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Rechercher : les mots du spectacle en politique

Risques épistolaires

: Roman, francophone, Philippe Besson, Julliard, 10/18, Pocket, Jean-Pierre LongreLire, relire… Philippe Besson, Se résoudre aux adieux, Julliard, 2007, 10/18, 2008, Pocket, 2022

Abandonnée par l’homme qu’elle aimait, Louise parcourt le monde (Cuba, New York, Venise, Paris), en quête d’on ne sait quoi : l’oubli (de soi, de l’autre) ? le renouveau ? la certitude ? Mais elle sait bien qu’aimer, « c’est prendre des risques ». Apparemment, elle tente de les reprendre, ces risques, par correspondance. Le livre entier est composé des lettres que depuis ses résidences lointaines elle adresse à Clément.

: Roman, francophone, Philippe Besson, Julliard, 10/18, Pocket, Jean-Pierre LongreCes lettres rassemblent « les pièces dispersées d’un puzzle », celui de la vie amoureuse, des instants de bonheur et de doute, elles effectuent des retours sur un passé en dents de scie, sur la vie à deux, sur la solitude. Roman épistolaire à sens unique (aucune réponse ne parviendra, Louise en est vite persuadée), Se résoudre aux adieux tisse des variations sensibles et subtiles sur la désillusion, sans fermer la porte à l’espoir.

Jean-Pierre Longre

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20/03/2022 | Lien permanent

Le roman d’Agnès et William

roman, anglophone, Maggie 0’Farrell, Hamnet, Sarah Tardy, Belfond, Jean-Pierre LongreLire, relire... Maggie O’Farrell, Hamnet, traduit de l’anglais (Irlande) par Sarah Tardy, Belfond, 2021, 10/18, 2022

Nous sommes à Stratford dans les dernières années du XVIe siècle. Agnès a le don de soigner des maladies grâce aux plantes qu’elle ramasse dans les bois environnants. En butte à la mauvaise humeur de sa marâtre, elle tombe amoureuse du précepteur de ses demi-frères – sentiment qui va se révéler partagé. Elle épouse donc, malgré les obstacles, celui qui ne sera jamais nommé, mais dont on devine rapidement l’identité : William Shakespeare, fils d’un gantier connu, notable de la localité, qui règne en despote sur sa famille. Le couple va vivre dans une dépendance de la maison familiale, et trois enfants vont naître : Susanna, puis Judith et son jumeau Hamnet, que la maladie (la « pestilence ») va emporter alors qu’il est encore enfant.

roman,anglophone,maggie 0’farrell,hamnet,sarah tardy,belfond,jean-pierre longreComment se remettre de la mort d’un enfant ? Pour Agnes, le temps est au désespoir de n’avoir pas décelé la maladie de son fils, de n’avoir pu le sauver malgré ses talents de guérisseuse, d’autant que son époux va passer la majeure partie de sa vie à Londres occupé à des affaires mystérieuses. « Quelque part au fond d’elle, Agnes aimerait pouvoir remonter le temps, le reconstituer, le rembobiner comme une pelote de laine. Elle aimerait faire tourner le rouet à l’envers, défaire l’écheveau – la mort d'Hamnet, son enfance, sa petite enfance, sa naissance – pour revenir à ce moment où elle et son mari s’étaient unis dans ce lit et avaient conçu des jumeaux. » À quoi bon continuer à faire le ménage, cuisiner, soigner les gens qui viennent lui demander de l’aide ? Il y a bien sûr ses deux autres enfants, Mary sa belle-mère, Bartholomew son frère attentionné, les lettres qu’elle reçoit de Londres… Mais le souvenir du petit garçon est toujours là, plus que le souvenir même : l’image de celui qu’il serait devenu, et qu’elle tente de construire en observant Judith, sa jumelle. Elle ne se doute pas que, sous des dehors distants, son mari est lui aussi hanté par la figure de son fils, qui lui inspirera l’une de ses pièces les plus célèbres.

Même si son intrigue est fondée sur certains faits réels, Hamnet est un roman. Et plus encore que celui d’Hamnet, c’est le roman d’Agnes, cette jeune femme aux « étranges pouvoirs », dont l’autrice raconte le mythe, décrypte le comportement énigmatique avec une empathie profonde. Les rappels historiques servent à la fois l’imaginaire et l’analyse socio-psychologique. L’action souvent pathétique et dramatique n’occulte pas les silhouettes de personnages parfaitement campés dans leur individualité. La vie dans la nature animée, et plus tard la découverte de l’agitation urbaine par une Agnes abasourdie donnent lieu à des descriptions aussi précises que mouvementées. Dans un style qui ne laisse rien au hasard, avec un luxe de détails mêlant histoire et fiction (comme chez Shakespeare), Maggie O’Farrell crée des destinées auxquelles on ne peut que s’attacher. De ce beau roman, le théâtre n’est pas très éloigné.

Jean-Pierre Longre

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25/04/2022 | Lien permanent

Cahoteuses et chaotiques

Théâtre, Ukraine, Russie, Afghanistan, Rromani, Bulgarie, Natalka Vorojbyt, Iryna Dmytrychyn, Sergueï Guindilis, Boris Czerny, Vitkine, Kaveh Ayreek, Guilda Chahverdi, Jovan Nicolić, Ruždija Russo Sejdovič, Marcel Courthiades, Hristo Boytchev, Roumiana Stantcheva, Jordan Plevneš, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreNatalka Vorojbyt, Mauvaises routes, traduit de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn, éditions L’espace d’un instant, 2022

Le premier des six tableaux qui composent cette pièce est le monologue d’une journaliste venue se rendre compte de ce qu’il se passe sur le front du Donbass. « Qui ne veut pas aller au front ?! Tout le monde veut aller au front. Je l’ai décidé avant même d’y réfléchir. » C’est Serhig, combattant endurci et bel homme, qui l’y emmène en lui racontant ses propres tribulations. Témoignage vivant, brève histoire de guerre et d’amour qui se terminera, elle le sait, par « une séparation lente et terrible. »

Les fragments suivants, extensions dialoguées du premier, mettent en scène des personnages divers, dont la variété des situations n’occulte pas ce qu’ils ont en commun et qui forme à la fois l’arrière-plan constant et l’immédiateté scénique : la guerre, les dangers et les tensions qu’elle engendre. De toutes jeunes filles, assises sur un banc près d’une supérette, bavardent, se disputent, se racontent leurs amours (« Comme Roméo et Juliette : tout le monde est contre nous, et nous on est contre le monde entier. »), leurs révoltes (« Je ne veux pas regarder la télé russe. / On regardera autre chose. / Il n’y a rien d’autre. ») et expriment leurs peurs devant les explosions. Un directeur d’école tente de s’extirper d’une situation et d’une attitude qui le rendent suspect aux yeux d’un commandant de « blockpost » – ivresse, passeport égaré, détention d’une arme -, ce qui occasionne au passage une profession de foi du militaire : « Personnellement, je combats pour que ma fille ne se réveille pas un jour au milieu de la guerre, comme vos enfants. Pour qu’elle ne se cache pas dans les caves, putain [...] Et puis je suis ici pour qu’un directeur d’école ivre ne transporte pas une kalachnikov dans son coffre… Pour que ce genre de directeur ne s’approche pas des enfants. On ne sait pas ce que tu leur apprends, là-bas, quelle patrie aimer, quel drapeau arborer. » Une femme médecin et un militaire roulent sur une route accidentée, et leur conversation agitée laisse entendre que le corps du mari mort au combat se trouve dans le coffre du véhicule. Situation tragique, qui n’empêche pas l’humour (noir) : « Ton père est encore en vie ? / Non. / Alors que Poutine est en vie. / Oui, j’aurais bien fait l’échange… / Impossible. / Je sais. / Ça t’ennuie si je me soûle ? / Si tu y tiens vraiment. Mais… / Je plaisante. C’est de l’eau. » Puis c’est une scène à la limite du soutenable entre « Lui », une brute enragée, et « Elle », qui tente de l’amadouer par tous les moyens, sentiments, ruse, brutalité en retour… Image de la dictature guerrière contre les valeurs démocratiques. Le dernier tableau, dont l’action se situe « avant la guerre », met face à face les scrupules et la cupidité, la générosité et la tentation d’en profiter. Prémices de batailles plus violentes.

Tous ces personnages, dont certains, comme des fils plus ou moins ténus, réapparaissent périodiquement et tracent un cheminement entre les scènes, suivent ces « mauvaises routes » cahoteuses et chaotiques qu’ils n’ont pas forcément prévu ou envie de suivre. L’art de la dramaturge leur donne une existence immédiate, tangible, profondément humaine, et nous, lecteurs ou spectateurs, partageons de près leurs angoisses, leurs révoltes, leurs vies à la fois dramatiques et si proches de la quotidienneté de toute vie, avec ses sourires et ses peurs. D’autant plus, bien sûr, que les événements décrits ici, datant d’il y a cinq ans (2017, création de la pièce), sont d’une brûlante actualité.

Jean-Pierre Longre

 

Autres parutions récentes aux éditions L’espace d’un instant :

 

Théâtre, Ukraine, Russie, Afghanistan, Rromani, Bulgarie, Natalka Vorojbyt, Iryna Dmytrychyn, Sergueï Guindilis, Boris Czerny, Vitkine, Kaveh Ayreek, Guilda Chahverdi, Jovan Nicolić, Ruždija Russo Sejdovič, Marcel Courthiades, Hristo Boytchev, Roumiana Stantcheva, Jordan Plevneš, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreSergueï Guindilis, Les voisins, traduit du russe par Boris Czerny, préface de Benoît Vitkine, 2022

« La réélection frauduleuse du président sortant, Alexandre Loukachenko, en août 2020, provoque une vague de manifestations pacifiques en Biélorussie. Les opposants au régime sont violemment réprimés. La pièce Les Voisins reproduit les témoignages d’hommes et de femmes emprisonnés, violentés ou contraints à l’exil par les forces de l’ordre biélorusses. Ils racontent ce qu’ils ont vécu et qui fait qu’ils ne seront plus jamais les mêmes qu’avant. En mai 2021, la première de la pièce au Teatr.doc de Moscou a été interrompue par la police.

Ce texte est le fruit du travail collectif d’un groupe d’artistes russes et biélorusses, dirigé par Sergueï Guindilis, metteur en scène, et composé de Daria Demoura, régisseuse et documentaliste, Ekaterina Finevitch, actrice de cinéma et de théâtre, et Ksenia Terechtchenko, dramaturge. Sergueï Guindilis, né en 1994 à Moscou, a étudié la philosophie, l’art dramatique et le cinéma documentaire, et a notamment organisé différents spectacles dans le cadre du cycle « Histoire des épidémies » au Teatr.doc. »

 

Théâtre, Ukraine, Russie, Afghanistan, Rromani, Bulgarie, Natalka Vorojbyt, Iryna Dmytrychyn, Sergueï Guindilis, Boris Czerny, Vitkine, Kaveh Ayreek, Guilda Chahverdi, Jovan Nicolić, Ruždija Russo Sejdovič, Marcel Courthiades, Hristo Boytchev, Roumiana Stantcheva, Jordan Plevneš, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreKaveh Ayreek, La valise vide, traduit du dari (Afghanistan) par Guilda Chahverdi, préface de Guilda Chahverdi ,2022

« Hamid et Maryam sont afghans, ils ont grandi en Iran. Leurs parents y avaient migré au début de la longue série des guerres afghanes dans les années 1980. Toute leur enfance, ils ont été bercés par la poésie et la description des beautés de leur terre d’origine. Dans les années 2010, une fois mariés, Hamid et Maryam décident de retourner en Afghanistan. Ce retour leur semble essentiel pour offrir à leurs enfants la
légitimité d’une terre dont eux ont été privés. Leurs familles respectives tentent de les en dissuader : les habitants de ce pays sont des loups. Mais le couple ne veut rien entendre. Il voyage par voie de terre pour voir enfin les paysages et rencontrer ses habitants. »

 

Théâtre, Ukraine, Russie, Afghanistan, Rromani, Bulgarie, Natalka Vorojbyt, Iryna Dmytrychyn, Sergueï Guindilis, Boris Czerny, Vitkine, Kaveh Ayreek, Guilda Chahverdi, Jovan Nicolić, Ruždija Russo Sejdovič, Marcel Courthiades, Hristo Boytchev, Roumiana Stantcheva, Jordan Plevneš, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreJovan Nicolić, Ruždija Russo Sejdovič, Carrousel pour les Tsiganes, traduit du rromani par Marcel Courthiades, préface de Marcel Courthiades, 2022

« Dans un café tenu par Yashar, Rrom de Prizren, se déroulent des événements du quotidien en période de conflit serbo-albanais, apportant de plus en plus de violence, de corruption, de haine absurde entre ennemis jurés, hier encore amis. La pièce illustre la souffrance morale des Yougoslaves écartelés entre nostalgie, compassion, haine(s), nationalisme(s), mensonges et manipulations. Si les personnages principaux sont rroms, symbolisant le peuple simple sans orientation nationaliste, les autres protagonistes apparaissent avec toutes leurs ambiguïtés.

Mais les auteurs traitent d’une destruction intérieure, qui n’épargne personne, et ne font pas le procès de l’une ou l’autre des forces en présence. « Quand les taureaux se battent, c’est l’herbe qui souffre le plus. »

Le texte a été créé en Allemagne en 2000 par Rahim Burhan et le théâtre Phralipe, principal théâtre rrom en Europe, et édité en 2004 à l’Espace d’un instant, sous le titre Kosovo mon amour. »

 

 

Théâtre, Ukraine, Russie, Afghanistan, Rromani, Bulgarie, Natalka Vorojbyt, Iryna Dmytrychyn, Sergueï Guindilis, Boris Czerny, Vitkine, Kaveh Ayreek, Guilda Chahverdi, Jovan Nicolić, Ruždija Russo Sejdovič, Marcel Courthiades, Hristo Boytchev, Roumiana Stantcheva, Jordan Plevneš, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreHristo Boytchev, L’invasion, traduit du bulgare par Roumiana Stantcheva, préface de Jordan Plevneš, 2022

« Au fin fond de la campagne, retranchés dans leur maison transformée en bunker improbable, Luca, ses enfants Galilei le lunatique et Maria le garçon manqué, ainsi que Mattei, personnage velléitaire qu’ils hébergent, armés jusqu’aux dents, défendent leur bastion face à un ennemi invisible. Mattei courtise Maria qui le rabroue à coups de taloches, Galilei joue au somnambule, Luca règne en maître sur ce petit monde qui attend à longueur des jours, des mois, des années l’arrivée de l’envahisseur. Un jour, enfin, les collines alentour se couvrent de monde. Les envahisseurs sont là ! »

 

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07/05/2022 | Lien permanent

Comment ne pas s’en sortir

Roman, francophone, humour, Fabrice Caro, Sygne, Gallimard, Jean-Pierre LongreFabrice Caro, Broadway, Sygne, Gallimard, 2020, Folio, 2022

Le discours, Folio, 2020

Pourquoi avoir reçu « une enveloppe plastifiée bleue au bas de laquelle est inscrit : Programme national de dépistage du cancer colorectal », normalement adressée aux hommes âgés de cinquante à soixante-quatorze ans, alors que « j’ai quarante-six ans » ? C’est la question qui va tarauder le narrateur d’une manière obsessionnelle, alors qu’il tente de se dépêtrer des difficultés quotidiennes qui jalonnent la vie d’un homme d’aujourd’hui, marié, père de famille, et qui rêve de changements, de grands espaces et d’exaltations exotiques.

roman,francophone,humour,fabrice caro,sygne,gallimard,jean-pierre longre,folioLes difficultés ? C’est par exemple la convocation chez le chef d’établissement de son fils auteur d’un dessin mettant en situation compromettante deux de ses professeurs ; ou les prières que lui demande de faire sa fille abandonnée par son petit ami ; ou rendre l’invitation à l’apéritif de voisins encombrants ; ou encore envisager des vacances à Biarritz avec un couple d’amis de sa femme qui s’enthousiasment à l’idée de faire du « paddle » au bord de l’océan… Les rêves ? Séduire Mel, la professeure dessinée par son fils ; tracer sa route et parler foot en buvant l’apéritif avec des copains argentins « dans une ruelle del barrio de la Boca, attablé à la terrasse de mon café d’adoption »… et se sortir de ses fantasmes sanitaires, entre difficultés de prostate et « dépistage colorectal »…

On aura compris que le narrateur-protagoniste navigue entre illusions et velléités, fausses résolutions et promesses non tenues. Cela aurait pu donner un roman dramatico-psychologique. Mais le style alerte et enlevé de Fabrice Caro, son écriture ironique donnent une image à la fois humoristique et bienveillante de cet être socialement décalé, plutôt autocentré, mal à l’aise mais plein de bonne volonté, qui se dit « Il est urgent d’agir » mais n’agit pas, et qui souffre d’« un problème de communication », comme lui dit sa femme. C’est donc avec un plaisir jouissif non dénué de compassion qu’on lit les aventures d’un homme inadapté mais lucide. « Je me sens comme un de ces personnages hitchcockiens qui se retrouvent au cœur d’une intrigue d’envergure internationale alors qu’ils n’ont rien demandé, tout ça à cause d’un simple malentendu ».

Jean-Pierre Longre

 

roman,francophone,humour,fabrice caro,sygne,gallimard,Folio,jean-pierre longreAuparavant, Fabrice Caro avait publié dans la même collection Le discours, paru depuis en Folio.

Dans une veine du même ordre, nous avons affaire à une comédie à la fois franche et grinçante. Le temps d’un repas familial (belle unité de lieu et de temps), Adrien, le protagoniste-narrateur, se dévoile comme un personnage lui aussi décalé, et se comporte un peu comme Bartleby dans la nouvelle d’Herman Melville, celui dont le mantra est « I would prefer not do », « Je préférerais ne pas… ». Amoureux qui se sent délaissé, il se désintéresse de tout ce qui ne concerne pas Sonia, l’amour de sa vie.

« Je suis en train de manger du gigot et du gratin dauphinois alors que le fruit de mon tourment est ailleurs et qu’une fourchette menace à tout moment de grincer dans l’assiette et la discussion ne porte même pas sur l’amour, ou la poésie, ou le sens de la vie, non, on parle de chauffage au sol, de vacances en Sardaigne, de Jean-François, le fils du voisin, qui a fait construire, tu entends, Adrien, il a fait CONSTRUIRE. Pour ma mère, le monde se divise en trois catégories : ceux qui ont un cancer, ceux qui font construire et ceux qui n’ont pas d’actualité particulière. Entre ces deux, la construction et le cancer, pas grand-chose, une espèce de flottement, une parenthèse, un grand vise existentiel. » C’était un échantillon représentatif de ce roman délicieusement paradoxal : personnage déprimé, lecture roborative.

Jean-Pierre Longrer

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02/05/2022 | Lien permanent

La puissance de l’imaginaire

Nouvelle, francophone, dessin, Manuel Anceau, Ève Mairot, Ab irato, Jean-Pierre LongreManuel Anceau, Il y a un pays, dessins d’Ève Mairot, Ab irato, 2021

« Les rêves se disent et se perpétuent, bien qu’exprimer (fût-ce entre deux bouchées de pâté à la viande) ce qui n’est pas autre chose, après tout, qu’un fort sentiment de désarroi, ce soit tout aussi bien pleurer sur son propre sort. Qu’on me comprenne : on ne peut pas passer sa vie comme Livisse à avoir le nez en l’air. » Livisse (remarquez l’art de la déclinaison chez M anuel Anceau : il y a eu Livaine, Lormain, Lieuve, Louvet, il y aura Liviane, Lise, Livia, Yvonne, Ivor, Yvan…), Livisse, donc, le protagoniste de la première des douze nouvelles (quu donne son titre au recueil), après avoir été souffre-douleur dans son enfance, est devenu un adulte dont la force est celle des simples, ce qui lui permet d’aller « lentement, mais sûrement, vers le rêve bienheureux. »

La tonalité est donnée. Les récits qui suivent disent la puissance de l’imaginaire, tout en maintenant les personnages ancrés dans le réel (celui du « pâté à la viande », de la terre et de maints éléments de la vie quotidienne). Nous avons affaire, successivement, à Nils, rejeton d’une famille de grands bourgeois, fortement intéressé par les champignons vénéneux ; à trois condamnés attendant d’être fusillés au pied de la statue du glorieux « Leunuk », héros et « grand-père débonnaire » de la nation ; à un jeune conférencier qui se sort d’un mauvais pas d’une manière inattendue et lumineuse ; à un groupe d’enfants qui, sous la conduite autoritaire d’Irène, dix ans, construit une « arche » en prévision d’un hypothétique déluge, et la catastrophe qui survient n’est pas celle que l’on attendait ; à un homme dont la mère a sacrifié sa carrière de cantatrice, et qui le regrette ; au montage d’un télescope géant dans l’Himalaya, accompagné de querelles et de visions fantastiques ; à une fillette qui dit voir apparaître des fées, ce qui perturbe la fratrie ; aux souvenirs amoureux et aux regrets d’un homme âgé ; à la présence étrange et mystérieuse d’un marginal écrivant de non moins étranges phrases sur des bouts de papier devant les habitués d’un bistrot ; aux dramatiques retrouvailles d’un homme avec sa mère, qui avait dû l’abandonner lorsqu’il était enfant pour pouvoir survivre d’une manière inavouable ; à une découverte surprenante faite par un vieux célibataire qui, voulant quitter son « pays », résout une énigme ancienne…

Il y a des motifs communs, tels que la solitude, le désarroi, les vicissitudes de la vie, mais les situations, les personnages, les décors, les intrigues, les registres se signalent par leur variété – le tout périodiquement illustré par les dessins d’Ève Mairot qui, tout en étant suggestifs, mettent l’accent sur le mystère des silhouettes, des regards, du « pays » dont il est question. Et il y a le style de Manuel Anceau, dont on a déjà relevé certains aspects à propos de précédents ouvrages : phrases tout en volutes, interruptions, parenthèses, réitérations, anticipations… Une prose poétique apte à explorer les coins et les recoins du conscient et de l’inconscient, du réel et de l’imaginaire.

Jean-Pierre Longre

https://abiratoeditions.wordpress.com

Nouvelle, francophone, dessin, Manuel Anceau, Ève Mairot, Ab irato, Jean-Pierre LongreLes éditions Ab irato viennent de publier Toyen, petits faits et gestes d’une très grande dame, par Alain Joubert.

Chronique à venir !

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12/05/2022 | Lien permanent

Tragi-comédie familiale

Roman, francophone, Yasmina Reza, Flammarion, Jean-Pierre LongreLire, relire... Yasmina Reza, Serge, Flammarion, 2021, Folio, 2022

Certains écrivains sont aussi à l’aise dans l’écriture théâtrale que dans l’invention romanesque. L’art du dialogue, le mélange des registres, les mouvements de personnages bien campés, l’agencement précis de scènes en une répartition structurelle élaborée : ces caractéristiques scéniques sont aussi celles de la narration dans le dernier roman de Yasmina Reza.

« Je n’intéressais pas mon père. J’étais le bon garçon sans histoire, qui travaillait correctement, faisait tout comme son frère et n’avait aucune personnalité. Au contraire de Serge qui le rendait fou par ses opinions de blanc-bec, ses allures, sa fourberie, sa morgue et que lui en retour rendait fou à force de brutalité et raisonnements soi-disant édifiants, mais qui le surprenait, et peut-être même l’impressionnait. » On comprend ici (et ailleurs) pourquoi le livre s’intitule Serge. Celui-ci est le protagoniste, autour duquel gravitent son frère Jean (le narrateur), sa sœur Anne (Nana) et quelques autres personnages qui apparaissent au fil des scènes : Valentina, la compagne que Serge est en train de perdre, Luc, le fils de Marion, séparée de Jean, qui continue à s’en occuper comme de son propre enfant, Ramos, mari de Nana, avec laquelle il forme le seul couple stable de la fratrie, Joséphine, fille de Serge, qui va entraîner son père, son oncle et sa tante dans un voyage à Auschwitz. La visite du camp occupe une large scène centrale du roman, une scène dont la tonalité est représentative de celle de la plupart des autres. En ce lieu de toutes les cruautés, de toutes les souffrances humaines, les frères et la sœur vont se chamailler pour des peccadilles, se faire la tête, se brouiller même (Nana et Serge, qui boude de plus en plus), se moquer du beau-frère, bref se comporter comme si on était en vacances à la campagne. Et c’est aussi l’occasion, pour l’autrice à la verve acérée, de s’adonner par personnages interposés à une vive satire du tourisme de masse sur les lieux de mémoire tragique. Au milieu de cette agitation, Jean tâche de concilier les positions, mais en prend pour son grade et se fait traiter de lâche, et seule Joséphine, l’adolescente, reste fidèle à la charge de douleur que recèle le lieu.

roman,francophone,yasmina reza,flammarion,jean-pierre longreDe fait, tout le roman est sous-tendu par la mémoire familiale et, plus généralement, humaine. La famille Popper (famille juive laïque, dont certains comportements font penser à ceux que l’on rencontre chez Albert Cohen), est travaillée par les souvenirs – ou par leur absence : « Quand je regarde Nana, je cherche à retrouver la jeune fille qu’elle était. Je cherche dans les yeux, dans les mouvements du corps, le rire, même dans les cheveux, bref dans tout l’assemblage qui fait un être, les traces d’Anne Popper, fleur magique que ses frères exposaient au compte-gouttes dans les soirées pour renforcer leur prestige. Je ne trouve rien. » La maladie et la mort habitent un récit où l’enfance et la jeunesse tentent de prendre leur place. Entre les deux (voir la tirade impayable sur le yaourt, « le dessert de l’enfant et du vieillard »), des adultes à la vie mouvementée, aux actions décalées, à l’angoisse récurrente. Serge est un roman plein  e vie où la mort rôde à chaque coin de page.

Jean-Pierre Longre

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03/09/2022 | Lien permanent

S’évader vers les chefs d’œuvre.

:  bande dessinée, francophone, hergé, tintin, éditions moulinsart, géo, jean-pierre longreTintin c’est l’aventure n° 12, Patrimoine mondial. Trésors en danger ? Geo, éditions Moulinsart, juin-août 2022

Commençons par la fin : avant une interview de François Schuiten et Benoît Peeters à propos de leur album Bruxelles, Un rêve capital, « ode au patrimoine de la capitale millénaire de l’Europe », une question récurrente parce qu’importante est posée : « Mais où est donc la Syldavie ? » La Syldavie, « pays mosaïque », celui du Sceptre d’Ottokar, où l’on passe aussi en lisant Objectif lune, On a marché sur la lune, que l’on côtoie (en Bordurie) dans L’affaire Tournesol… Tenter de répondre à cette question, c’est faire le tour de pays européens au riche patrimoine, à commencer par la Roumanie, illustrée ici par une magnifique photo de la cité médiévale de Sighişoara. Les autres hypothèses ne sont pas à rejeter, loin s’en faut : Monténégro, Albanie, Serbie, Croatire, République tchèque, Pologne, Autriche, Hongrie, et même Angleterre et Belgique – ou un mélange de toutes ces régions. Bref, on n’a pas fini d’en discuter, et le magazine Géo a dressé une carte précise du pays…

:  bande dessinée, francophone, hergé, tintin, éditions moulinsart, géo, jean-pierre longreMais ce nouveau numéro de Tintin c’est l’aventure aborde bien d’autres thématiques concernant le patrimoine et des trésors en danger aussi divers que ceux qui figurent dans les albums d’Hergé. Monuments lointains ou proches, animaux exotiques, ruines diverses, musées, et aussi le château de Moulinsart (fortement inspiré de celui de Cheverny) amènent à poser des questions cruciales sur la notion de patrimoine (« construction sociale » selon la spécialiste Julie Deschepper), sur le tourisme de masse (genre « Joyeux Turlurons »), sur le drame que fut la déportation des Amérindiens – on en passe. C’est aussi l’occasion de lire une BD inédite d’Aude Mermillon et Louise Dupraz, et de découvrir, illustrations à l’appui, l’ « univers inimitable » du dessinateur-voyageur suisse Cosey.

:  bande dessinée, francophone, hergé, tintin, éditions moulinsart, géo, jean-pierre longreCe volume, où alternent textes, interviews, images, poursuit l’exploration de l’univers de Tintin, une exploration variée, approfondie, toujours passionnante, jamais épuisée. Et un univers qui est d’abord, mentalement et artistiquement, celui d’Hergé, qui confia à Numa Sadoul : « Si je me suis mis à voyager ce n’est pas seulement pour voir de nouveaux paysages, mais pour découvrir d’autres modes de vie, d’autres façons de penser ; en somme pour élargir ma vision du monde. »

Jean-Pierre Longre

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https://www.tintin.com

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07/10/2022 | Lien permanent

Le peintre et la Marguerite

roman,peinture,francophone,christian cogné,velvet,jean-pierre longreChristian Cogné, Toute fleur s’étalait plus large, Velvet, 2023

« Je ne t’aime pas du tout ! Je ne t’aime pas du tout ! Pas du tout ! Pas du tout ! Je ne t’aimerai jamais ! » Ce jour-là, après l’effeuillage d’une marguerite, Petru, petit garçon issu d’un viol et à cause de cela rejeté dès sa naissance par sa mère, chuta dans un précipice en essayant de fuir cette haine. Chute réelle, chute symbolique de l’abandon dans lequel fut laissé l’enfant qui, devenu adulte, sombra dans la déchéance, l’alcoolisme et la violence, avant de rencontrer un drôle de peintre à qui il dut sa métamorphose. C’est ainsi que Petru, sous l’exigeante houlette de Sam, devint un « peintre paysagiste » prometteur.

Chez lui, la passion de la peinture va de pair avec la quête libératrice de l’amour dont sa mère l’a privé. Avant de le quitter pour d’autres contrées, Sam, son maître, lui a écrit une lettre testament où il lui prodigue ses conseils : « Remonte le temps, Petru ! Fixe ta mère dans les yeux et libère-toi. Comment ? À toi de trouver le moyen. Il te faudra des années, je le crains, pour sortir du trou. […] Je te le prédis, tu retomberas et tu te relèveras tandis que tu te croiras mort. Lorsque sur la toile peinte, tu te verras apparaître et grandir au plus loin de la ligne de fuite, tu sauras que tu as gagné ta part d’éternité. Un jour, tu seras au même niveau que Vincent Van Gogh. » Programme démesuré, que Petru suit d’aventure en aventure, de rencontre en rencontre. On le voit accoudé au comptoir d’un bistrot de banlieue, racontant par épisodes à quelques habitués ses pérégrinations en France, aux États-Unis, en Roumanie, dans la ville de Braşov, d’où vient sa mère, et où « sa propre histoire s’enracinait. » Mais « sa vraie patrie était celle des métamorphoses, des formes qui en recouvrent d’autres et des traces qui se perdent en chemin. »

Tout au long du roman, la peinture, les tableaux, les fresques même, dans une mise en abyme du récit, et nécessairement les rencontres amoureuses, tout cela figure la mise en forme artistique de la Marguerite, celle qui va se construire jusqu’à l’effeuillage victorieux, jusqu’au « Je t’aime » que sa mère a toujours refusé de lui concéder. Cette Marguerite dont il aura eu la vision au moment de son sevrage alcoolique : « La Marguerite profitait de l’obscurité pour sortir de son cadre. Elle se faisait toute petite au début. Comme une femme vulnérable qui ignore dans quel milieu elle met les pieds. Puis, dans la clarté blafarde qui émanait d’elle, sa tête s’ouvrait sur une fleur géante qui se développait, se développait… Du cœur jaune de celle-ci jaillissait une créature à tête de femme et au corps de serpent. »

Dans Toute fleur s’étalait plus large (titre emprunté à un vers de Mallarmé), les aventures romanesques et sentimentales, les voyages et les rencontres sont les manifestations extérieures de l’inlassable quête d’amour de Petru, « sur maint charme de paysage », comme l’écrivait encore Mallarmé. L’art pictural, dans les détails duquel l’auteur n’hésite pas à entrer, comme pour nous faire participer à l’apprentissage progressif de son héros jusqu’à sa parfaite maîtrise des formes et des couleurs, jusqu’à l’accomplissement de l’œuvre, l’art pictural, donc, renferme les signes et les secrets de cette quête à laquelle nous, lecteurs, participons avec une émotion intense et un attachement profond pour un personnage qui, tout en se dévoilant, garde les mystères de son paysage intérieur.

Jean-Pierre Longre

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19/03/2023 | Lien permanent

Une enfance sous Ceauşescu

Bande dessinée, autobiographie, francophone, Roumanie, Da,iel Horia, éditions Paquet, Jean-Pierre LongreDaniel Horia, Je suis né roumain, éditions Paquet, 2023

« L’époque d’or », prétendait le régime roumain. Une époque bien difficile en réalité : les restrictions, les rationnements, les files d’attente devant les magasins, les coupures d’électricité, la délation, la méfiance mutuelle, l’indifférence, la corruption… C’est sur ce fond plutôt sombre que le petit Daniel a commencé sa vie. Devenu adulte, il cherche ses plus lointains souvenirs, qui « affluent, s’entremêlent et se chevauchent comme une vague colorée aux mille sons et sentiments. »

Alors ils s’égrènent, les souvenirs de l’adulte, à hauteur de l’enfant qu’il était entre 1984 et 1986. Une vie de garçon de 3, 4, 5 ans, entre ses parents et ses grands-parents – une mère aimante et inquiète qui, on l’apprendra, a tenu malgré les épreuves à mettre son enfant au monde, des grands-parents paternels et maternels au passé et aux personnalités différentes mais tous attentifs à leur petit-fils, dont ils s’occupent avec affection et avec la proximité que l’on trouvait dans la tradition roumaine. C’est pour le petit garçon la découverte de la nature (la montagne, le parc Cişmigiu de Bucarest, le magnifique jardin de l’un des grands-pères), du bricolage (avec l’autre grand-père), de l’amitié, mais aussi de la cruauté au jardin d’enfants, de la maladie et de la douleur, du monde des grands qui n’est pas sans secrets, sans failles…

Bande dessinée, autobiographie, francophone, Roumanie, Da,iel Horia, éditions Paquet, Jean-Pierre LongreC’est d’ailleurs avec subtilité que l’auteur, qui devenu adulte a su ce qui s’est passé dans la famille et plus généralement dans la société roumaine des années 1980, laisse à l’enfant ses propres soucis d’enfant. Les souvenirs ne sont pas seulement factuels : ils sont ceux des rêves, des préoccupations, voire des soupçons d’un petit garçon. Avec le réalisme du vécu, un réalisme par moments teinté d’humour (voir par exemple la scène du restaurant où aucun des plats figurant sur la carte n’est disponible, ou l’accueil rébarbatif des employées de magasin), et avec une sensibilité teintée de discrétion, les complexités de la mémoire sont parfaitement rendues par la narration et les dialogues, ainsi que par les images colorées, lumineuses, souriantes, tendres, avec parfois de tragiques contrastes – le gris et le noir de la souffrance, les vifs éclats de la colère ou la brusquerie des catastrophes (celle de Tchernobyl, dont le nuage radioactif arrivant sur Bucarest ponctue l’album). Je suis né roumain est une belle autobiographie, qui éveillera la nostalgie ou les regrets de ceux qui ont vécu une enfance comparable, qui à d’autres apprendra un certain nombre de choses, et qui pour tous combine les plaisirs de la lecture graphique, historique, psychologique et littéraire.

Jean-Pierre Longre

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Daniel Horia sera présent :

À Lyon le 9 mars : Libraire Expérience de 16:00 à 19:00.
À Montbrison le 10 mars : Librairie D'une Bulle à l'Autre de 14:30 à 18:30.
À Vienne le 11 mars : Librairie Les Bulles de Vienne à partir de 10:00

 

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04/03/2023 | Lien permanent

Violences familiales et sombre passé

roman, policier, islande, arnaldur indridason, Éric boury, éditions métailié, Jean-Pierre LongreLire, relire... Arnaldur Indridason, Le mur des silences, traduit de l’islandais par Éric Boury,  Métailié, 2022, Points 2023

Konrad, ancien inspecteur opiniâtre et tourmenté, va mener une double enquête qui le plongera dans un sombre passé. Certes, il n’est pas officiellement habilité à faire ces investigations, qui vont lui attirer la méfiance des éventuels témoins, et même l’hostilité de ses anciens collègues, mais il va passer outre les contrariétés, voire la légalité.

La première affaire concerne la découverte d’un squelette emmuré dans la cave d’une maison où plusieurs occupantes antérieures se sentaient mal à l’aise, avec parfois le sentiment d’étouffer – ce qui n’étonne pas Eyglo, amie de Konrad un peu médium, un peu magnétiseuse. Ce qui s’est passé entre les membres d’une famille ayant naguère habité cette maison va peu à peu se dévoiler, d’une manière de plus en plus terrible. La seconde affaire tient plus à cœur à Konrad : il s’agit du meurtre de son père, il y a bien longtemps, devant une entreprise de fumoirs à viande. L’assassin n’avait pas été retrouvé, et plus personne ne se posait de questions ; mais comme Konrad, qui avait menti lorsque, enfant, il avait été interrogé par la police, en est venu à être soupçonné, ainsi que sa mère, il décide de reprendre l’enquête, au moins pour se disculper. Il faut dire que le père, délinquant et alcoolique, particulièrement violent avec les siens, avait fait subir des sévices inavouables à sa fille, et que la police pense à une vengeance familiale.

roman,policier,islande,arnaldur indridason,Éric boury,éditions métailié,Points,jean-pierre longreAlors qu’il pourrait profiter un peu de sa retraite, Konrad, tenace et obstiné, va passer son temps entre ces deux meurtres lointains, interrogeant le plus de monde possible, poussant les témoins ou leurs enfants dans leurs retranchements, se fâchant avec certains d’entre eux, et même avec son propre fils, plongeant dans les turpitudes humaines, les relations malsaines et les atmosphères glauques, ce qui n’est pas fait pour le libérer de ses obsessions. Arnaldur Indridason, comme toujours, sait entretenir le suspense, faisant monter tour à tour l’angoisse et l’espoir en ménageant une savante alternance entre le passé et le présent, entre les actes et les pensées, entre la cruauté et la sensibilité humaines, et entre les deux affaires qui, étrangement parallèles, ont peut-être quelque chose à voir l’une avec l’autre. Un grand art du polar, avec un protagoniste qui, défauts et qualités mêlés, pris par ses mensonges et dévoré par sa recherche de la vérité, a tout pour rester très humain.

Jean-Pierre Longre

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11/03/2023 | Lien permanent

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