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Rechercher : les mots du spectacle en politique

Face à la laideur

Roman, francophone, Jérôme Bonnetto, L’Amourier, Jean-Pierre LongreJérôme Bonnetto, Le dégénéré, L’Amourier, 2010

Il y a quatre personnages : le narrateur, Luna, Victor et la jeune pianiste. Ajoutons les Niçois et la musique pour parfaire le compte. Pour raconter l’histoire, « on se parle à soi-même. C’est comme ça que ça commence. C’est comme ça qu’on dégénère ».

Et c’est « comme ça » que le lecteur est embarqué dans ce monologue intérieur, pris dans le tourbillon du soliloque, dans les lacets de la mémoire, dans la spirale de la parole intérieure, dans le piège de l’imagination, dans la folie des fantasmes. Ce qui guide le narrateur, et qui en même temps l’enferme, c’est son exigence. Exigence musicale se préservant « des méfaits de la compromission et du renoncement », face à l’ami Victor qui est devenu une « oie » ; exigence morale face à la corruption de la société, en particulier celle de la ville de Nice, qui est « devenue abjecte » ; exigence esthétique qui lui permet d’entendre les sonates inventées par Luna et de les retranscrire purement et simplement…

Tout aurait pu être beau : Nice et « le jardin d’Alsace-Lorraine », la musique enseignée au conservatoire, la visite de « la jeune pianiste », les demoiselles, les relations avec les autres, ceux qui l’appellent Le Dégénéré. Mais tout, dans la tête du narrateur en proie à lui-même et au monde, est dégénérescence. « C’est à se prendre la tête dans les mains et à ne jamais se la lâcher ». Et tout, dans ses phrases, dit qu’il faudra bien que cela finisse un jour, d’une manière ou d’une autre, comme dans les romans de Marguerite Duras ou dans les tragédies de Racine. Le dégénéré met en mots désespérants l’impuissance devant la laideur du monde et de l’âme humaine. Cela donne un roman angoissant, révolté, sombre, beau.

Jean-Pierre Longre

www.amourier.com

www.jeromebonnetto.net  

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23/02/2011 | Lien permanent

Dans le silence des profondeurs

Récit, poésie, francophone, Valérie Canat de Chizy, Jacques André éditeur, Jean-Pierre LongreValérie Canat de Chizy, Pieuvre, Jacques André éditeur, 2011

« Dans l’antre du poème, accueillir sa solitude, sa vérité. Se taire une bonne fois pour toutes, laisser couler la source claire ».

Les textes qui composent Pieuvre tiennent autant de la poésie que de la narration. C’est en tout cas poétiquement que l’auteur y déroule ses souvenirs en racontant son expérience et les épreuves de la surdité, du silence, de la solitude, de l’anormalité, des transformations physiologiques, mentales, relationnelles qu’entraîne cette sorte de mise à l’écart. Une « harmonie », une « logique » particulières marquent cet enfermement dans les profondeurs de soi.

Car ce n’est pas seulement l’ouïe qui est en jeu. L’atrophie de l’un des sens entraîne la quête d’un nouvel équilibre dans le rapport à l’environnement. Les mots sont ceux des sensations qui traversent le corps : odorat, goût, toucher, et surtout vue (scintillements légers et ombres lourdes, noirceur et clarté) sont ici sollicités, faisant résonner la présence du monde et des autres.

Pas de miracle. Singulièrement, le recours à l’écriture n’est pas considéré comme la panacée, mais comme une des composantes de la survie : « Tiraillée entre le désir de vivre et l’exigence de l’écriture, j’oscille entre ouverture et repli. Il me faut trouver l’équilibre juste entre ces deux pôles. L’extériorisation me fait perdre de la profondeur. Tandis que la solitude me rapproche de ce qui en moi est humain. Forcément douloureuse, elle me mène à creuser dans l’obscurité pour trouver la lumière ». Cette lumière, malgré tout, Valérie Canat de Chizy, qui n’en est pas à sa première expérience poétique, nous la fait entrevoir dans ce récit poétique en demi-teintes.

Jean-Pierre Longre

www.jacques-andre-editeur.eu    

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29/12/2011 | Lien permanent

Secrets de naissance

Hélène Grémillon, Le confident, Plon – JC Lattès, 2010, Folio, 2012

Roman, francophone, Hélène Grémillon, Plon – JC Lattès, Folio, Jean-Pierre LongreAprès le décès de sa mère, Camille reçoit les traditionnelles lettres de condoléances, pleines de compliments pour la défunte et de compassion pour ceux qui restent. Au milieu, une enveloppe intrigante, contenant une longue missive sans signature, qui inaugure toute une série d’envois de plus en plus étranges, dans lesquels un certain Louis évoque une certaine Annie – prénoms l’un et l’autre étrangers à Camille, qui se laisse prendre de plus en plus passionnément au suspense entretenu par cette mystérieuse correspondance.

Toutes sortes de soupçons lui viennent à l’esprit, y compris celui du stratagème d’un auteur cherchant à tout prix à se faire publier – puisque Camille est éditrice. Les soupçons, et aussi la peur. Camille est enceinte, et « n’importe quelle femme enceinte aurait été troublée à la lecture de ces lettres ». Au fur et à mesure, l’enfantement et la mort se mêlent étroitement dans le récit morcelé qui s’impose à la destinataire. « Une naissance appelle une mort ».

Roman, francophone, Hélène Grémillon, Plon – JC Lattès, Folio, Jean-Pierre LongreLe lecteur, dans un mouvement parallèle, se laisse saisir par les révélations successives dont il ne doute pas, au bout d’un moment, qu’elles impliquent la naissance et l’existence mêmes de Camille, à travers les mystères de ses origines. Les récits épistolaires s’emboîtent les uns dans les autres, selon une structure narrative diversifiant les points de vue et reconstruisant habilement le passé ; un passé familial qui, s’inscrivant sur celui de la guerre de 39-45, prend une dimension à la fois personnelle et historique ; un passé d’autant plus angoissant que les sentiments et les événements intimes fondent leur drame dans le drame collectif.

Voilà un roman captivant, au sens premier du terme : captif de l’intrigue, le lecteur, comme l’héroïne, doit aller jusqu’au bout, jusqu’aux tout derniers mots, s’il veut s’en libérer.

Jean-Pierre Longre

www.plon.fr

www.folio-lesite.fr

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12/12/2012 | Lien permanent

Fruits défendus

Roman, francophone, Geoffrey Lachassagne, Aux Forges de Vulcain, Jean-Pierre LongreGeoffrey Lachassagne, Et je me suis caché, Aux Forges de Vulcain, 2012

Il est des histoires d’enfants et d’adolescents qui ne disent pas grand-chose aux adultes, ni même aux premiers intéressés. Celle de Titi et Jérémie « parle » au sens plein du terme, et en tout cas ne peut laisser le lecteur indifférent, quel que soit son âge. Ce sont leurs voix mêmes que l’on entend, avec leurs mots, leurs phrases, leurs cris, leurs rires, leurs pleurs, leurs prières, leur lyrisme, les voix d’enfants plutôt perdus dans un monde dont, sur le mode brutal ou sur le mode affectueux, ils se sentent rejetés, et qu’ils cherchent à fuir, d’une manière ou d’une autre.

Ils vivent avec une grand-mère à la fois intraitable et possessive, adepte d’une secte dans laquelle elle les a introduits tout naturellement. Titi, 14 ans, attend le retour du grand frère Jules (qui deviendra vers la fin le troisième protagoniste, prenant à son tour la parole) ; Jérémie, 7 ans, fait cohabiter dans ses rêves les prophètes, les Indiens, les Infidèles, Yahweh… Désorientés, sevrés d’amour, ils errent, rêvent, font des projets fous et flous. « J’avais tout qui me bouillonnait dans la tête, en désordre ». Ils rencontrent d’autres êtres aussi perdus qu’eux, et vivent en leur compagnie des aventures inattendues, exaltantes et frustrantes, des aventures qui leur font toucher du doigt les vérités de la vie.

Car, sans en être conscients, c’est une quête qu’ils mènent, une quête de vérités que les adultes ne peuvent ni concevoir ni transmettre. « Et si les adultes étaient un peu moins cons, ils l’écouteraient, et alors ils comprendraient peut-être un peu de ce qu’ils répètent comme des perroquets en réunion ». Sur fond biblique, semi-rural, semi-urbain, Et je me suis caché mêle narration et poésie, veille et rêve, réalisme et imaginaire, et les héros recréent pour ainsi dire la Création, retrouvant mine de rien les origines mythiques de l’humanité – qui a osé toucher au fruit de l’arbre interdit.

Jean-Pierre Longre

www.auxforgesdevulcain.fr    

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11/02/2013 | Lien permanent

Une assourdissante absence

Récit, autobiographie, Pascal Herlem, Gallimard, L’arbalète, Jean-Pierre LongrePascal Herlem, La soeur, L’arbalète Gallimard, 2015

Le premier mot du titre, en deux lettres, en dit déjà long : ni « ma », ni « notre » ; « la » sœur n’appartient à personne, à peine à la famille, cette « sœur aînée, presque une inconnue. Une sœur qu’en croyant bien faire on a lobotomisée », cette sœur dont l’auteur écrit : « Je l’ai toujours connue ainsi, absente ».

Absente, mais sans cesse présente d’une manière ou d’une autre, pendant et après l’enfance, dans une famille dominée par « la » mère (toujours cette non appartenance). Pascal Herlem puise dans ses souvenirs d’enfant et d’adulte, mais aussi dans trois récits laissés par la mère, « trois récits glaçants » qui composent quelque peu avec la vérité, sans occulter les faits : la lobotomie qui ne résoudra rien, les hospitalisations, les périodes de crise, la disparition de Françoise dans différentes maisons où elle restera enfermée loin de ses deux frères qui paraissent s’accommoder de cette absence, de ce silence en réalité assourdissant. Une sorte de mort par anticipation – et la découverte finale en est pour ainsi dire une attestation.

Racontant l’histoire de Françoise, l’auteur raconte sa propre histoire et celle des siens, remontant aux « origines » d’une famille déclassée, dans laquelle la bâtardise, la mort, la folie voudraient être effacées par les rêves de réhabilitation sociale de la mère, comme par les « arrangements », les non-dits et l’enfouissement des secrets. De surcroît, l’étrange (ou compréhensible ?) effacement du père devant l’omniprésence de la mère est une constante, jusqu’à la fin : « Papa n’est pas là, il est ailleurs, on ne sait pas où ». Bref, tout cela méritait d’être raconté, et Pascal Herlem le fait avec une courageuse sincérité, sans complaisance mais sans animosité, avec une sensibilité tout en retenue qui n’exclut ni la prise de distance, ni l’esquisse d’explications socio-psychologiques, ni, surtout, un travail de mise en ordre littéraire. La force du sujet et de son traitement qui laisse percer de tendres et tenaces regrets, le choix précis des mots, la belle et suggestive limpidité du style font de La sœur un livre que l’on ne peut oublier.

Jean-Pierre Longre

www.gallimard.fr

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05/12/2015 | Lien permanent

Dans l’opacité du monde

nouvelle, Espagnol, Argentine, Mario Capasso, Frédéric Gross-Quelen, La dernière goutte, Jean-Pierre LongreMario Capasso, Pierres blessées, traduit de l’espagnol (Argentine) par Frédéric Gross-Quelen, La dernière goutte, 2014 

Il l’avait prouvé avec L’immeuble, publié en français en 2012 chez le même éditeur, Mario Capasso a l’art de transfigurer la vie quotidienne, d’en pousser les moindres banalités, les plus petites aspérités jusqu’à l’aberration, jusqu’à l’absurde. Dans un registre un peu différent, les vingt nouvelles de Pierres blessées confirment cette aptitude à la métamorphose du réel – ce réel auquel sont confrontées les petites gens, avec leurs soucis et leurs satisfactions ordinaires, tel Segovia, tout nouveau retraité répondant à qui lui pose la question de ce qu’il va faire de sa vie : « Rien ! Voilà ce que je vais faire. Rien dans les mains ! Rien dans les poches ! Comme les magiciens ! Vu ? ».

En l’occurrence, la magie réside non seulement dans ces riens, petits ou grands, mais aussi dans la prose de Mario Capasso, qui suggère sans les dévoiler complètement les mystères que recèle l’existence humaine. Chaque récit, drôle ou tragique, cruel ou plaisant, comporte ses doses d’absurde, d’onirisme, d’humour noir ou gris, et laisse à chacun le soin de débrider son imagination, se céder à la surprise, de déployer son rire, d’espérer un peu, même d’une manière infime (les pierres sont « blessées », non brisées). Une nouvelle peut très bien se terminer par « un faux numéro qui va donner à l’histoire un tour inattendu. ». Le point apparemment final ne l’est que pour la syntaxe, pas pour le lecteur. Les questions restent posées, dont les réponses sont contenues dans la conjonction entre ce qui est écrit et ce qui court en filigrane : confusion des époques, des êtres, des faits, des objets, des sentiments, des actions, confusion dans laquelle se nichent les vérités qui nous échappent mais dont on sait qu’elles sont là, quelque part.

Alors laissons faire les mots, les phrases, laissons la parole aux personnages et à leur créateur (aussi, pour l’occasion, au traducteur). Jouons le jeu de la narration, et l’étrange prose de Mario Capasso nous permettra de distinguer quelque chose dans l’opacité du monde, tout en goûtant le plaisir de la lecture.

Jean-Pierre Longre

www.ladernieregoutte.fr   

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07/03/2015 | Lien permanent

« Le mystère d’Edward Hopper »

nouvelle, francophone, peinture, Edward Hopper, Michel Arcens, Alter égo éditions, Jean-Pierre LongreMichel Arcens, La maison d’Hannah et autres fictions, Alter Ego Éditions, 2015 

Les vingt textes que Michel Arcens propose « dans la lumière d’Edward Hopper » ne sont ni des descriptions ni des commentaires de tableaux. Serait-il d’ailleurs possible pour un écrivain de traduire en mots ce que seule la peinture sait dire et sous-entendre ? L’artiste lui-même jugeait vaine toute tentative de ce genre. Non : l’intention avouée de Michel Arcens est de « pénétrer dans la peinture de Hopper » en lui apportant une part « mystérieuse », « inconnue », secrète de soi-même.

Pas de méprise : il ne s’agit pas de confession intime, de journal personnel ou esthétique. Il s’agit de rester dans les limites imposées par les toiles ici reproduites, dans leur immobilité, leur luminosité, leurs couleurs, leurs perspectives, leurs motifs (personnages en attente, bâtisses isolées, étendues marines ou campagnardes, paysages citadins…). Mais dans ces limites mêmes, la profondeur des tableaux sollicite l’imagination, la puissance du rêve, le mouvement narratif, qui eux-mêmes suscitent la poésie et le récit.

Cela donne des nouvelles qui sont comme des illustrations verbales, de délicats prolongements de l’œuvre peinte, et qui provoquent chez celle-ci des pulsions parfois inattendues. De ces toiles qui en surface paraissent figées (ce que confirment le style et la teneur des extraits descriptifs), l’auteur sait, à partir de sa propre expérience, de sa sensibilité personnelle et de références littéraires identifiées, extirper l’histoire singulière de personnages plus ou moins inventés, les sensations physiques, les mouvements de la nature cosmique, minérale, végétale, ceux du temps qui passe, voire les parfums, la musique et la danse. Illusions ? Sans doute, mais illusions heureuses. Hannah a disparu, mais : « C’est un prodige étrange qu’Hannah soit ici, maintenant, présente, vibrante, heureuse. Elle passe lentement ses doigts sur mes paupières, puis ma bouche, jusqu’au menton. Elle pose ses lèvres sur les miennes, entrouvertes de tant de merveilles… ». Ces merveilles, ce sont celles de la peinture et de l’écriture conjuguées.

Jean-Pierre Longre

https://leseditionsalterego.wordpress.com   

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03/12/2015 | Lien permanent

Roman sans paroles

Bande dessinée, Wilfrid Lupano, Grégory Panaccione, éditions Delcourt, Jean-Pierre LongreWilfrid Lupano, Grégory Panaccione, Un océan d’amour, Delcourt/Mirages, 2014

Prix BD Fnac 2015

 

C’est l’histoire d’un petit pêcheur breton qui, parti de grand matin comme chaque jour, subit un accident peu commun : son rafiot se fait prendre dans les filets d’un énorme chalutier. En vrai capitaine courageux, il laisse son matelot se sauver sur le canot de secours, tandis que lui-même reste sur sa coque de noix dangereusement suspendue au flanc du navire. Pendant ce temps, son épouse, rongée d’inquiétude mais forte femme, ne reste pas à se morfondre : elle se met à enquêter sur ce qui a pu arriver à son petit mari chéri. S’ensuivent toutes sortes d’aventures, pour l’un comme pour l’autre, entre leur point de départ et Cuba, avant un happy end bien mérité pour ce couple à la fois simple et hors normes, pour qui l’océan est bien un vaste champ d’amour.

L’originalité de cet album à la fois touchant, drôle, haletant, tourmenté, réside bien sûr dans les aventures inattendues de nos deux héros, mais aussi dans sa facture : tout n’est raconté qu’en images, comme dans un film muet. Aucun phylactère, aucun texte narratif ou descriptif, pas un mot. Et l’on comprend tout – du moins tout ce qu’il y a à comprendre, car il faut bien un peu de mystère, quand même, dans la vie présente et passée, dans la réalité et dans le rêve –. On est pris par le graphisme, l’expressivité des visages, les gestes des corps, les mouvements de la nature, des êtres, des objets… On suit, rempli d’émotion, le fil des événements où il est question non seulement de pêche et de tempête, de séparation et d’amour, mais aussi de sardines (fraîches ou en boîte), de mouettes, de pirates, de croisière, de cuisine, de danse, de pétrole, de Fidel Castro en personne, d’avion… Tout est là pour tenir le lecteur en haleine, tout, sauf les paroles, dont on se passe bien.

Jean-Pierre Longre

www.editions-delcourt.fr

http://gregorypanaccione.blogspot.it

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Ouvrir les volets

Poésie, francophone, allemand, italien, Pierre Autin-Grenier, éditions En Forêt / Verlag Im Wald, Jean-Pierre LongrePierre Autin-Grenier, Légende de Zakhor, Éditions En Forêt / Verlag Im Wald, 2002

 

Il est nécessaire d’ouvrir les volets pour découvrir les dix petits triptyques qui composent le précieux volume de la légende de Zakhor. Dix textes en trois versions, française, allemande et italienne (c’est le principe de la collection « Sentiers », dont cet ouvrage constitue le onzième volume).

 

On connaît le Pierre Autin-Grenier narrateur, chroniqueur et rêveur de la vie quotidienne ; on connaît moins le poète. Ici, la poésie (en prose) est la dominante, même si le récit affleure à chaque pas. Une poésie des couleurs (à commencer par le bleu), des sonorités (celles des mots comme celles de la nature), une poésie du souvenir (« Zakhor » en hébreu signifie « Souviens-toi »), de l’énigmatique, du merveilleux, de la terre et des soirées paysannes. Le vin et l’ivresse, la mer et la mort, la nuit et les oiseaux, le temps et les choses de la vie, les portes et les fenêtres qui s’ouvrent... Thèmes et motifs se combinent dans une écriture où chaque mot est pesé, où chaque phrase résonne d’harmoniques et de vibrations. Chacun des titres est prometteur d’une « présence », d’une « vision », d’un « voyage », d’une ouverture vers un monde qui se recrée à chaque instant, par le jeu de la mémoire et de l’imagination, et aussi par celui de la parole. Ainsi, « le monde peut continuer », et Rimbaud n’est pas loin lorsque « nous descendons des fleuves somptueux, lovés dans la petite barque de l’imaginaire ». Ainsi peut s’abolir le quotidien dans l’invention d’îles « incertaines », dont la conquête instaurera la vie réelle. La mémoire de la nature, d’un « âge d’or » est porteuse d’un avenir, grâce à « celui qui est, de toujours, parmi nous et qui jamais ne décevr[a] notre attente ».

 

Légende de Zamkhor, dix poèmes en prose qui ne se satisfont pas d’une lecture superficielle. En même temps, se laisser conduire par cette prose poétique relève du vrai plaisir de la lecture, celui qui laisse au fond de nous quelque espoir inexplicable.

 

Jean-Pierre Longre

 

www.verlag-im-wald.de/francais

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01/07/2010 | Lien permanent

Les « chemins de traverse » de l’écriture

Roman, francophone, Éric Fottorino, Gallimard, Jean-Pierre LongreLire, relire... Éric Fottorino, Trois jours avec Norman Jail, Gallimard, 2016, Folio, 2017 

« L’écriture est un chemin aussi imprévisible que le vol d’un papillon. ». Vérité absolue ou assertion de circonstance ? C’est en tout cas ce que Norman Jail, écrivain retiré du monde, qui a publié un seul roman dans sa jeunesse, répond à l'étudiante venue s’entretenir avec lui. Il s’avère toutefois que sa bibliothèque est remplie de ses propres manuscrits signés de noms différents. « L’important est que chaque signataire est une part de moi. Nous ne sommes pas des êtres stables. Êtes-vous la même personne que ce matin ? Par moments, assez longs il est vrai, je suis Norman Jail. D’autres fois, je suis plus que jamais Alkin Shapirov, ou Omar Sen, et parfois encore, le temps d’écrire le pire en rêvant du meilleur, je suis le nom de mon état civil. ».

Écrivain mystérieux, donc, qui n’hésite pas à dévoiler à celle qui est venue l’interroger avec une certaine appréhension les arcanes de son art et l’utilisation qu’il fait des mots et de leurs résonances ludiques, poétiques et musicales. Étonnamment, lui qui a le souci de préserver ses secrets, confie à la lecture de l’étudiante son manuscrit La vie arrive deux fois – titre énigmatique qui s’éclairera peu à peu à la lecture – non sans l’avertir : « “Écrire″ contient “crier”, n’est-ce pas ? Dans “écrire″, il y a “rire”, aussi. Écrire c’est rire, lança-t-il d’un air sinistre. Et rire est une autre façon de pleurer. ».

roman,francophone,Éric fottorino,gallimard,jean-pierre longreAlors, peu à peu, le lecteur découvre (ou tente de découvrir) avec Clara se qui se cache sous l’étrange manuscrit composé uniquement de chapitres 1… Norman Jail et Clara deviennent personnages du manuscrit comme du livre d’Éric Fottorino, observateurs, créateurs et acteurs d’une fiction qui met dramatiquement l’Histoire collective et l’histoire familiale en perspective. Récit tortueux, fait de va-et-vient, de repentirs, de reprises, Trois jours avec Norman Jail est un dialogue littéraire plein de rebondissements didactiques, un récit à tiroirs plein de pièges narratifs, un roman avec lequel on aime se perdre dans les sinuosités des « chemins de traverse » de l’écriture.

Jean-Pierre Longre

www.gallimard.fr

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20/11/2017 | Lien permanent

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