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Rechercher : les mots du spectacle en politique

Quête clandestine

roman,francophone,blandine le callet,éditions stock,jean-pierre longreBlandine Le Callet, La ballade de Lila K, Stock, 2010, Le livre de poche, 2012

Lila n’a pas de souvenirs de sa mère, sinon l’image de la « cassure », cette scène de terreur où, toute petite, elle en a été brutalement séparée pour se retrouver dans le « Centre » où elle passera son enfance et sa jeunesse. Pas de souvenirs, mais une quête qui va être son obsession secrète : retrouver cette femme qui, officiellement frappée d’indignité, ne doit plus être sa mère, mais dont elle sait plus ou moins consciemment – et par les mystérieuses résonances de son corps – qu’elle l’aimait malgré la misère et la déchéance.

Roman, francophone, Blandine Le Callet, éditions Stock, Jean-Pierre LongreContrainte de s’insérer (ou de feindre l’insertion) dans un monde qui la rebute, mais aidée par quelques êtres qui ont gardé leurs sentiments humains et leur culture livresque, elle mène coûte que coûte sa recherche malgré le programme obligatoire, la surveillance constante, les interdictions multiples, une organisation sociale dans laquelle l’individu ne maîtrise plus rien de son destin, sinon en s’enfermant ou en fuyant « extra muros », dans une « Zone » de tous les dangers… Car, à petites touches, l’auteur évoque un univers qui fait penser à ceux du Meilleur des mondes, de 1984 ou de Farenheit 451, mais dont celui dans lequel nous vivons actuellement porte sans conteste les germes.

Blandine Le Callet, qui dans un registre différent s’est signalée naguère par son roman Une pièce montée (Stock, 2006, Prix des Lecteurs du Livre de Poche 2007), sait ménager un beau suspense tout en suscitant la réflexion. Surtout, elle peint avec délicatesse un être à la fois fragile et déterminé, auquel le lecteur s’attache avec émotion.

Jean-Pierre Longre

www.editions-stock.fr    

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21/04/2012 | Lien permanent

PAG en fascicules

Poésie, Nouvelle, francophone, Pierre Autin-Grenier, Les carnets du dessert de lune, Gallimard / L’arpenteur, Jean-Pierre LongrePierre Autin-Grenier, Le poète pisse dans son violon, Éditions Les Carnets du Desset de Lune, collection Dessert, 2004.

 

« Comment prendre au sérieux un pessimiste à l’accent provençal ? ». Réponse possible : en appréciant la vélocité avec laquelle il résume une vie humaine : « Tricycle ! Mobylette ! Mercédès ! Corbillard ! Amen ! ». Entre ce premier et ce dernier aphorisme, dix autres du même acabit, comme autant de petits extraits d’existence parcourant des feuillets disposés en accordéon, ou comme autant de petites notes sortant finalement du violon malmené…

 

Périodiquement, les Carnets du Dessert de Lune proposent ces mini-fascicules sur « chutes » ou « bouts de papiers » (les deux précédents, par exemple, de Daniel Fano et Eddy Devolder), condensés de poésie à garder avec soi, gourmandises à consommer par petites touches, délicieusement.

 

www.dessertdelune.be

 

 

 

Poésie, Nouvelle, francophone, Pierre Autin-Grenier, Les carnets du dessert de lune, Gallimard / L’arpenteur, Jean-Pierre LongrePierre Autin-Grenier, L'ange au gilet rouge, Gallimard / L’arpenteur, 2007.

 

Huit nouvelles, dont deux publiées antérieurement en volumes propres. Huit textes aux confins du fantastique. Du réel naît l’énigme, de l’énigme l’étrange, de l’étrange l’étonnement devant les dénouements qui abandonnent le lecteur à son imaginaire. Un ange, un nain, une statue géante, un double assassin de soi-même, des fuites éperdues vers on ne sait quoi depuis on ne sait où, des crimes familiaux… Peuplés d’êtres et d’événements hors normes et pourtant bien là, présents dans l’ici-bas, ces récits sont aussi – et surtout – portés par une écriture prenante, qui nous met individuellement en présence des faits, qui nous les impose. Et plus on avance, plus on se dit que sans cette écriture, ils ne seraient pas nôtres, ces êtres et ces événements. Nous aurions tout manqué.

 

www.gallimard.fr

 

Jean-Pierre Longre

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06/10/2010 | Lien permanent

Le choix de Ferdinando

Repenti.jpgArturo Buongiovanni, Repenti, traduit de l’italien par Patrick Vighetti, La fosse aux ours, 2010

Vu de loin, dans les médias, il paraît très facile de devenir un « repenti », tout simple de se décider à la collaboration avec la justice après avoir été un criminel, camorriste ou mafioso. Et pourtant… Arturo Buongiovanni, qui connaît bien la question puisqu’il est lui-même avocat et défenseur de repentis, n’a pas trop d’un livre entier, bien fourni, pour narrer les étapes qu’entraîne ce type de retournement.

Ferdinando, fils d’une famille honorable de Torre Annunziata, travailleur et honnête, amoureux de la jeune Anita, est peu à peu pris malgré lui dans l’engrenage de la violence. Meurtre, cavale, crimes en série au service de la mafia… Tout cela comme si c’était inscrit, comme si le destin d’un « brave garçon » de la région napolitaine était tragiquement tracé. Après son arrestation, Ferdinando se voit proposer le marché par son juge : aveux détaillés, collaboration en vue d’autres arrestations, contre la garantie d’une protection et d’un avenir adouci. Et c’est à partir de son acceptation (provisoire jusqu’au procès) que le combat commence vraiment : contre la bureaucratie, contre les soupçons des autres détenus, contre les menaces, contre les dangers encourus par sa famille – surtout sa femme et ses enfants, pour qui une protection complète est nécessaire –, contre soi-même, jusqu’au moment ultime : « Il avait beau tourner et retourner la question, il ne trouvait pas d’issue. […] Que faire ? En ce moment même, tandis qu’il attendait l’ouverture du procès, enfermé dans une petite salle et entouré par l’escorte, il ne savait pas ce qu’il ferait, une fois devant ses juges ».

Les faits sont réels, et il s’agit donc là d’une « transposition sous forme de roman », comme le dit l’auteur. Le cas de Ferdinando est exemplaire, et ce témoignage, qui nous ouvre les yeux, est une source d’informations d’un intérêt majeur, sur le plan historique. Mais cela n’occulte pas l’attachement communicatif que l’auteur – et, partant, le lecteur – ressent pour ses personnages : Ferdinando, bien sûr, avec ses sentiments, ses doutes, l’inquiétude ressentie pour sa jeune épouse et ses garçons ; Anita, avec son amour indéfectible pour son mari, le désarroi aussi de se sentir soudain si seule ; le juge D’Alterio, qui en est à ses débuts dans la lutte antimafia, à la fois très décidé et peu sûr de lui ; le policier Auricchio, qui sans se laisser détourner de son devoir éprouve une sorte de tendresse rassurante pour Ferdinando et les siens…

Repenti répond à ce que l’on attend d’un bel et bon récit, avec une trame à suspense, les méandres d’une narration complexe, des sentiments forts, des personnages humains, auxquels on ne peut pas ne pas s’identifier à un moment ou à un autre. Tout y est si réel, si romanesque, et si vrai…

Jean-Pierre Longre

www.lekti-ecriture.com/editeurs/-La-fosse-aux-ours,126-.html  

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09/11/2010 | Lien permanent

Accueillir la désillusion

Correspondance, francophone, Raymond Queneau, Dominique Charnay, Pierre Bergounioux, éditions Denoël, Jean-Pierre LongreDominique Charnay, Cher Monsieur Queneau. Dans l’antichambre des recalés de l’écriture. Préface de Pierre Bergounioux, Denoël, 2011

De 1938 à 1974, Raymond Queneau écrivit abondamment, publia beaucoup, exerça maintes activités liées en général à la littérature, et lut pour les éditions Gallimard une quantité phénoménale de manuscrits, en tant que « chef du comité de lecture ». Énorme travail, qui impliquait de rédiger des fiches, de prendre des décisions, donc – opération  délicate – de « recaler » la plupart des candidats au métier d’écrivain tout en laissant leur chance à ceux qui paraissaient appartenir « à la communauté des autres écrivains », comme Marguerite Duras, Hélène Bessette, Boris Vian, J.-M. G. Le Clézio, Claude Simon… Au long de ces années, Queneau s’acquitta avec conscience, scrupules, lucidité et humanité de sa tâche ardue.

Le recueil présenté par Dominique Charnay et subtilement préfacé par un Pierre Bergounioux mettant en avant, particulièrement, l’aptitude de Queneau à susciter « les confidences de ceux qui, à tort ou à raison, se sentent habilités à écrire », ce recueil, donc, est un florilège des lettres de ces derniers, soigneusement conservées par leur destinataire. En les lisant, on comprend pourquoi : pittoresques, attendrissantes, naïves, provocantes, ironiques, désespérées, humoristiques, furieuses, poétiques, modestes, orgueilleuses, incompréhensibles, flagorneuses, menaçantes, elles sont le reflet de tous les tempéraments, elles témoignent de toutes les réactions imaginables et inimaginables des déçus de la création, ou de leurs porte-parole – car certains écrivent même en lieu et place de leurs père, fils, neveu, épouse… Il y a ceux qui s’humilient honteusement, ceux qui exercent le chantage affectif, ceux qui, pathétiquement, tentent de plaire en imitant la manière de leur destinataire, ceux qui, non moins pathétiquement, de la jouent stylistes détachés ou poètes maudits… Mais constamment, dans ces adresses au « maître », à « Monsieur Queneau », à « Monsieur », on devine une confiance accordée à la « franchise » du lecteur qui prend ses responsabilités, et dont la réputation de sérieux et de « bonté » provoque parfois de véritables confessions ; il n’est pas indifférent non plus que Queneau soit un écrivain reconnu, apprécié, comme le sont les autres lecteurs de la maison Gallimard, la distance humoristique en plus : le ton de ces missives s’en ressent, parfois avec une certaine réussite.

Ce livre n’est pas du Queneau, mais il n’aurait évidemment pas existé sans Queneau – le lecteur professionnel, et aussi l’écrivain, l’artisan qui sait reconnaître ses pairs et accueillir la désillusion avec un sourire compréhensif.

Jean-Pierre Longre

 

P.S. : Un sommet humoristique est gravi par la société Picon, dont une lettre reproduite en annexe commence ainsi :

« Monsieur,

         Nous avons appris avec grand plaisir que pour l’Apéritif vous donniez volontiers votre préférence à l’AMER PICON (Cf/ CANDIDE du 16 NOVEMBRE).

         Dès lors, voulez-vous nous permettre de vous offrir gracieusement 6 Bouteilles, que nous ferons déposer, à votre nom, aux Editions GALLIMARD, pour vous remercier du témoignage de fidélité que vous donnez à notre Marque ».

        

www.denoel.fr    

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09/05/2011 | Lien permanent

Mieux vaut rire ?

Essai, Raymond Queneau, François Naudin, Editions Calliopées, Jean-Pierre LongreFrançois Naudin, Les terreurs de Raymond Queneau, Essai sur les 12 travaux d’Hercule, Calliopées, 2011

 

« Plus Queneau entend rire et faire rire, plus redoutables sont les éléments que ce rire entreprend d’escamoter ». Voilà le théorème qui conduit François Naudin à s’interroger, en prenant principalement comme points d’appui le poème « Je crains pas ça tellment » et le texte « Une trouille verte », mais aussi en observant plus généralement et très précisément l’œuvre entière.

 

Les terreurs de Raymond Queneau est un livre à la fois savant et personnel, parfois désespéré – forcément, vu le sujet – mais pas toujours. Dans sa teneur et dans sa forme, il dénote une parfaite connaissance des écrits, et même de ce que l’on peut savoir de l’homme Queneau, de sa vie, de ses préoccupations, de ses lectures. En même temps, il témoigne d’une relation intime, voire secrète, avec le monde quenien. 

 

François Naudin veut être clair, mettant en œuvre une sorte de didactisme qui conduit le développement. Mais il n’oublie pas le sourire, par exemple dans les titres du genre « Le pot de fleurs et le manque de pot » ou « Notre père qui êtes absent ». Ce qui ne l’empêche pas d’examiner, très sérieusement, le rôle joué par la lecture dans la lutte contre la culpabilité et, en regard, la transposition de l’anxiété dans la création artistique, d’émettre l’idée d’une écriture comme art de la duplicité, de la dissimulation ou de prendre position sur ce que certains appellent les « crises mystiques » de l’auteur, en parlant plutôt de « crises spirituelles, à la rigueur »…

 

Terreurs de l’homme Queneau, terreurs de l’auteur Queneau, terreurs de ses personnages, tout cela à la fois ? Les questions ont le mérite d’apparaître au grand jour, montrant que rien n’est simple chez lui, même si tout se lit avec plaisir. Il faut aller voir au fond des choses, sans arrière pensée, sans a priori, et c’est ce que fait avec beaucoup d’à-propos et de finesse François Naudin.

 

Jean-Pierre Longre

 

www.calliopees.fr

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09/05/2011 | Lien permanent

Trois ”Queneau” en quelques semaines...

Trois livres, rien de moins, sur (ou autour de) Queneau. Qu’on en juge ci-dessous… Et il y en a encore, tel Connaissez-vous Paris? (Folio / Gallimard), choix de question que l'auteur a posées, entre novembre 1936 et octobre 1938, aux lecteurs du quotidien L’Intransigeant... 

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09/05/2011 | Lien permanent

Vive Modiano, merci Queneau !

Roman, francophone, Patrick Modiano, Raymond Queneau, Gallimard, Jean-Pierre LongrePatrick Modiano Prix Nobel de littérature 2014

Les médias n’ont pas fini d’en parler… Laissons faire, et ne soyons pas plus bavards que le lauréat, pas plus, de même, que Raymond Queneau qui, lorsque Patrick était adolescent, lui donnait des cours de mathématiques (utiles ?), puis qui un peu plus tard l’introduisit dans le monde éditorial et lui permit de publier son premier roman. Il fut même témoin de son mariage, avec André Malraux (ce qui valut une dispute mémorable entre les deux écrivains à propos de Dubuffet…). L’essentiel, c’est l’œuvre. Voilà donc l’occasion de lire et de relire Modiano, de lire et de relire Queneau, de constater que les personnages romanesques de l’un et de l’autre ne sont pas étrangers les uns aux autres.  Êtres au passé flou, en quête d’une identité qu’ils ont laissé échapper, suivant des itinéraires urbains aussi fluctuants que leur existence… Et de goûter bien d’autres choses encore…

Jean-Pierre Longre

Pour mémoire ou consultation :

http://jplongre.hautetfort.com/tag/patrick+modiano

http://jplongre.hautetfort.com/tag/raymond+queneau

http://lereseaumodiano.blogspot.fr/2012/01/raymond-quenea...

http://www.huffingtonpost.fr/jeannine-hayat/le-rire-de-qu...

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29/10/2014 | Lien permanent

Mère coupable ?

Laura Kasischke, Esprit d’hiver, traduit de l’anglais (États-Unis) par Aurélie Tronchet, Christian Bourgois éditeur, 2013, Le Livre de Poche, 2014 

Roman, anglophone, Laura Kasischke, Aurélie Tronchet, Christian Bourgois éditeur, Le Livre de Poche, Jean-Pierre LongreLaura Kasischke enseigne l’art du roman, et cela se voit. Elle maîtrise à la perfection les techniques de la narration, les méthodes de construction d’une intrigue, en tenant compte des exigences du genre et en composant avec les contraintes qu’elle s’impose à elle-même.

Esprit d’hiver est un huis clos à suspense psychologique respectant les règles non seulement du roman, mais aussi de la tragédie classique : unité de temps (un seul jour, et pas n’importe lequel : celui de Noël) ; unité de lieu (l’intérieur chaleureux de la maison familiale, alors qu’au dehors sévit une tempête de neige) ; unité d’action (la dégradation des relations entre une mère aimante, Holly, et sa fille adoptive, Tatiana). Avec cela, comme au théâtre, des échappées hors scène, dans le temps et dans l’espace, sous la forme d’images entêtantes : l’orphelinat de Sibérie où Holly et son mari Eric sont allés chercher leur petite fille, treize ans auparavant ; la ville et ses alentours, où la circulation est devenue périlleuse à cause du blizzard, et d’autres circonstances mystérieuses et déstabilisantes.

Roman, anglophone, Laura Kasischke, Aurélie Tronchet, Christian Bourgois éditeur, Le Livre de Poche, Jean-Pierre LongreAprès une longue phase introductive où, comme pour rassurer tout le monde, se bousculent les clichés américains traditionnels (préparation d’une belle fête de Noël avec famille et amis – désirés ou non –, maison accueillante et foyer aimant), et où seules quelques allusions, s’insinuant comme par hasard, annoncent insensiblement la suite (maladies congénitales et stérilité, ainsi qu’un refrain qui trotte dans l’esprit maternel : « Quelque chose les aurait suivis depuis la Russie jusque chez eux ? »), l’angoisse éclate, au sens quasiment littéral du verbe, en des scènes et des réminiscences dont les liens laissent peu à peu percer la vérité, cette vérité qui était restée enfouie au plus profond de l’esprit de Holly, et dont le lecteur prend conscience en même temps que le personnage. Glaçant.

Jean-Pierre Longre

www.christianbourgois-editeur.com

www.livredepoche.com

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23/10/2014 | Lien permanent

Une initiation au paradis

Roman, francophone, Haïti, Dany Laferrière, Zulma, Jean-Pierre LongreDany Laferrière, Le goût des jeunes filles, Zulma, 2017

Comme par un processus naturel dont le moteur serait l’éveil des sens, après « l’odeur du café », il y a « le goût des jeunes filles » : après l’enfance à Petit-Goâve, racontée dans le premier volume (L’odeur du café, Zulma, 2016), il y a l’adolescence et ses rites initiatiques à Port-au-Prince, ville de tous les dangers et de tous les plaisirs.

Fanfan, que l’on retrouve sous différents noms (Vieux-Os, Dany) d’un « roman » à l’autre (d’un récit autobiographique à l’autre, ce « mélange de fiction et de réalité », comme le dit le narrateur à l’une de ses tantes qui l’accuse de n’avoir rien dit de vrai dans son livre), le jeune garçon donc a la particularité de franchir le passage à l’âge d’homme en un week-end fort agité. À la suite de ce qu’il croit être un abominable et périlleux crime commis par son ami Gégé, Dany se réfugie en face de chez lui, « du côté ensoleillé de la rue », chez les « jeunes filles » dont, de sa fenêtre, il guettait la vie en constante ébullition. Jeunes filles en fleurs conscientes de leurs charmes, et qui en usent sans vergogne pour pouvoir goûter aux joies de ce monde ; jeunes filles qui, sans le savoir, vont « changer la vie » du garçon. Chez Miki et ses amies, ce « paradis » rêvé, il va non seulement observer une vie à laquelle il n’avait pas accès jusqu’ici, mais aussi assouvir des désirs latents et éclatants, plonger dans le monde méconnu du plaisir des sens, inséparable du plaisir esthétique.

Car l’initiation n’est pas seulement physique, elle est aussi poétique : Fanfan découvre avec avidité le poète Magloire Saint-Aude, dont les vers le nourrissent et rythment ses instants secrets, comme ils rythment en exergue chacune des scènes du récit rétrospectif. Nous ne sommes pas seulement dans un livre de souvenirs – souvenirs certes qui, à eux seuls, mériteraient qu’on s’y intéresse, puisqu’ils situent l’existence intime et sociale du héros à Haïti, l’île natale, entre les dictatures de « Papa » et de « Baby » Doc, cette période où les « Tontons Macoute » faisaient la loi, ne respectant que la caste des privilégiés qui jouaient leur jeu. Le goût des jeunes filles (comme les autres ouvrages de Dany Laferrière) n’est pas non plus un simple document psychologique, sociologique, historique, exotique ; son épaisseur est véritablement littéraire, et c’est sans doute pour donner plus de poids au « réel » narratif que l’auteur a combiné avec la théâtralisation du récit (39 « scènes » cinématographiques et vivantes actualisant l’intrigue) le « Journal de Marie-Michèle », jeune bourgeoise qui, en révolte contre sa mère et son milieu (le « Cercle » fermé qui monopolise argent et pouvoir), se mêle aux « jeunes filles », tout en notant ses observations sur la société haïtienne et ses propres réactions face à la vie. Il y a donc une double narration, un double regard, ceux de Fanfan et de Marie-Michèle, à la fois très différents (le garçon du petit peuple et la fille de la caste dirigeante) et très analogues (tous deux se glissent, se coulent, se fondent, se cachent pour mieux observer) ; deux récits aux tons différents (scènes vivantes et dialoguées, journal intime), encadrés et dominés par un troisième narrateur, l’auteur adulte en visite chez ses tantes à Miami et confronté à sa destinée ; trois récits donc témoignant de la même préoccupation littéraire, du même amour de la poésie et de l’écriture.

Haïtien et Québécois, membre de l’Académie Française depuis 2013, Dany Laferrière est l’un des grands écrivains de l’espace francophone international, et Le goût des jeunes filles, réédité fort à propos par les éditions Zulma après L’odeur du café, Le charme des après-midi sans fin et Le cri des oiseaux fous, confirme s’il en est besoin l’évidente validité esthétique de son œuvre.

Jean-Pierre Longre

 

www.zulma.fr

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30/10/2017 | Lien permanent

Des disques pour tous les goûts

musique,disques,vinyles,réglis records disquaire,lyon,cdREGLIS RECORDS, disquaire, nouvelle boutique à Lyon.

Amateurs de musiques diverses (soul, jazz, funk, blues, pop, rock, world, français, classique…), vous serez bien accueillis chez « Réglis Records » ! Il y en a pour tous les goûts...

7, rue du Jardin des Plantes, 69001 Lyon.

Ouvert du lundi au vendredi de 13h à 20h, le samedi de 12h à 20h

Tél. 09 86 74 25 25

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29/06/2019 | Lien permanent

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