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Rechercher : les mots du spectacle en politique

Intimités littéraires

J. Garcin.jpgJérôme Garcin, Les livres ont un visage, Mercure de France, 2009, rééd. Folio 2010, avec une postface de l’auteur

Jérôme Garcin n’est pas seulement un critique ; il est aussi un écrivain au vagabondage élégant et amical. Dans Les livres ont un visage, comme le titre l’indique, il nous présente des œuvres littéraires, les analyse même au passage, mais il leur donne figure humaine, au fil de ses rencontres.

C’est ainsi que nous entrons dans l’intimité des auteurs ici présentés, que nous nous immisçons dans les conversations qu’ils tiennent avec leur visiteur, que nous pénétrons dans leurs maisons, que nous participons à leurs repas, à leurs promenades, à leurs joies et à leurs souffrances… Il ne s’agit pas seulement de satisfaire une curiosité qui, somme toute, est légitime, mais surtout de percer, un tant soit peu, les secrets de l’esprit créateur, en pleine possession de ses moyens ou à son crépuscule ; de connaître un peu mieux les personnalités les plus notoires (Julien Gracq, François Nourissier, Jules Roy, Jacques Chessex…), et en outre d’entrevoir des figures plus discrètes, à l’image, par exemple, de celle de Jacques Chauviré. Il ne s’agit pas non plus, pour l’auteur, de nous entraîner du côté de Sainte-Beuve et de ses biographies monumentales fourmillant de détails, ni, à l’inverse, du côté de Proust qui prônait la séparation radicale entre la vie sociale et la création artistique ; de ces pages surgissent non des théories littéraires, non des entretiens académiques mais, comme par enchantement, au gré des conversations et des confidences, des silhouettes à la Sempé, que l’on sent à la fois proches et lointaines, très humaines et emplies des mystères que recèlent les œuvres.

Avec cela, Jérôme Garcin dévoile ses amitiés, ses goûts, ses penchants pour tel ou tel paysage, pour tel ou tel auteur, pour Jean Prévost, pour les cavaliers et cavalières, pour les chevaux… Après ceux de Littérature vagabonde (1995), Les livres ont un visage met en scène vingt-sept autres écrivains (vingt-huit exactement, puisque la postface y ajoute Patrick Modiano – comme si sa timidité l’avait initialement laissé à l’écart des autres), des écrivains qui deviennent eux-mêmes les personnages attachants d’une fiction aux multiples visages.

Jean-Pierre Longre

www.folio-lesite.fr

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01/12/2010 | Lien permanent

Écriture rétrospective

get_photo.jpgOuLiPo, Moments oulipiens, Le Castor Astral, 2004

 

Que sont les « moments oulipiens » ? « Une sorte d’autobiographie collective de l’auteur collectif qu’est L’Oulipo », comme l’écrit Jacques Jouet ? Une espèce de suite d’ou li po 1960-1963 (Christian Bourgois éditeur, 1980), comptes rendus scrupuleux faits par Jacques Bens des réunions du groupe au cours de la période indiquée ? Projet romanesque de Raymond Queneau (découvert par Jacques Roubaud) transformant des personnes bien réelles, identifiées au moins par leurs initiales et par la table des matières, en matériau narratif et en personnages fictifs ? Reconnaissance de « traits de famille » (la famille Quenouillard) ? Quoi qu’il en soit, Anne F. Garréta avoue, à l’instar du secrétaire définitivement provisoire Marcel Bénabou, que « le moment oulipien n’est pas une forme », qu’il est « le moins oulipien des pratiques scripturaires », ce à quoi Paul Fournel répond par anticipation : « Il y a des moments oulipiens dont on voudrait se souvenir davantage. Il faut dire à leur décharge, qu’ils ne deviennent « moments » que plus tard. Sur le coup, ils sont légers comme la vie et se tissent dans la toile des choses communes ». En tout cas, « on ne se baigne jamais deux fois dans le même moment oulipien » (vérité bien sentie par Anne F. Garréta encore).

 

Trêve de citations. À l’abri des figures tutélaires de François Le Lionnais, Raymond Queneau et Georges Perec, onze oulipiens (dans l’ordre d’entrée en scène Jacques Roubaud, Marcel Bénabou, Paul Fournel, Harry Mathews, François Caradec, Jacques Jouet, Hervé Le Tellier, Bernard Cerquiglini, Michelle Grangaud, Olivier Salon et Anne F. Garréta), onze oulipiens donc (11, « chiffre palindromique », rappelle Michelle Grangaud) s’adonnent aux joies des souvenirs (un peu, sous une autre forme ou en l’absence de forme déterminée, comme Perec avec ses « Je me souviens ») et à l’art de l’écriture rétrospective (car, rappelons-le, « il n’y a pas que la rigolade, il y a aussi l’art »). Episodes divers, qui parfois se recoupent (rien de plus normal : pour un groupe, les souvenirs individuels sont collectifs), relatant réunions, stages, lectures publiques (en France et à l’étranger), errances (temporelles et spatiales), ateliers, ripailles, funérailles, évoquant l’humour et les humeurs de certains membres, les émois et la foi des petits nouveaux… À la faveur de ces « moments », on prend plaisir et intérêt (tour à tour et/ou simultanément) à assister à quelques soirées ou voyages mouvementés, à entendre des calembours de l’almanach Vermot déclenchant le rire de Queneau, à tenter de percer les mystères de l’assassinat de Marcel Duchamp par François Caradec et Alphonse Allais ou ceux de l’identité d’un certain QB, à comprendre qu’un ordinateur ne peut faire la différence entre le substantif « couvent » et le verbe « couver » à la 3ème personne du pluriel, à saisir la contrainte « Canada-Dry » (ou « parapèterie » ou fausse contrepèterie), à se demander comment on peut combiner sans perdre la tête un atelier de l’OuLiPo et la finale de Roland-Garros, à rencontrer au cours des pérégrinations du groupe des personnalités aussi diverses que Paul Auster ou Fabrice Luchini, à mesurer l’insistance avec laquelle François Le Lionnais tient à préciser à Jacques Jouet qu’il est membre, entre autres, de la « société du jouet », à réfléchir sur le roman et les conceptions que Queneau en développe, à se rendre compte que L’OuLiPo peut, au même titre que Proust et Freud, susciter un irrésistible sentiment amoureux…

 

Pour tout dire, ces Moments oulipiens sont en général drôles, sérieux par instant, graves parfois, émouvants souvent ; ils prouvent en outre que l’Ouvroir est toujours vivant, toujours actif, que l’on y tricote la prose et débite les vers (ne cherchez pas, ce sont des parapèteries) avec toujours autant d’ardeur.

 

Jean-Pierre Longre

 

www.castorastral.com

 

www.oulipo.net

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16/06/2010 | Lien permanent

Mortelle réalité

Floralies.jpgIstván Örkény, Floralies, traduit du hongrois par Jean-Michel Kalmbach, Cambourakis, 2010

Les (a)mateurs des Loft story, Koh-Lanta et Îles de la tentation diverses supporteraient-ils de voir mourir sur leur écran des volontaires pour ce genre de télé-réalité ? Peut-être, puisque ça passerait à la télévision… C’est en tout cas ce que propose, bien avant l’invention de ce genre d’émission, et sous couvert d’une argumentation philosophico-humaniste un peu spécieuse, le héros du roman d’István Örkény (1912-1979), dont les livres méritent vraiment d’être connus.

Áron Korom, jeune réalisateur, frappe à différentes portes pour mener à bien son projet : montrer aux téléspectateurs « les dernières heures de trois malades incurables », dans la vérité de leur agonie. Il a trouvé trois personnes qui, contre rétribution (à leurs héritiers, bien sûr), acceptent de laisser filmer leurs derniers instants ; et au bout de ses démarches, ses supérieurs lui donnent l’autorisation de créer le documentaire Notre mort (titre qui, suprême ironie, sera changé en Floralies…). On s’en doute, tout ne va pas pour le mieux lors du tournage. En particulier, comment prévoir le moment précis du décès de chaque « acteur » ? Le premier a devancé l’appel, et c’est sa veuve qui raconte les derniers instants du personnage. Pour les deux autres, le film pourra se faire, mais au prix de compromis, d’anticipations, d’artifices, bref de l’hypocrisie télévisuelle que l’on connaît bien, mais qui, lorsque c’est la mort d’un humain qui est en jeu, paraît d’autant plus odieuse. Même s’« il suffit de vouloir fortement pour réussir », peut-on « pondre un infarctus conforme aux desideratas de la télévision » ?

Ce pourrait être morbide et dramatique, c’est plutôt vivace et cruel, satirique et drôle. Le traitement du sujet par l’absurde, le ton du récit, le découpage théâtral des scènes, l’allant des descriptions, le naturel des dialogues, tout cela fait de Floralies un exemple achevé de savoureux humour noir.  

Jean-Pierre Longre

www.cambourakis.com

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23/02/2011 | Lien permanent

Les révélations de la musique

nouvelle,anglophone,kasuo ishiguro,anne rabinovitch,Éditions des 2 terres,jean-pierre longreKazuo Ishiguro, Nocturnes. Traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch, Éditions des 2 terres, 2010, rééd. Folio, 2011

De même que la belle interprétation d’un morceau donne envie de le réécouter, de même la lecture des « Cinq nouvelles de musique au crépuscule » de Kazuo Ishiguro (auteur, entre autres, des Vestiges du jour) invite à la relecture. Car dans chaque récit, le thème principal est soutenu par des thèmes secondaires, contrepoints et basses continues, qui lui donnent une profondeur harmonique inépuisable.

Le « crooner » vieillissant, idole d’un jeune guitariste, ne peut prouver son amour à sa femme qu’en l’amenant à Venise pour une ultime sérénade. L’ami de jeunesse, amateur de jazz, resté à près de cinquante ans une sorte d’adolescent que l’on prend en pitié, sera-t-il d’un quelconque secours pour Emily et son mari ? Que vient faire cet étrange couple de voyageurs suisses allemands dans les douces collines de Malvern, sous le regard étonné d’un jeune auteur-compositeur-interprète ? Il faut ensuite assister aux folles expéditions nocturnes, dans un hôtel de luxe, d’un jeune saxophoniste en mal de notoriété et d’une vedette de la télévision, tous deux la tête enfouie sous des bandages après une opération de chirurgie esthétique. Enfin, retour en Italie pour une série de tête à tête entre un violoncelliste plein de « potentialités » et une « virtuose » à l’attitude bizarre…

nocturnes_1273743065.jpgLa musique est partout, susceptible de révéler les sentiments, les émotions et les secrets que tout être humain cache au fond de lui, les questions qu’il se pose, les rêves qu’il voudrait réaliser. Et l’écriture est telle, dans son apparente simplicité, dans la sobriété des moyens utilisés, dans les changements de tempo, dans les mystères qu’elle recèle, dans l’humour des situations et des gestes, que le lecteur se prend d’affection pour les personnages – témoins ou acteurs –, devinant plus ou moins spontanément que, sous des aspects très divers, chacun d’entre eux lui ressemble, en toute humanité.

Jean-Pierre Longre

www.les-deux-terres.com

www.folio-lesite.fr

- 2 mars 2011 : Sortie du film Never let me go d’après le roman de Kazuo Ishiguro.
- Nocturnes fait partie de la sélection par le magazine Lire des « 20 meilleurs livres de l’année ».

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29/10/2011 | Lien permanent

« Machine mentale »

Essai, USA, Mark Twain, Freddy Michalski, Sarah d’Haeyer, éditions L’œil noir, Jean-Pierre LongreMark Twain, L’homme, c’est quoi ?, traduit de l’américain par Freddy Michalski, L’œil d’or, 2011

L’auteur des Aventures de Tom Sawyer et de celles de Huckleberry Finn (entre autres) publia aussi, à partir de 1896, des textes philosophiques à forte teneur pessimiste, voire nihiliste, au nombre de trois : Lettres de la terre, L’étranger mystérieux et L’homme, c’est quoi ? (tous trois réédités récemment aux éditions de L’œil d'or).

L’homme, c’est quoi ? est un dialogue philosophique empruntant sa forme à la tradition platonicienne : comme Socrate avec ses disciples, un Vieil Homme soumet un Jeune Homme à sa maïeutique ; le va-et-vient des questions-réponses, parsemé non seulement de sentences et d’exemples persuasifs, mais aussi de rappels historiques, de paraboles, de fables, donne à l’enseignement une allure vive et théâtrale.

Comme l’indique le titre, c’est la question fondamentale de l’homme, de sa nature et de ses actions qui est au cœur du débat, et surtout celle de son libre-arbitre (ou plutôt de l’absence de celui-ci). Les six parties du livre orientent le Jeune Homme (et le lecteur) vers l’idée que l’homme, comme une machine, est mû de l’extérieur, que tout ce qu’il pense, émet, fait est de « seconde main » et n’a « pour autre finalité que de lui assurer ponctuellement, d’abord et avant tout, paix de l’esprit et confort spirituel » en lui donnant bonne conscience. À ce compte, l’homme est-il supérieur à la fourmi et aux autres animaux réputés intelligents ? Écoutons encore le vieux philosophe : « Le fait que l’homme sache distinguer le bien du mal prouve sa supériorité INTELLECTUELLE sur les autres créatures mais le fait qu’il soit capable de FAIRE le mal est la preuve même de son infériorité MORALE à toute créature qui ne le peut pas. »

La leçon est rude et ce texte, pour le moins, donne à penser. La réflexion, fortement sollicitée, voire poussée dans ses retranchements (c’est évidemment le but du dialogue), est égayée avec bonheur par les plaisants dessins de Sarah d’Haeyer ponctuant chaque chapitre. Un peu de sourire au milieu de ces déprimants constats.

Jean-Pierre Longre

www.loeildor.com   

 

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07/07/2011 | Lien permanent

« Les taupes de Dieu »

Poésie, francophone, Roumanie, Horia Badescu, L’Arbre à paroles, Jean-Pierre LongreHoria Badescu, Parler silence, L’Arbre à paroles, 2010

Parler silence comprend deux parties distinctes, « Les apocryphes du roi Salomon » et « Journal de souterrain ». Distinctes, mais pas si éloignées l’une de l’autre, ne serait-ce que par l’unité formelle des brefs textes en vers libre souvent sous-tendus par une dualité profonde. Ainsi, le recueil en un seul volume de ces deux ensembles poétiques n’est pas le fruit du hasard.

La dualité, c’est en fait celle de couples prenant leurs racines dans la thématique fondamentale de la vie et de la mort. Dès lors, ce peut être, dans la première partie, la complémentarité ou l’antagonisme corps/nature – le corps se nourrissant, tirant sa substance de la nature, ou celle-ci mettant en évidence l’impuissance de l’homme ; dans la deuxième partie la complémentarité ou l’antagonisme entre le haut et le bas, entre le monde des taupes et le jour céleste, entre la cécité du néant et l’attente d’un horizon. Et partout, çà et là, l’impossibilité de la mesure humaine :

                                              « Ici, le temps n’existe pas,

                            l’espace non plus

                                      […]

                            un désert d’attente s’étend

                            entre la naissance et la mort ».

 

L’humanité est vouée au vieillissement, au silence des origines, à la mort s’approchant jour après jour. Existerait-il un espoir, une lumière éventuelle,

 

                            « quand la rosée des morts

                            allume sous nos paupières

                            l’œil de Dieu » ?

 

Il y a effectivement l’amour, l’osmose des êtres, les rêves de lumière ; mais la paix ne peut être que celle du néant :

 

                            « Entre rien et rien

                            se déroule notre vie ».

 

Les images de la nature et de la vie, les sonorités, la sobriété du style, le pouvoir d’évocation des résonances lexicales, tout tend à développer l’oxymore du titre, « parler silence », qui induit la dualité constante de ces poèmes (vie/mort, corps/nature, espoir/désespoir, guerre/paix, haut/bas, ombre/lumière, tout/rien…). Pour Horia Badescu, qui a déjà publié chez L’Arbre à paroles Un jour entier (2006) et Miradors de l’abîme (2007), la langue française est devenue un matériau dont il sait tirer, sans effets oratoires superflus, l’essence poétique.

                                                                                                                                                       

Jean-Pierre Longre

www.maisondelapoesie.com/index.php?page=editions-arbre-a-paroles  

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18/02/2011 | Lien permanent

Sur les traces d’Emmet Ray

Roman, musique, francophone, Emmet Ray, Alain Gerber, Editions Fayard, Jean-Pierre LongreAlain Gerber, Je te verrai dans mes rêves, Fayard, 2011

 

On se souvient du film de Woody Allen Accords et désaccords, dans lequel Sean Penn incarne un jazzman hors du commun, le génial guitariste Emmet Ray, que personne ne peut se targuer d’avoir vu, entendu, rencontré, puisque la réalité ne daigne pas le faire apparaître sous ses propres traits.

Pourtant, Alain Gerber nous raconte comment il s’est acharné à le chercher jusqu’à ce qu’il en retrouve la trace. Après une entrevue vénitienne avec Woody Allen lui-même, il mène l’enquête, au risque de se fourvoyer, à partir d’une mystérieuse cassette et du témoignage d’un étrange personnage, Jean-Charles Gracieux, digne (comme le pavillon où il habite) des meilleurs contes fantastiques. C’est ainsi que l’on parvient à côtoyer cet Emmet Ray, « né Amintore Repeto », à la fois fasciné et effrayé par Django Reinhardt dont il est présenté comme le rival, bien qu’il se soit produit dans des lieux suffisamment discrets pour que le souvenir de sa virtuosité se soit effacé des mémoires les plus fiables… C’est ainsi que l’on voyage avec Alain Gerber entre la France et l’Amérique, entre le passé et le présent, jusqu’à la modeste bourgade de Bottleneck (ce nom désigne, faut-il le préciser, le tube métallique qui permet de jouer en « slide » sur les cordes de la guitare), où nous passons un long moment avec Lorette roman,musique,francophone,emmet ray,alain gerber,editions fayard,jean-pierre longreracontant son déconcertant compagnon, ses heures flamboyantes et son entrée dans l’ombre, son glissando de fin… C’est ainsi que l’on assiste, aux côtés d’Emmet, à des scènes d’anthologie, telle cette rencontre, au comptoir d’un établissement new-yorkais, entre  Marcel Cerdan, Django Reinhardt et Igor Stravinski – excusez du peu !

« Longtemps, l’histoire du jazz s’est appuyée sur la tradition orale, ce qui n’a pas toujours permis de distinguer les événements des rumeurs, la réalité et le mythe ». Tandis que certains auteurs ne peuvent écrire qu’en vampirisant l’intimité de personnes réelles, au risque de la mort, Alain Gerber, qui a, lui, redonné l’épaisseur de l’existence à des musiciens devenus légendes (Charlie Parker, Chet Baker, Billie Holiday, Louis Armstrong, Paul Desmond, Frank Sinatra, Miles Davis, Django Reinhardt…), insuffle ici la vie à des êtres de papier ou de pellicule. Je te verrai dans mes rêves est le récit d’une rencontre pleine de vérité : celle d’un écrivain épris de jazz et d’un être essentiellement musical grâce auquel est tenue la promesse du titre.

Jean-Pierre Longre

www.fayard.fr   

En bonus, quelques rappels: Le jazz littéraire d'Alain Gerber.pdf

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14/04/2011 | Lien permanent

Un genre paradoxal

Chanson.gifJean Nicolas De Surmont, Vers une théorie des objets-chansons, ENS Éditions, 2010

 

Jean Nicolas De Surmont, spécialiste des théories et de l’histoire de la chanson (particulièrement française et québécoise), propose dans cet essai différentes approches du « phénomène chansonnier », en le considérant du point de vue lexicographique et dans un sens extensif : « Étudier la chanson revient […] à étudier des chansons, des objets esthétiques divers dans leur style […] ainsi que des objets changeants ».

 

En cinq chapitres (« La poésie vocale par monts et par vaux », « Des linéarités parallèles : la poésie et la musique », « Les mutations componentielles de l’objet-chanson », « Chanson populaire et sa « populaire » épithète », « Les clivages moraux et esthétiques »), il s’adonne donc à un examen des différentes couches de signification que recouvrent le concept et les qualificatifs qui lui ont été appliqués au cours des siècles. Si toutes les chansons ont comme point commun, en général, la brièveté et la simplicité, comment expliciter des adjectifs tels que « populaire », « folklorique », « signée », « commerciale », « lettrée », « intellectuelle » ou des syntagmes tels que « chanson de tradition orale », « chanson poétique d’auteur », « poésie chantée », « chanson à texte », dont beaucoup ont sémantiquement varié au fil du temps ? Et comment résoudre la complexité engendrée par le parallélisme entre texte et musique, ainsi que par les variations de ces deux ensembles ? « C’est essentiellement la variabilité des formes et des composants des objets-chansons qui définit les métissages », et seule une observation minutieuse permet d’identifier les « types de variations ». Le chapitre consacré à la chanson populaire illustre les difficultés d’identification : l’épithète en est ambiguë depuis le romantisme, et le substantif lui-même a plusieurs fois changé de portée depuis le Moyen Âge. Même type de plurivocité lorsqu’on parle de « musique populaire », ou lorsqu’on qualifie la chanson de « bonne » ou « mauvaise », sur les plans moral ou esthétique…

 

La chanson est un genre paradoxal, puisqu’il s’agit à la fois d’un « genre mineur de la littérature » et d’un « genre reconnu », notamment par le peuple, du « genre le plus consommé mais aussi le moins étudié ». La confusion nécessitait une clarification par l’approfondissement des notions. Ce livre, savant et documenté, y contribue largement.

 

Jean-Pierre Longre

www.lcdpu/editeurs/ens.fr

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22/02/2011 | Lien permanent

« Traces écrites de poésie »

Poésie, anthologie, francophone, Jean-Michel Espitallier, Pockett, Jean-Pierre LongreJean-Michel Espitallier, Pièces détachées, Une anthologie de la poésie française aujourd’hui, édition revue et corrigée par l’auteur, Pocket, collection Agora, 2011

 

« En déplacement » : tel est le titre que Jean-Michel Espitallier donne à la préface de cette nouvelle édition de son anthologie, inchangée dans son contenu depuis 2000. Déplacement temporel, culturel (comment parler de « poésie contemporaine » à l’époque de « l’avachissement des consciences », du « génie de la bêtise » ?), définitionnel même. Peut-on, faut-il classifier ? Qu’est-ce que la poésie, a fortiori la « poésiecontemporaine » … ? Ces textes gardent une « force intacte », déstabilisatrice, ils nous permettent de « respirer hors de l’étouffement médiocratique », et l’auteur préfère maintenant parler à leur propos de « poésie écrite, ou de traces écrites de poésie ». Suivons-le derechef, et pour ce faire réitérons (en partie) ce que nous en disions il y a dix ans.

 

Une heureuse initiative, dans un contexte qui donne à réfléchir : la poésie, après la disparition des « grands » du siècle et la déprime qui a suivi, fait aujourd’hui l’objet d’un renouveau, de manifestations publiques bien fréquentées (« Le printemps des poètes », si menacé maintenant (note de 2011)), de représentations sonores et collectives … Il fallait faire une sorte de point, et Jean-Michel Espitallier s’y est employé avec beaucoup de soin, en traçant un chemin personnel mais suffisamment large dans le maquis des textes et des auteurs.

 

Voilà un bon livre, qui a de nombreux mérites, à commencer par celui de son existence. Publié pour tous, dans une collection de poche, maniable et abordable, il témoigne de la diversité et de la richesse de la poésie récente. De Bernard Heidsieck, emblème de la poésie « action », au langage poétique-théâtral de Valère Novarina, 33 auteurs, auxquels J.-M. Espitallier laisse le plus possible le soin de se présenter, déclinent des échantillons de leurs textes, et leur liste à elle seule est tout un poème, comme le rappellent les « lettres d’effigie » de Jude Stéfan. On rencontre dans cette liste, avec un plaisir renouvelé, les figures de Ghérasim Luca, Jean-Luc Parant, Jacques Roubaud, Jean-Marie Gleize, et l’on fait des connaissances, ou des reconnaissances dans la jungle d’une mémoire encombrée de fatras médiatique et de patrimoine officiel.

 

Jean-Michel Espitallier a couru le risque d’une entreprise forcément partielle et subjective, et son itinéraire poétique est à la fois séduisant et didactique ; il est à mettre entre les mains, sous les pas de tous ceux qui, connaisseurs ou non, se posent la question : où en suis-je avec la lecture poétique?, et qui veulent poursuivre le chemin entamé par cette « cartographie d’un coin de ciel », ce « Meccano multicolore en construction ». Disons aussi, crions-le : poètes, ne décevez pas le lecteur qui veut poursuivre ce chemin, ne le laissez pas dépérir, ravitaillez-le en cours de route !

 

                                                                                     Jean-Pierre Longre

 

www.pocket.fr

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21/03/2011 | Lien permanent

Littérature en vert

Revue, Poésie, Suisse, Roumanie, Marius Daniel Popescu, Olivier Stillig, Jean-Pierre LongreLe persil journal, Lausanne

 

Marius Daniel Popescu, poète du quotidien réel et imaginaire, de l’évidence et du non-dit, du passé roumain, du présent suisse, chauffeur de bus (mais « on n’a pas besoin d’être chauffeur de bus pour aimer les gens qui prennent le bus »), auteur du recueil Arrêts déplacés (Antipodes, Lausanne, 2004) et du roman La symphonie du loup (José Corti, 2007), publie depuis plusieurs années ce journal au drôle de titre, édité en Suisse, où réside son créateur.

 

Poèmes et autres textes s’y glissent discrètement, s’y étalent orgueilleusement, s’y côtoient, s’y répondent avec, depuis un certain temps, une nouveauté de taille : le rédacteur en chef n’en est plus l’unique signataire ; ses pages sont généreusement prêtées à d’autres, Suisses ou Français, jeunes ou vieux, célèbres ou méconnus, qui les ouvrent sur des paysages multiples et divers. Le numéro 38 de février 2011, par exemple, donne carte blanche à Olivier Sillig, romancier, peintre, réalisateur, qui lui-même offre une bonne place à des textes de Daisy Nachevez et Daisy Neddi…  Dans un terreau fertile, Le persil prospère en branches multiples, en bouquets serrés, « à la fois parole et silence ».

 

Jean-Pierre Longre

 

Le persil journal, Marius Daniel Popescu, avenue de Floréal 16, 1008 Prilly, Suisse.

Tél.  0041.21.626.18.79. E-mail : mdpecrivain@yahoo.fr

Association ses Amis du journal Le persil : lepersil@hotmail.com

 

Pour rappel :

La symphonie du loup : http://jplongre.hautetfort.com/archive/2010/08/04/hurlement-de-la-vie-epuisement-du-langage.html

Arrêts déplacés : http://jplongre.hautetfort.com/archive/2011/03/16/transports-en-commun-poetiques.html

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13/04/2011 | Lien permanent

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