21/12/2022
« L’éviscération du Merveilleux »
Anthony Seidman, That Beast in the Mirror / Cette bête dans le miroir, traduit de l’anglais (États-Unis) par Blandine Longre, Black Herald Press, 2022
Un apparent paradoxe : tirer la poésie de la charogne, d’un os, d’une « dent ébréchée », du « crâne d’une gazelle », d’une hyène qui « macule son museau de chair et d’entrailles fumantes » … Baudelaire le fit, Anthony Seidman l’a fait, « aux interstices entre Viande Divine et Viande Humaine ».
Les trois parties du recueil (« De la chaleur », « Nuage avec fermeture éclair », « Pluie comme leitmotiv »), qui font intervenir la bête sous toutes ses formes (vivantes et mortes, corps et squelette…), ont d’autres points communs, en une poésie atmosphérique : la chaleur, les nuages, la pluie, le vent, sous toutes les dimensions : « On peut choisir / n’importe quelle direction […]. Là-haut, l’empreinte / d’une trainée de vapeur dans l’azur immaculé. / En bas, le ciel replié sous le Chili et / la crête de l’Antarctique. » La diversité des dimensions est aussi celle des vers, dans leur architecture strophique, frisant parfois la prose ou le verset ; on entend, à la fin, le martèlement de la pluie marqué par les anaphores et les vers frappant la surface blanche de la page.
La poésie n’est pas que performative. Elle est aussi, par exemple, référence et déférence : à des artistes de toutes sortes (Coltrane, Piaf, Mingus ou Olivier Messiaen, Baudelaire ou Geoffrey Chaucer, Tanguy, Soutine, Watteau, Hopper ou Magritte…), et aussi aux dames « de souffre », « d’argile », « de la soif » « de pierre ». Les images étranges, sur la ligne de crête du surréalisme, se bousculent à la porte des yeux et des oreilles (la fumée, « les carillons de cloches et les / appels stridents d’un paquebot qui sombre ») ou à celle de la signification (« Nous pleuvons une grammaire foutue de toute chose perdue, / comme un appentis derrière le ranch d’une grand-mère disparue »). Il pourrait y avoir dans tout cela de la méfiance, quand quelqu’un qui « sonne à la porte » semble vouloir « profiter d’un placard rempli / et d’un vin buvable » ; mais le merveilleux est là, dans tous ses états, prêt à être disséqué, examiné au plus profond de ses entrailles. Avec malgré tout, çà et là, un trait d’humour, quand on aperçoit « les sourcils haussés de la caissière qui voit un bip / sur l’écran alors qu’elle effectue ton dépôt bancaire. » Et surtout, on se dit, avec Anthony Seidman : « Il reste encore des poèmes à lire ».
Jean-Pierre Longre
17:39 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poésie, anglophone, anthony seidman, blandine longre, black herald press, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
Je ne connais rien à la poésie mais là j’ai trouvé une clef qui m’a ouvert le monde poétique d’Anthony Seidman: il faut le lire très vite et sans chercher à comprendre: alors arrivent l’image, le désespoir, l’humour, un film suréaliste à la Bunuel et pour finir la Vie!
Écrit par : Conquy patrick | 22/12/2022
Les commentaires sont fermés.