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16/11/2023

La poésie des titres

Poésie, francophone, Christophe Gilot, Cactus Inébranlable éditions, Jean-Pierre LongreChristophe Gilot, Quatrains de bouquiniste, Cactus Inébranlable éditions, 2023

La poésie peut naître de multiples façons. Souvent, c’est le regard posé sur le monde, sur les choses qui par la magie du verbe s’élargit vers les espaces de l’imagination, en un mouvement de l’extérieur vers l’intérieur. C’est le cas ici, avec comme point de départ ce que l’auteur, bouquiniste de son état, a sous les yeux à longueur de journée : des titres de livres. Il les range quatre par quatre sur la page, donc en « quatrains de bouquiniste » – un rangement malicieux, qui ne doit rien au hasard.

Car il y a toujours, plus ou moins explicites, des rapports thématiques entre les titres superposés. Ce peut être le temps qui passe (« Je me souviens / l’invention du passé, / ce fragile aujourd’hui / dans un mois dans un an. »), le feu (« Fragments d’une poétique du feu / Nous sommes l’incendie / les combustibles / je sais, oui : les fleurs rouges, là-haut… »), un jeu (« Pierres noyées / sur la route du papier, / les ciseaux du couchant / dans ma main »), la fabrique même de la poésie (« En rêvant à partir de peintures énigmatiques, / devine ce que je vois ? / La couleur des mots / dormir au soleil. ») etc. Inutile de multiplier les exemples, il faut juger sur pièces, jusqu’au point suspendu du dernier quatrain qui se termine par « Temps zéro » d’Italo Calvino.

Il faut préciser que chaque titre de livre est assorti du nom de son auteur, ce qui crée chaque fois une sorte de quatrain secondaire d’où, pourquoi pas, peut naître une poésie seconde formée de noms parfois inconnus, l’exotisme du nom propre jouant son rôle ; au hasard : « Alexandria Marzano-Lesnevich / Sophie Tal Men / Tom Drury / Ella Silloë ». Ultime remarque : si chaque quatrain est autonome, quelques fils conducteurs s’insinuent dans les espaces vides en rapprochant certains titres comme « À même la peau », « À fleur de peau », « La mémoire dans la peau ». Voilà donc une espèce inhabituelle de poésie tenant du haïku, qui donne à imaginer ce que sont les livres ici évoqués sans qu’on ait à les ouvrir… Un nouvel art de lire, qui n’empêche pas, tout de même, d’aller y voir de plus près.

Jean-Pierre Longre

https://cactusinebranlableeditions.com

09/07/2021

Huit siècles de commerce du livre

Essai, francophone, Patricia Sorel, La fabrique éditions, Jean-Pierre LongrePatricia Sorel, Petite histoire de la librairie française, La fabrique éditions, 2021

Du Moyen Âge à nos jours, c’est une histoire complète du commerce du livre que nous raconte Patricia Sorel. Dès le treizième siècle, des « stationnaires » et des « libraires » (on découvrira la différence dans les premières pages) sont chargés de fournir les manuscrits nécessaires aux étudiants, tant à Paris qu’en province. Et bien sûr, l’invention de l’imprimerie et sa diffusion en France à partir de 1470 vont « profondément bouleverser » la vente des livres et le métier de libraire, qui va subir des variations au gré des conditions culturelles, sociales et politiques, des réglementations, du succès de tel ou tel type d’ouvrage, des goûts des lecteurs, des choix des éditeurs…

Cinq grandes étapes rythment cette histoire : « La librairie sous l’Ancien Régime », « Le développement de la librairie au XIXe siècle », « Une profession ancrée dans la tradition (fin XIXe siècle – 1945) », « La modernisation à marche forcée » (1945-1981) », « La librairie sous le régime du prix unique », le tout complété par des considérations sur la concurrence actuelle du commerce en ligne, par un index fort utile et par une bibliographie dite « sommaire », mais déjà bien fournie.

On peut bien sûr s’intéresser aux statistiques, aux chiffres détaillés, aux références précises qui jalonnent ces pages semées d’illustrations, devantures ou intérieurs de librairies connues (celles d’Adrienne Monier ou de Sylvia Beach par exemple) ou moins connues. S’intéresser aussi aux fluctuations économiques, aux modes de gestion des stocks, aux relations entre éditeurs, lecteurs, législateur et libraires. Mais les passages les plus prenants sont ceux qui relatent les grandes batailles : contre les différentes formes de censure (ouverte ou insidieuse), entre les grandes surfaces et les véritables librairies, et bien sûr celle du « prix unique » du livre, demandé de longue date par certains, finalement instauré sous la présidence de François Mitterrand et le ministère de Jack Lang le 1er janvier 1982, malgré les vives résistances de forces commerciales comme la Fnac et Édouard Leclerc, qui a cherché par tous les moyens mais finalement sans succès à conserver le statu quo. Des épisodes quasiment épiques qui, comme tout cet ouvrage, nous montrent que la salutaire croissance actuelle du nombre de librairies indépendantes n’est pas due au hasard, mais à une longue lutte pleine de péripéties, de négociations, d’espoirs, de désespoirs, d’abnégation. Cette « petite ( ?) histoire » met les pendules culturelles à l’heure.

Jean-Pierre Longre

https://lafabrique.fr