat néerlandais, un marin navarrais, un mercenaire corse, un chasseur galicien, un jésuite fou… Cette petite troupe, accompagnée de soldats et d’Indiens, affronte les dangers inhérents à ce genre et à ce lieu d’expédition – dangers naturels et physiques, mais aussi ceux que chaque humain recèle en lui-même.

Un autre être, invisible et dont la présence est pourtant prégnante, rôde autour des campements, sur les rives et dans les profondeurs touffues : Tyvra’i ou « Petit Frère », dont les monologues rythment le récit. « Mon nom est Petit Frère car, de tous les gens de mon peuple, je suis le plus jeune. La forêt est le ventre duquel je suis né. Je ne suis pas le fruit d’un arbre, je n’ai pas jailli de la source et ne suis pas tombé des cieux. La glaise ne m’a pas façonné. C’est la forêt qui m’a engendré, la forêt grosse comme la femme lorsqu’elle est enceinte. Mon nom est Petit Frère et je suis né d’ici. ». La mort rôde, surprend, et l’aventure tourne aux massacres successifs. Confrontés à des forces imparables, rêvant de possessions, les conquérants vont peu à peu se faire posséder eux-mêmes, disparaître sous les griffes de « Jauára ichê », le jaguar.

Sur le fleuve laisse s’écouler la narration, péripéties violentes et mystères insondables, raccourcis fulgurants et suspens silencieux, chutes inattendues et calmes plats. Manoa existe-t-elle ? Le saura-t-on vraiment ? Si le monde garde ses secrets, la leçon est claire :

                            « Cessons de chercher l’or !

                            Restons hors de cette forêt !

Nous sommes incapables d’y vivre,

incapables de comprendre ce que disent là-bas

les arbres dans leur sommeil,

les animaux qui marchent comme l’homme,

les voix qui crépitent dans les flammes

et celles qui courent aux vents de nuit !

Restons hors de cette forêt !

Ne cherchons pas à rendre ce monde parfait ! ».                  

Jean-Pierre Longre

 

www.dystopia.fr

Lire la suite

10/02/2014 | Lien permanent

Le souffle et les serpents

Roman, anglophone, Donna Tartt, Anne Rabinovitch, Plon, Pocket, Jean-Pierre LongreDonna Tartt, Le petit copain, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Rabinovitch, Plon, 2003, Pocket, 2014

Un roman tous les dix ans (Le maître des illusions en 1992, Le petit copain en 2002, Le chardonneret en 2013)… Donna Tartt n’est pas de ces écrivains dont la production annuelle s’assimile à l’entreprise industrielle (chacun a des noms en tête). La rareté, chez elle, est proportionnelle à l’ampleur et à la densité de ses livres.

On a récemment beaucoup écrit sur Le chardonneret, qui vient de paraître en traduction française. Restons donc un instant, pour changer, sur le roman précédent, Le petit copain, dont la version française vient d’être redonnée en collection de poche. Huit cent quarante pages serrées, qui à aucun moment ne suscitent l’ennui. Dans le Mississipi, que l’auteure, pour y être née, connaît bien, la famille Cleve Dufresne a été traumatisée par la mort (accidentelle ? criminelle ?) de Robin, âgé d’une dizaine d’années, retrouvé pendu à un arbre de la propriété. Mère dépressive, père absent, sœur occupée d’elle-même, Harriett, qui était un bébé lors de la tragédie, ne trouve réconfort qu’auprès d’une grand-mère à la forte personnalité, de quelques tantes et de son « petit copain » Hely. Plus de dix ans après, la fillette décide de trouver l’assassin de son  frère et de faire justice.

Son entêtement, son goût du risque, les imprudences d’Hely (les siennes aussi) l’entraînent dans un univers inconnu, où les adultes se découvrent peu à peu comme des êtres fermés ou dangereux, faibles ou brutaux, frénétiques ou apathiques, et où la vie repose sur la lâcheté, les supercheries, les illusions, l’absence de scrupules – avec toutefois quelques parenthèses de joie sincère et de fraîcheur spontanée (celle-ci fort bien venue dans l’atmosphère étouffante où évoluent les personnages). Harriett mène la danse, une danse qu’elle ne maîtrise pas toujours, qui serpente et se désarticule jusqu’aux limites du souffle vital (les serpents et le souffle, deux motifs récurrents du récit, deux piliers de la narration).

Roman pointilliste et haletant, Le petit copain est un patchwork et une symphonie. Portraits multiples, incisifs et pittoresques, tableaux familiaux et sociaux d’un naturalisme grouillant, descriptions poétiques d’une nature glauque et hostile, évocations de rêves envahissants, aventures à rebondissement, suspense narratif angoissant, tout cela n’occulte en rien la sensibilité à fleur de peau d’une fillette attachante et futée, nourrie de souvenirs inquiets et des récits de Kipling ou Stevenson, et dont le cheminement vers la vie adulte se fait dans l’obstination et les tourments. Comme chez certains grands écrivains américains, comme chez certains grands écrivains russes, le souffle romanesque de Donna Tartt ne laisse pas le lecteur en repos.

Jean-Pierre Longre

www.plon.fr

www.pocket.fr

Lire la suite

18/03/2014 | Lien permanent

Atmosphères musicales et cinématographiques

Musique, film, disques, dvd, Atmosphères, LyonUn nouvel espace culturel audio et vidéo à Lyon Croix-Rousse 

Proposés à la vente par des spécialistes: CD, DVD, disques vinyle, le tout de grande qualité et à des prix raisonnables. Accueil chaleureux!

Atmosphères, 10 rue Dumont, 69004 Lyon

Tél. 04 78 28 47 58

Ouvert du lundi au dimanche de 14h à 20h

Plus d’informations: http://www.atmospheresvideo.com/infoplan4.html

Lire la suite

02/04/2014 | Lien permanent

Métamorphose de la bande dessinée

Essai, Bande dessinée, francophone, anglophone, WinsorMcCay, Balthazar Kaplan, Ab irato, Jean-Pierre Longre

Balthazar Kaplan, Little Nemo, le rêveur absolu, Ab irato, 2014

Winsor McCay (1869-1934) est un pionnier, et son Little Nemo in Slumberland, créé en septembre 1905, publié en feuilleton à partir de cette date, renouvelle radicalement l’esthétique de la bande dessinée, en en faisant un genre à part entière, distinct du récit illustré. Cela, Balthazar Kaplan le rappelle, bien sûr, mais ne s’en contente pas : il analyse aussi d’une manière explicite et détaillée, quasiment exhaustive, ce qu’il faut savoir sur une œuvre que l’on peut considérer comme la première bande dessinée moderne.

En deux grandes parties, « Préambule au rêve » et « Au cœur du rêve », l’exploration du monde imaginaire de Little Nemo se fait de plus en plus incisive, de plus en plus pénétrante. Il y a, comme il se doit, l’ancrage dans une Histoire, l’héritage culturel – Jules Verne, Lewis Carroll, Andersen, les mythes populaires… Il y a l’humour, lié aux dysfonctionnements et aux transformations, l’onirisme évidemment, puisque les rêves et la fantaisie, le merveilleux et le monstrueux, l’illusion et la théâtralité sont autant de ressorts de la fiction.

Mais Little Nemo ne donne pas prise aux simplifications. Si l’imaginaire en est une constante, il cohabite avec le réel, en une subtile dialectique ; de même pour ce qui est de celle qui commande les relations entre « construction » et « perturbation » du monde. « Rien n’est stable, tout se transforme – être, chose, lieu », écrit l’auteur. Ajoutons à ces considérations celles qui concernent le dessin, toujours en mouvement (lignes et couleurs). Car « ce qui est fascinant avec McCay est qu’il ait si tôt et si vite compris les possibilités de la bande dessinée ». Le « génie » du dessinateur réside, entre autres, dans le jeu sur les cadres et sur les planches elles-mêmes, qu’il envisage d’une manière globale.

Faute d’entrer dans les détails de cette étude, disons qu’elle est à la fois savante et accessible, complète et éclairante, et que les illustrations (planches entières ou détails de dessins) qui la ponctuent, outre le rôle de preuves qu’elles jouent régulièrement, accentuent le plaisir de la lecture.

Jean-Pierre Longre

http://abiratoeditions.wordpress.com

Voir aussi Little Nemo 1905-2005, un siècle de rêves, album collectif, Les Impressions nouvelles : http://www.lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/little-n...

Lire la suite

Opérette en forêt

Roman, francophone, Frédéric Verger, Gallimard, Jean-Pierre LongreFrédéric Verger, Arden, Gallimard, 2013, Folio, 2015

Prix Goncourt du premier roman 2014

 

Entre la Hongrie, la Roumanie et l’Ukraine, se trouve le Grand-Duché de Marsovie, « Monaco (ou Suisse) des Carpates », qui, avec sa petite capitale S., son souverain populaire et autoritaire, ses forêts et ses mystères, tient de la Marsovie de Franz Lehar (voir La veuve joyeuse), de la Syldavie d’Hergé et de la Roumanie elle-même, qui dans son histoire récente a vu son roi prendre ses distances avec le fascisme, changer d’alliance en 1945, participer ainsi à la victoire des Alliés, ce qui a malgré lui et malgré son peuple favorisé la prise du pouvoir par les communistes en 1947 – mais ceci est d’un autre domaine.

roman,francophone,frédéric verger,gallimard,jean-pierre longreCar ce qui importe, dans Arden, c’est l’amitié entre deux hommes bien différents, Alexandre de Rocoule (grand-oncle du narrateur), propriétaire volage d’un hôtel de luxe niché au cœur de la forêt, et Salomon Lengyel, mélancolique tailleur juif à la clientèle clairsemée ; cette amitié est nourrie, en particulier, par une passion commune pour l’opérette. Que de scénarios et de partitions ils ont composé ensemble ! Œuvres jamais jouées car toujours inachevées, l’impossibilité de se mettre d’accord sur un dénouement étant pour eux comme une tradition, comme une marque d’attachement mutuel. Jusqu’à ce jour de 1945 où, la « Garde noire » et les SS sévissant de plus en plus violemment, Alexandre et Salomon ont l’idée d’enregistrer, avec l’aide de la séduisante Esther, fille de Salomon, et de musiciens juifs réfugiés dans la cave de l’hôtel, une opérette en plusieurs épisodes destinée à passer en feuilleton sur les ondes de la radio nationale. Se produire publiquement à la radio, le meilleur moyen de se cacher, pensent-ils. « Et c’est ainsi que naquit ce qui devint plus tard la légende de l’orchestre juif d’Alex. ».

L’œuvre ainsi composée par les deux compères, énorme pot-pourri plein de réminiscences et d’improvisations, est aussi labyrinthique que le roman, lui-même aussi touffu que la forêt d’Arden. Dans les unes et dans l’autre, on se perd avec inquiétude, on se retrouve avec soulagement, on erre avec délices, guidés par les déambulations du narrateur et par la prose imagée, foisonnante, truculente de l’auteur. L’intrigue principale croise des péripéties secondaires – secondaires mais primordiales, car elles font le sel du récit, parfois son fil conducteur. Ce sont des rêves ou des souvenirs, c’est l’histoire d’une petite bague plusieurs fois perdue et retrouvée, celle aussi d’une lettre d’amour qui se transforme au fil des aventures, jusqu’à devenir une sorte de message codé, voire de clé narrative : « Ceux qui aiment        finissent        par     se retrouver dans    des forêts  si obscurs     que des souvenirs » (orthographe et graphie respectées).

Dans Arden voisinent l’imagination débridée et la minutieuse description de la vie quotidienne, l’Histoire de l’Europe dans la première moitié du XXème siècle et l’intemporalité, la tendresse et la cruauté, la violence et la sensibilité, l’angoisse et la joie. On pense parfois, devant les intrusions semi-ironiques de l’auteur, aux romans du XVIIIème siècle et à ceux de Stendhal ; on pense à la comédie de mœurs et à la farce tragique ; on pense à une certaine littérature d’Europe orientale, mélange de réalisme social et de fantastique légendaire. On pense que Frédéric Verger est un écrivain complet, et que son premier roman est un ouvrage accompli.

Jean-Pierre Longre

 www.gallimard.fr  

www.folio-lesite.fr  

Lire la suite

05/02/2015 | Lien permanent

Page : 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47