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24/03/2024

La révolte et le mitard

Autobiographie, Francophone, Jean-Pierre Martin, Éditions de l’Olivier, Jean-Pierre LongreJean-Pierre Martin, N’oublie rien, Éditions de l’Olivier, 2024

Après mai 1968, souvenons-nous, la révolte a continué. Les acquis et les accords n’ont pas empêché certains groupes de lutter contre l’oppression patronale, par exemple celle des chantiers navals de Saint-Nazaire chargés de construire des navires géants. Jean-Pierre Martin, qui avait abandonné ses études de philosophie pour s’établir comme ouvrier et qui militait au sein de la Gauche prolétarienne, n’a rien oublié du soutien aux actions symboliquement violentes ni des distributions de tracts, et de leurs conséquences : pour lui, deux mois d’isolement à la prison de Saint-Nazaire, « enfermé avec moi-même », écrit-il. « Mais pas question de ramollir. » « N’oublie pas les ouvriers blessés, mutilés ou morts à la tâche, victimes de guerre de la production, ceux qu’on sacrifie au tonnage d’un pétrolier ou au rendement d’une chaîne. »

Donc le mitard, seul avec soi-même, pour uniques distractions l’apparition régulière d’un gardien avec la gamelle de pitance, une lucarne laissant voir un petit bout de ciel (même pas le toit que pouvait apercevoir Verlaine), une araignée tissant sa toile et amicalement appelée Hélène, la promenade quotidienne entre quatre hauts murs, quelques bruits venus de l’extérieur… Mais cet isolement donne un relief et un goût particuliers aux rares entorses à la solitude : quelques livres, de quoi écrire, des gardiens qui, peu à peu, se mettent à parler, deux ou trois codétenus furtivement croisés, les visites de l’avocat (dont pourtant le prisonnier n’attend pas grand-chose), celles de la « visiteuse », une dame dont l’austérité bourgeoise se mue progressivement en sympathique compréhension, celle, une seule fois, des parents honteux de leur fils, l’écho sifflé de Laure, une camarade de lutte enfermée derrière le mur, côté femme… Et puis il y a le certificat qui manquait à notre prisonnier pour parfaire ses études, qu’il prépare en vitesse, et qui lui vaut la visite de son professeur et du doyen de la faculté, dignes messieurs venus tout exprès de Nantes pour l’occasion. Un beau morceau d’anthologie, cet oral passé dans le parloir avec à la clé la déclaration solennelle d’obtention de la maîtrise de philosophie !

Après le procès et son verdict (deux mois ferme), procès au cours duquel le prévenu n’a pas pu taire un discours militant, il reste quinze jours à tirer, les plus longs, les plus durs sans doute. « La sortie est comme une obsession. Ici, maintenant, est trop douloureux. Tu te sens plus que jamais claustrophobe. Tu aimerais dormir jusqu’à ta libération. » On le comprend, car jusqu’à présent on n’a pu qu’accompagner son récit attachant et poignant, enfermés avec lui dans son cachot humide et dans sa solitude révoltée, dont, promis, nous n’oublierons rien. Mais que l’on connaisse ou non Jean-Pierre Martin dans les parcours qu’il a menés par la suite, on le devine sensible à la complexité du monde : « D’un côté ton moi enfiévré et violent, de l’autre ton moi dissident, œcuménique et fraternel. […] Tout est politique, penses-tu comme tes camarades, et cependant, tu n’es pas tout à fait politique au sens strict. Plutôt affectif, affecté à fleur de peau, atteint d’une fièvre insurrectionnelle, révolté de l’intérieur par le monde tel qu’il est, désireux d’un monde tout autre. » Un monde peut-être promis par le paysage entrevu, au début du livre, à travers la vitre du fourgon pénitentiaire, et par cette « ligne d’horizon » qu’à la fin, une fois libéré, il redécouvre avec « l’œil d’un enfant ».

Jean-Pierre Longre

www.editionsdelolivier.fr

https://jeanpierremartin.net

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