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Queneau et Cioran

essai, littérature, francophone, anglophone, Raymond Queneau, Cioran, jean-pierre longre, black herald pressJean-Pierre Longre, Richesses de l'incertitude. Queneau et Cioran / The Riches of Uncertainty. Queneau and Cioran. Bilingual book - ouvrage bilingue, translated from the French by Rosemary Lloyd. Black Herald Press, 2020.

 Bizarre. Lorsque je lis Cioran, je pense souvent à Queneau, et lorsque je lis Queneau, je pense parfois à Cioran. Il s’agit peut-être là d’un phénomène tout simple : pour un familier de Queneau, le risque est de laisser son esprit en être occupé même lorsqu’il lit d’autres auteurs ; pour un familier aussi de la littérature d’origine roumaine, préoccupé entre autres par Cioran, le risque est de laisser à celui-ci le champ un peu trop libre dans des lectures diverses, notamment queniennes… Bref, il me fallait tenter d’élucider la question pour mieux m’en débarrasser, en naviguant entre Exercices de style et Exercices d’admiration.

 How strange. Reading Cioran often puts me in mind of Queneau, and reading Queneau sometimes puts me in mind of Cioran. Perhaps this is really quite a simple phenomenon: for anyone who is familiar with Queneau, there is a risk of letting your mind be taken over by him even when you read other authors, and for anyone familiar with literature from Romania, and preoccupied with such writers as Cioran, the risk is that you will give him too much leeway in your various readings, especially the works of Queneau… In a word, I felt I needed to clarify the question the better to clear my mind of it, as I navigated between Exercises in Style and Exercises in Admiration.

www.blackheraldpress.com

https://www.blackheraldpress.com/boutique-shop

Voir:

Article de Mircea Anghelescu: J.P.Longre.jpg (Observator Cultural)

Article de Dominique et Daniel Ilea: 

https://revue-traversees.com/2020/06/20/deux-ecrivains-a-...

https://www.litero-mania.com/deux-ecrivains-a-la-loupe/

https://www.viataromaneasca.eu/revista/2021/03/doi-scriitori-sub-lupa/ 

Une analyse d'Aurélien Demars:

https://classiques-garnier.com/alkemie-2020-2-revue-semestrielle-de-litterature-et-philosophie-n-26-l-ame-une-lecture-decalee-de-cioran-et-de-queneau.html

 

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07/05/2020 | Lien permanent

L’amitié, la littérature, l’histoire

Correspondance, francophone, Roumanie, Panaït Istrati, Romain Rolland, Daniel Lérault, Jean Rière, Gallimard, Jean-Pierre LongrePanaït Istrati – Romain Rolland, Correspondance 1919-1935, édition établie, présentée et annotée par Daniel Lérault et Jean Rière, Gallimard, 2019

Les publications de correspondances d’écrivains ont-elles un intérêt ? Non, si elles sont uniquement l’occasion de donner lieu à des anecdotes biographiques, voire à de vaines indiscrétions. Oui, si elles donnent à lire des lettres qui reflètent de fortes personnalités, qui portent témoignage de l’Histoire et qui relèvent de la vraie littérature.

Cette édition de la Correspondance 1919-1935 entre Panaït Istrati et Romain Rolland, qui « fera date », comme l’écrit Christian Delrue dans Le Haïdouc de l’été 2019, répond à tous ces critères. D’autant plus que nous avons affaire à un ouvrage très élaboré, une véritable édition scientifique, dans laquelle on peut puiser à satiété. Les notes, références, explications concernant le contexte, comme les annexes (extraits divers, lettres complémentaires, analyse graphologique etc.), renforcent l’authenticité d’un ensemble qui ne comporte « aucune suppression, aucun ajout, aucune modification », reprenant « les autographes originaux ».

Correspondance, francophone, Roumanie, Panaït Istrati, Romain Rolland, Daniel Lérault, Jean Rière, Gallimard, Jean-Pierre Longre

Les éditeurs précisent en outre : « Vocabulaire, orthographe, syntaxe ont été conservés en gardant un souci de lisibilité et d’homogénéité. ». C’est là un aspect primordial de ce volume, pour ce qui concerne Panaït Istrati : on peut relever, de moins en moins nombreuses au fil du temps, les erreurs, les maladresses, les « fautes » d’un homme né en Roumanie, qui a beaucoup voyagé et qui a appris le français sur le tard, seul avec ses modèles ; et les conseils encourageants de Romain Rolland, qui n’hésite pas à lui envoyer de petits tableaux de fautes à éviter (« Ne pas dire… mais…), tout en s’enthousiasmant pour le « don de style », le « flot de vie » de son correspondant. Pour qui veut étudier l’évolution linguistique et littéraire d’un écrivain qui s’évertue (et qui parvient admirablement) à passer de sa langue maternelle à une langue d’adoption, c’est une mine. « On ne saura jamais combien de fois par jour je hurle de rage, et m’ensanglante la gueule et brise mes dents en mordant furieusement dans cet outil qui rebelle à ma volonté », écrit-il à son « maître » (les ratures sont d’origine, attestant la fidélité au texte initial). Mais la volonté servira la « Nécessité » d’écrire, et on mesure à la lecture combien Istrati a progressé, et combien cette progression a servi la vigueur de son expression.

Autre aspect primordial : l’Histoire, dont les troubles et les soubresauts provoquèrent une querelle politique et une brouille d’envergure entre deux personnalités de fort tempérament. Pour le rappeler d’une manière schématique, les voyages qu’Istrati fit en URSS lui révélèrent une réalité bien différente de celle qu’il imaginait, lui dont l’idéal social et politique le portait pourtant vers le communisme. Sa réaction « consterne » un Romain Rolland resté fidèle à son admiration pour le régime soviétique. « Rien de ce qui a été écrit depuis dix ans contre la Russie par ses pires ennemis ne lui a fait tant de mal que ne lui en feront vos pages. ». Le temps a montré qui avait raison… Certes, tout n’est pas aussi simple, et l’un des avantages de cette correspondance est de montrer que, sous les dehors d’un affrontement rude et apparemment irrémédiable, certaines nuances sont à prendre en compte. Il y aura d’ailleurs une réconciliation en 1933, même si chacun campe sur ses positions à propos de l’URSS (pour Romain Rolland « le seul bastion qui défend le monde contre plusieurs siècles de la plus abjecte, de la plus écrasante Réaction », pour Panaït Istrati « lieu des collectivités nulles, aveugles, égoïstes » et du « soi-disant communisme »). Malgré cela donc, le pardon et l’amitié l’emportent, peu avant la mort d’Istrati.

Évidemment, il n’y a pas que cela. Il y a les enthousiasmes et l’idéalisme du scripteur en formation devenu auteur accompli, qui contrastent souvent avec la lassitude d’une gloire des Lettres accablée par le travail, les visites, les sollicitations. Il y a, racontées avec la vivacité d’un écrivain passionné, des anecdotes semées de savoureux dialogues et de descriptions pittoresques. Il y a les échanges sur la vie quotidienne, la santé, les rencontres, les complicités, les amitiés, les amours… Et les projets littéraires, les péripéties liées à la publication des œuvres, les relations avec d’autres artistes – tout ce qui fait la vie de deux êtres qui ont en commun la passion généreuse de la littérature. Chacun peut y trouver son compte.

En 1989, parut chez Canevas éditeur une Correspondance intégrale Panaït Istrati – Romain Rolland, 1919-1935, établie et annotée par Alexandre Talex, préfacée par Roger Dadoun. Une belle entreprise, qui cependant se voulait trop « lisible », effaçant les maladresses de l’auteur débutant, les scories, repentirs, ratures… Fallait-il s’en tenir à cette version fort louable, mais partielle et édulcorée ? Non. Daniel Lérault et Jean Rière ont eu raison de s’atteler à une tâche difficile, pleine d’embûches, mais qui a donné un résultat d’une fidélité scrupuleuse et d’une grande envergure historique et littéraire.

Jean-Pierre Longre

 

En complément :

Le Haïdouc n° 21-22 (été 2019), « bulletin d’information et de liaison de l’Association des amis de Panaït Istrati » est consacré à cette Correspondance. Et l’un des numéros précédents (n° 14-15, automne 2017 – hiver 2018) contient un texte éclairant de Daniel Lérault et Jean Rière sur leur publication. Voir www.panait-istrati.com

 

www.gallimard.fr

www.panait-istrati.com

www.association-romainrolland.org

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08/03/2020 | Lien permanent

Ce que nous dit le petit doigt de Caradec

Caradec.jpgFrançois Caradec, Le doigt coupé de la rue du Bison, Fayard Noir, 2008

                            

Il y a certes un « doigt coupé » de femme, dans ce faux roman policier (ou « rompol ») – et le commissaire Pauquet (« avec Pauquet, in the pocket ! ») est bel et bien chargé, à la suite d’obscures consignes ministérielles, d’enquêter sur ce mystère apparemment lié à des pratiques sectaires. Mais le titre ne dit pas tout, loin de là, et à mesure que l’intrigue (les intrigues) avance (nt), la comédie vire à l’évocation tragique du passé proche, celui de l’occupation et d’une diabolique invention nazie : le « Lebesborn » ou « source de vie », destiné à « créer la super-race nordique artificielle qui dominerait le monde pendant mille ans ».

 

Comment ces deux récits arrivent-ils à se superposer ? On le saura en allant jusqu’au bout de ce livre qui présente au demeurant bien d’autres intérêts. Caradec n’était pas à court d’inventions, et Le doigt coupé de la rue du Bison est comme une somme de ses talents divers : scènes de bistrot avec conversations tout azimut, jeux verbaux et orthographiques (en particulier dans la bouche d’un policier simplet), monologues induisant une pluralité de points de vue (celui d’un réfractaire au STO, celui d’une chienne, celui de la police etc.), dialogues à caractère théâtral, déambulations parisiennes, voyages lointains, inventaires en bonne et due forme… Sans compter que l’auteur nous fait rencontrer en personne quelques célébrités comme « Paul Léautaud assis sur un banc [du Luxembourg] à côté d’une jeune femme surveillant son bébé dans un landau », ou le baron Mollet sortant du Dôme « encadré par deux femmes élégantes » ; plus discrètement, par livres interposés, quelques autres comme Baudelaire, Jules Verne, Raymond Roussel, André Breton (dont les « Grands Transparents », apprenons-nous, sont en réalité une trouvaille de Victor Hugo) ; et aussi, à mots couverts et par allusions respectueuses, Raymond Queneau et sa bande, en un réseau serré de références qu’on serait bien en peine de déchiffrer intégralement.

 

Pataphysicien, Oulipien, biographe de Lautréamont, de Raymond Roussel, d’Alphonse Allais, de Willy, critique littéraire, essayiste, humoriste, François Caradec est mort en novembre 2008. Son ouvrage ultime est en même temps son seul roman : hasard ou préméditation ? À ce petit doigt malicieux, peut-être, de nous le dire.

 

Jean-Pierre Longre

 

http://www.editions-fayard.fr

 

http://www.oulipo.net/oulipiens/FC

 

 

P.S.: Le numéro 52-53 (décembre 2008) des Amis de Valentin Brû (Revue d'études sur Raymond Queneau) est intitulé Pour François Caradec. Sous la houlette de Daniel Delbreil, un hommage collectif accompagné de texte "inédits" et "déjà parus": avbqueneau@wanadoo.fr

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04/08/2010 | Lien permanent

Champions de la forme fixe

Unmetierdhomme.jpgOuLiPo, C’est un métier d’homme, Mille et une nuits, 2010

La contrainte et l’invention font bon ménage. C’est ce que, depuis cinquante ans, l’Oulipo vérifie et met en pratique, selon l’une de ses options, « la tendance analytique [qui] travaille sur les œuvres du passé pour y rechercher des possibilités qui dépassent souvent ce que les auteurs avaient soupçonné » (François Le Lionnais, « La Lipo (Le premier Manifeste) »). 

Dans C’est un métier d’homme, l’œuvre du passé (tout est relatif…) est « Autoportrait du descendeur », texte liminaire du recueil Les athlètes dans leur tête de Paul Fournel. Cet autoportrait est celui d’un skieur qui se voit en champion médaillé d’or, bourreau de travail, toujours à l’entraînement, soignant le moindre détail, mais prévoyant aussi la faute infime qui lui apportera « le seul moment de vrai repos ». Cette nouvelle en contient une autre (sinon plusieurs) en filigrane : le descendeur est aussi le nouvelliste, aussi soigneux dans son labeur, aussi soucieux de sa tâche que le descendeur.

Sur ce modèle, Hervé Le Tellier a composé un « autoportrait du séducteur », qui s’adonne à son activité avec autant de scrupules et de méticulosité que le descendeur ; puis d’autres ont emprunté le moule pour y couler leur prose et sculpter leurs « autoportraits d’hommes et de femmes au repos » : outre les deux premiers, Jacques Jouet, Frédéric Forte, Michelle Grangaud, Marcel Bénabou, Ian Monk, Michèle Audin, Daniel Levin Becker, Olivier Salon, tous Oulipiens, créent ainsi une nouvelle forme fixe et une possibilité de variations à l’infini, dont ces prototypes ont tout pour plaire, pour faire réfléchir, voire pour faire peur de la chute finale. Les métiers (puisqu’il faut les appeler ainsi) les plus divers sont ici présentés en situation, aussi bien le ressusciteur que le tyran, la fourmilière que la toupie, le philosophe télévisuel que le Président, le buveur que la femme en quiétude… j’en passe. Preuve est faite que la contrainte est source d’ouverture, la forme fixe de trouvailles, la matrice immuable des tonalités les plus variées, parmi lesquelles l’humour et la satire ne sont pas les plus rares, mais sont à prendre au sérieux.

L’un des avantages de ce genre de publication, c’est que chaque lecteur sent poindre en lui des potentialités littéraires que sans cela il aurait gardées enfouies au plus profond de son cerveau. Certes, pour devenir réalité, une potentialité doit faire l’objet, comme ici, de la plus extrême attention, de la préparation la plus pointilleuse, de la volonté la plus acharnée, de la « concentration » la plus « totale ». Un vrai travail de chroniqueur littéraire.

Jean-Pierre Longre

www.1001nuits.com

 

www.oulipo.net  

 

et pour lire çà et là quelques notes éparses, quelques chroniques en pointillés qui ont quelque chose à voir avec l’Ouvroir de Littérature Potentielle, voir :

http://jplongre.hautetfort.com/archives/tag/oulipo.html

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03/01/2011 | Lien permanent

Un « art du merveilleux »

Essai, francophone, cinéma, Raymond Queneau, Marie-Claude Cherqui, Nouvelles éditions Jean-Michel Place, Jean-Pierre LongreMarie-Claude Cherqui, Queneau et le cinéma, Nouvelles éditions Jean-Michel Place, collection « Le cinéma des poètes », 2016

Dans Loin de Rueil, roman dont le cinéma associé au rêve forme le fil conducteur, dans la narration et dans la vie du héros Jacques l’Aumône, le pouvoir du « cintième art » (expression quenienne, on l’aura deviné) est tel qu’il laisse voir en lui « une manière d’exister, de philosopher, une mystique profane ». C’est en tout cas ce que Marie-Claude Cherqui affirme, et elle a raison. Car pour l’écrivain, le cinéma fut, « aux côtés de la littérature et des mathématiques, un compagnon quotidien. ». En tant que spectateur, bien sûr, dès l’enfance et tout au long de sa vie (« au moins trois fois par semaine », assure-t-il lui-même en 1945), mais aussi en tant que critique, commentateur, auteur, dialoguiste, scénariste, réalisateur, acteur… Bref, « ses travaux […] occupent à côté de son œuvre romanesque et poétique une place plus qu’importante. ».

Essai, francophone, cinéma, Raymond Queneau, Marie-Claude Cherqui, Nouvelles éditions Jean-Michel Place, Jean-Pierre LongreDans cet ouvrage, tout est là pour le confirmer et l’attester, en deux grandes parties finement intitulées « Du ciné dans Queneau » et « Du Queneau dans le ciné ». L’auteure y développe toute l’activité cinématographique de Queneau qui, soit dit en passant, a fréquenté dans ce contexte non seulement Jacques Prévert, Marcel Duhamel et Boris Vian, ses complices des « premières tentatives cinégraphiques », mais aussi René Clément, Marcel Pagliero, Jean-Pierre Mocky, Luis Buñuel, Jean Jabely, Jacques Rozier, Alain Resnay, Pierre Kast…, et dont l’œuvre a inspiré Louis Malle, Jean Herman, Michel Boisrond, François Leterrier ou Daniel Ceccaldi… Pour compléter la liste, Queneau a laissé « 8 commentaires pour des documentaires, 14 scénarios ou adaptations et dialogues pour des longs-métrages, 9 synopsis. Il supervise le doublage de 4 longs-métrages, écrit 6 chansons pour Gervaise, fait un peu l’acteur pour Pierre Kast et Claude Chabrol » ; il a aussi écrit « « 11 textes et articles sur le cinéma », et a été juré du Festival de Cannes en 1952. Voilà un aperçu, qui méritait d’être développé – ce qui est fait dans ce volume.

En 120 pages complétées par une bibliographie « sélective » mais significative, 120 pages denses, parfois pittoresques ou surprenantes, toujours sérieuses et documentées, ponctuées d’abondantes citations de textes de et sur Queneau, Marie-Claude Cherqui – qui a naguère consacré une thèse entière et plusieurs articles au sujet – dit tout, explique tout, en une série d’analyses synthétiques (pour ainsi dire), et montre avec pertinence que l’œuvre cinématographique de Queneau est en phase avec le reste de son œuvre, romanesque et poétique. Voilà la marque d’un artiste au génie largement pluriel et toujours maîtrisé.

Jean-Pierre Longre

www.jeanmichelplace.com

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19/12/2016 | Lien permanent

Histoires de lieux

Revue, Nouvelle, francophone, Brèves, Atelier du Gué, Jean-Pierre LongreBrèves n° 120, 2022

À la fin du volume, Éric Dussert présente Fanny Clar (1875-1944), journaliste engagée, romancière, nouvelliste, et propose à la lecture l’un de ses textes, « L’horloger qui écouta les horloges » : l’horloger en question, que personne n’a jamais vu en dehors de sa boutique, se voit harcelé par ses instruments qui lui répètent sans cesse « Le temps fuit… ». Finalement, c’est lui qui va fuir le lieu de son enfermement volontaire, quittant sa boutique pour des promenades, enfin « souriant au soleil, aux moineaux, à l’instant de joie qui passe et dont il faut jouir, vite, vite, avant qu’il soit trop tard, tard… ».

Voilà un beau prolongement des douze nouvelles qui composent le corps principal de ce numéro (dont les dernières pages sont consacrées, comme il se doit, à d’utiles recensions). De tons et de factures divers, ces douze nouvelles ont un motif commun : ce sont des histoires de lieux. Sur le mode réaliste ou fantastique, nostalgique ou humoristique, morbide ou réjouissant, dramatique ou poétique, il s’agit de lieux où l’on reste, que l’on quitte, que l’on retrouve, lieux individuels ou collectifs, intérieurs ou extérieurs – croisés par le temps, bien sûr, qui pèse de tout son poids sur les mouvements des personnages.

Les mouvements, et les destins. Il y a un jeune boucher qui, devenu veuf et séducteur malgré lui, part vers d’autres horizons ; ce voyageur infatigable découvrant un village reculé d’Afrique et la vie qu’on y mène ; ces habitants d’une banlieue réunis pour assister à la démolition de leurs logements à coups d’explosifs ; cette pauvre Liselotte qui n’a trouvé qu’un moyen pour bénéficier d’un peu de chaleur l’hiver : passer ses journées dans les bus. Il y a les souvenirs familiaux et lyonnais d’un jeune homme ; les impressions d’un commandant extra-terrestre visitant en 2096 une planète vide, la terre ; un monde où le travail est considéré comme une drogue… On en passe, laissant aux lecteurs le plaisir de suivre à leur guise le fil conducteur de ces nouvelles et les boucles parfois surprenantes qu’il offre.

Encore une fois, Martine et Daniel Delort font de Brèves bien plus qu’une simple revue, un recueil qui déploie toutes les ressources de la littérature. Profitons-en !

Jean-Pierre Longre

Les auteurs : Alain Leygonie, Dominique Lanni, Sylvie Cavillier, Marie-José Le Roy, Brice Gautier, Christophe Varlet, Jean-Yves Robichon, Rose Tacvorian, Dominique Carron, Julie Boudillon, Mireille Diaz-Florian, Marie-France Fournié, Fanny Clar

Brèves, 1, rue du Village, 11300 Villelongue d’Aude

breves@atelierdugue.com

Tél. 04 68 69 50 30 ou 06 28 07 51 81

https://www.pollen-difpop.com/article-8529-breves.aspx

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10/09/2022 | Lien permanent

Anecdotes et souvenirs littéraires

Nouvelles, chroniques, autobiographie, récit, francophone, Roger Grenier, Jean-Marie Laclavetine, Gallimard, Jean-Pierre LongreRoger Grenier, Les deux rives, préface de Jean-Marie Laclavetine, Gallimard, 2022

Roger Grenier (1919-2017), écrivain, journaliste, éditeur, lecteur chez Gallimard, a bien connu le monde littéraire. Dans cet ouvrage posthume, sous la forme d’anecdotes souvent souriantes, ironiques sans méchanceté, il rend compte à sa manière d’épisodes significatifs, parfois saugrenus, parfois émouvants, mettant en scène des personnalités connues ou méconnues.

Situés entre 1937 et 2005, maints événements confidentiels ou notoires sont tombés sous la plume alerte de l’auteur. C’est par exemple, en 1950, Marguerite Duras exclue du P. C. F. pour des raisons relevant de la morale la plus intransigeante ; la visite des fines fleurs de la Beat Generation (Jack Kerouac, Alan Ginsberg, Gregory Corso) dans les bistrots de Saint-Tropez ; les funérailles de Céline, en 1961, à l’occasion desquelles, dans son reportage pour France-Soir, Roger Grenier écrivit : « Il est toujours triste d’être obligé d’avoir honte d’un grand écrivain. » ; André Maurois faisant appel à des « nègres » ; des confidences de Serge Gainsbourg ; l’évocation de la mort, à Venise, de Wagner « se faisant faire une gâterie, comme on dit, par la femme de chambre »… On croise de grandes figures, amis ou connaissances de l’auteur, Camus bien sûr, Raymond Queneau, Jules Roy, Pierre Lazareff, Daniel Boulanger, et bien d’autres membres de la République des Lettres.

Ces échos des « deux rives » sont précédés de trois nouvelles, dans lesquelles Roger Grenier évoque aussi – souvenirs mêlés de fiction – des figures attachantes, discrètes voire secrètes, avec un art consommé du récit bref et du suspense narratif. Et ils sont suivis d’un texte s’attardant sur ce qui fut pour le petit Roger « un inépuisable livre d’images », deux volumes du magazine L’Illustration, aux photos « prodigieuses », atteignant « les sommets du chauvinisme ».

Comme l’écrit Jean-Marie Laclavetine dans sa préface, Roger Grenier fut « un esprit discrètement libertaire et d’un antimilitarisme foncier » (ce qui ne l’empêcha pas, entre autres engagements, de participer à la libération de Paris). Et dans cet ultime ouvrage, il use « toujours du ton d’ironie modeste et du sourire en coin de ceux qui ont perdu toute illusion quant aux capacités d’amélioration de l’espèce. » Un exemple pour finir ? En 1968 : « Mes fils, Frédéric et Nicolas, ont 15 et 13 ans. Comme je leur dis : « Il faudrait quand même que vous lisiez La Condition humaine ou Les Conquérants », l’un d’eux réplique : « Tu ne te figures pas que je vais lire les livres d’un ministre ! » Je me dis alors que Malraux vient de trouver sa punition. »

Jean-Pierre Longre

 

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24/10/2022 | Lien permanent

Littérature poids léger

Roman, poésie, sextine, francophone, Paul Fournel, P.O.L., Jean-Pierre LongrePaul Fournel, La liseuse, P.O.L., 2012, Folio, 2013

Le troubadour Arnaut Daniel, poète influent du XIIe siècle, est dit-on l’inventeur d’un genre à forme fixe qui, pour complexe qu’il soit, a connu et connaît encore le succès : la sextine. Les six mots qui forment les rimes tournent sur eux-mêmes, revenant selon une savante rotation hélicoïdale à la fin des six vers de chacune des six strophes. En oulipien virtuose et en fidèle disciple de Queneau (qui construisait ses romans selon de rigoureux schémas préétablis), Paul Fournel a composé La liseuse selon la forme de la sextine, et il a même la gentillesse de nous livrer ce secret de fabrication à la fin de son roman.

Car La liseuse est bien un roman, dont chaque ensemble de six chapitres s’assimile à une strophe, ce qui fait que les trente-six chapitres équivalent à trente-six vers aux rimes constantes et tournantes : « lue, crème, éditeur, faute, moi, soir ». Qui plus est, les vers-chapitres sont d’une longueur régulièrement déclinante, de 7500 à 2500 signes, figurant ainsi le déclin progressif de la vie du protagoniste.

roman,poésie,sextine,francophone,paul fournel,oulipo,p.o.l.,jean-pierre longreEt ce roman en est bien un vrai, avec un personnage principal autour duquel se meuvent des personnages secondaires. Qui plus est, c’est un roman où il est question de romans, puisque Robert Dubois est un éditeur « à l’ancienne », qui regarde d’un œil malicieux s’agiter tout ce monde, et contemple de même sa propre vie, dont les innovations technologiques semblent vouloir bouleverser le cours. La « liseuse » en question, qu’on vient lui offrir, est une tablette électronique qui contient un nombre de livres tel qu’il ne pourra jamais en transporter dans son cartable. Il ne vire ni au vieux grincheux réfractaire ni à l’obsédé de l’écran, mais se prend au jeu, s’amuse à semer le désordre dans le monde éditorial en s’appuyant sur sa tablette et sur les stagiaires, ces êtres plus ou moins visibles sans lesquels la profession de l’édition ne pourrait pas subsister. S’observant, il en profite pour revenir sur sa vie de lecteur : « Je suis assis dans le canapé, ma tablette posée sur les genoux, je n’ai pas encore l’énergie d’appuyer pour la mettre en marche et faire jaillir le texte. Ce qui est dedans me menace. J’en veux à ce métier de m’avoir tant et tant empêché de lire l’essentiel, de lire des auteurs bâtis, des textes solidement fondés, au profit d’ébauches, de projets, de perspectives, de choses en devenir. Au profit de l’informe ». Un retour sur soi qui prépare le dénouement…

Récit à contrainte, roman-poème, La liseuse se consomme à différents niveaux : l’histoire d’un homme vieillissant, bon vivant, aux petits soins avec sa femme, sujet aux regrets ; un portrait ironique des milieux éditoriaux et de la littérature médiatique ; une description des changements radicaux qu’imposent les inventions modernes ; une réflexion sur les rapports entre le livre et le lecteur, etc. Quoi qu’il en soit, c’est bourré de références et d’allusions (à l’histoire de la littérature, depuis le manuscrit médiéval jusqu’à l’écriture électronique en passant par l’invention de l’imprimerie, et aussi à une quantité d’auteurs, aux collègues de l’Oulipo, à Raymond Queneau…), c’est savant, c’est livresque, c’est léger, c’est profond, c’est drôle, c’est enlevé… C’est du Paul Fournel.

Jean-Pierre Longre

www.pol-editeur.com  

www.paulfournel.com

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www.folio-lesite.fr 

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09/07/2013 | Lien permanent

Libre abécédaire de la presse

Dictionnaire, essai, francophone, journalisme, Serge July, Plon, Jean-Pierre LongreSerge July, Dictionnaire amoureux du journalisme, Plon, 2015

Si l’on se fie à l’épaisseur du livre (plus de 900 pages), et surtout à la mine de renseignements et d’idées qu’il contient, on se dit que l’amour de Serge July pour le journalisme est incommensurable – et lorsqu’on pense à sa propre carrière – voir entre autres l’entrée July (Serge) –, on se dit qu’il ne pouvait en être autrement. Même si, tout amoureux qu’il est, il parvient à prendre le recul nécessaire pour avoir un regard relativement objectif sur le métier (il rappelle volontiers cette « vérité essentielle » de Bernard Voyenne : « Aucun journal n’est objectif, la presse l’est »). Recul, donc, et distance souriante : le premier article, intitulé « À bas les journalistes », cite les phrases satiriques qui, du XVIIe siècle à nos jours, ont fleuri sous la plume de certains auteurs (Voltaire, Balzac, Flaubert, Henry James, Montherlant, Bourdieu…). Pour le plaisir, George Bernard Shaw : « Journal : institution incapable de faire la différence entre un accident de bicyclette et l’effondrement de la civilisation. ».

Puis commencent les choses sérieuses : une revue détaillée de tout ce qui a trait au journalisme : son histoire et celle des grands organes de presse (Libération bien sûr, les autres aussi), une histoire non dénuée des engagements propres à l’auteur ; en témoignent les textes sur Henri Alleg, sur les grands « bidonnages », sur la mort de Roger Salengro, sur la « révolution » roumaine, sur les populismes… Évidemment, les éléments biographiques abondent, notamment ceux qui concernent les grands journalistes comme Beuve-Méry, et le premier de tous, Théophraste Renaudot, journalistes qui comptent parmi eux nombre d’écrivains sur lesquels Serge July prend parfois plaisir à s’attarder ; d’Hérodote à Camus et Sartre, en passant par Daniel Defoe, Voltaire, Alexandre Dumas, Zola, Hemingway, Kessel, Mauriac, Simenon – on en passe –, ils illustrent tous l’idée que journalisme et littérature, s’ils présentent des différences notables, ont au moins un point commun : la communication verbale.

Ce dictionnaire ne se contente d’ailleurs pas de donner des définitions, ni de déclarer son amour à la profession. Il présente des articles de fond, amorçant des réflexions sur, par exemple et justement, la communication, « le propre de l’espèce humaine », avec tous ses enjeux dans le cadre politique et international. Réflexions aussi sur l’immédiateté et la « distanciation » ironique, sur le « lynchage médiatique », sur ce qu’on appelle le « quatrième pouvoir », sur la puissance néfaste de la « rumeur », sur 1968 et, dans la foulée, 1973 (naissance de Libération)… Pouvoir de réflexion ne va pas sans précision sémantique : on sort de cette lecture avec le sentiment d’être plus instruit, en tout cas de mieux connaître (ou d’avoir tout bêtement appris) certains mots spécialisés (« marbre, marronniers, ménages, tabloïd, offset, mécascriptophile »), voire l’origine de certains autres (« reportage »), le contenu précis de termes comme « feuillet » (25 lignes de 60 signes, soit 1500 signes, ou 250 mots)…

Et il n’est pas indifférent, pour le lecteur, de se dire que l’auteur n’a pas perdu un certain sens de l’humour, parlant de la « pensée Dassault » sous le titre « Café du Commerce », évoquant les grands canulars à l’image de celui d’Orson Welles faisant croire à une invasion de Martiens, rappelant aussi, dans un autre domaine, ce que fut l’acronyme NDLC (note de la claviste, qui autrefois avait le droit de faire des commentaires dans les articles de Libé), ou encore citant Jules Renard : « Le comble pour un journaliste, c’est d’être à l’article de la mort. ». Belle pratique de l’humour libre dans un livre d’amour. Pour notre part, souhaitons que le journalisme demeure tel que le conçoit Serge July, malgré tous les dévoiements qui le guettent.

Jean-Pierre Longre

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02/12/2015 | Lien permanent

Histoire d’une famille, Histoire d’un pays

Roman, francophone, Fabrice Humbert, Gallimard, Jean-Pierre LongreFabrice Humbert, Éden utopie, Gallimard, 2015, Folio, 2016  

« Comme il y a une forme de vulgarité à parler de soi, j’essayerai de n’être qu’un personnage parmi les autres. ». Si Fabrice est au centre du livre, ce n’est pas du fait de ce que l’on nomme d’ordinaire « autobiographie », mais plutôt de celui des recherches qu’il mène, et qu’on le voit mener, à partir de la vie des membres de sa famille, pour reconstituer non seulement l’histoire de cette famille sur trois générations, mais aussi l’Histoire de la France sur une période qui va, disons, de l’immédiat après-guerre à nos jours.

À l’origine, il y a deux cousines, Sarah et Madeleine, élevées ensemble. Mariage bourgeois et prometteur pour la première, échec pour la seconde, qui doit se séparer de ses trois enfants pour survivre, avant un second mariage qui lui donnera deux autres enfants, dont Danièle, la mère de l’auteur. Il y a, surtout, la « Frater », œuvre de trois hommes entreprenants, anciens résistants, protestants militants, André Coutris, Daniel Jospin, Emmanuel Rochefort. « Fraternité » donc, réunie dans une bâtisse construite à Clamart des propres mains de ces hommes et de leurs familles, et inaugurée en 1946. Tous les personnages du livre en sont issus plus ou moins directement, héritiers de l’idéalisme bienheureux de cette époque, tous en quête, de diverses manières, de l’utopie édénique ainsi engendrée.

roman,francophone,fabrice humbert,gallimard,jean-pierre longreIssues du groupe et des deux cousines, se côtoient et se séparent deux branches familiales aux destins opposés : comme les Rougon et les Macquart, les riches Coutris et les pauvres Meslé – mais dont l’évolution va être bien différente de celle des personnages de Zola. Côté Meslé, le second mari de Danièle, beau-père de Fabrice, est une figure de l’entrepreneuriat social-démocrate, qui va introduire dans le foyer des personnalités du monde politique, artistique, médiatique. Côté Coutris, les options de la gauche radicale vont mener certains petits-enfants à la marge de groupuscules autonomes et violents comme Action Directe. Les illusions politiques d’Élise, notamment, la mèneront (plutôt injustement) en prison. Paradoxe fréquent à notre époque, les divergences familiales se muent en inversions sociales.

C’est ainsi qu’à travers les cinq épisodes du roman (« Les fondateurs », « Mai 68 », « L’Affaire », « La fortune des Macquart », « La vie etc. ») et grâce aux témoignages et documents que l’auteur recueille comme le fait un historien, c’est bien la chronique d’une époque qui est proposée. Les individus, dans leurs destins romanesques, sont le fidèle reflet, en profondeur et en relief, de la réalité socio-historique, avec des portraits (ceux de célébrités comme Jean-Claude Brialy, Michel Rocard, Lionel Jospin, bien d’autres encore, obscurs ou fameux), des peintures sociales, des épisodes dramatiques, des références littéraires et artistiques, et l’émotion, la nostalgie, les analyses philosophiques et psychologiques… Éden utopie est une fresque sur laquelle se greffent, en vue d’un aboutissement, les confidences et les réflexions du narrateur. « C’était ma quête de l’éden. J’étais à la recherche de cette plénitude exceptionnelle que j’imagine avoir éprouvée autrefois, dans un éden enfantin peut-être mythique, le sentiment merveilleux et immémorial de la présence du monde, mais ces mots trop pompeux échouent à traduire le pays merveilleux, qui est un je-ne-sais-quoi lové en chacun et que les mots ne sauraient restituer. ».

Jean-Pierre Longre

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08/12/2016 | Lien permanent

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