2669

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : %22Marius Daniel Popescu%22

« La persistance des traces »

Revue, francophone, Nunc, Réginald Gaillard, Franck Damour, Éditions de Corlevour, Jean-Pierre LongreRevue Nunc n° 40, coordination Réginald Gaillard et Franck Damour, Éditions de Corlevour, octobre 2016

Chaque numéro de la revue Nunc, « revue mystique », est assorti d’une épithète qui participe d’une déclinaison poétique. Le numéro 40, qualifié de « désertique », est néanmoins fertile en productions réparties autour d’un dossier sur Hadewijch d’Anvers sous-titré « Aux sources de la mystique occidentale ». « Béguine » dont le nom et l’œuvre (écrite en langue vernaculaire, le brabançon) ont été, disons-le, bien oubliés depuis la fin du Moyen Âge, Hadewijch d’Anvers est pour ainsi dire ressuscitée par ce beau dossier qui contient des articles de recherche littéraire et historique, des poèmes et lettres traduits et commentés, des vers inspirés par ses textes, des considérations sur son héritage et son influence… Travaux de spécialistes et d’écrivains (Daniel Cunin, Franck Willaert, Claude-Louis Combet, Pascal Boulanger, Veerle Fraeters, Rob Faesen, Raymond Jahae, Isabelle Raviolo, Ludovic Maubreuil, David Vermeiren) qui s’adressent à tous les esprits curieux de littérature, de mystique, d’amour, de poésie, d’esthétique.

Les autres pages de ce numéro illustré par des dessins en volumes puissants et tourmentés, d’une minéralité « désertique », de Solène Heurtebise se répartissent suivant les rubriques habituelles de la revue. La séquence spirituelle (Shekina), dominée par la silhouette d’Hadewijch d’Anvers, est complétée par une prose picturale  de Claude-Henri Rocquet et la poésie de l’espace, aérée, de Jean-François Eynard. L’écriture de la présence au monde (Oikouménè) est ici figurée par un texte de François Souvay (qui analyse trois essais de théorie littéraire s’intéressant à la fiction), des poèmes de Shu Cai et de Chu Chen (traduits du chinois par Nicolas Idier et Antoine Roset), ainsi que des poèmes de Paul Stubbs (traduits de l’anglais par Blandine Longre), inspirés par des œuvres de Francis Bacon. Comme une synthèse des deux sections précédentes, la troisième, Axis Mundi, propose des textes d’Éléonore de Monchy (« Défiance » et « Poèmes »), des ensembles de doubles quatrains de Gérard Bocholier (« Simon de Cyrène »), des extraits de « La Montagne qui fume » de Michel de Léobardy et une étude de Stéphane Barsacq (Le vitrail d’Yves Bonnefoy »). Enfin, le « Cahier critique » équilibre les comptes rendus : musique, peinture, poésie, philosophie.

Les épithètes peuvent défiler, comme elles le font en bas de la page de couverture, de « religieuse » à « silencieuse » en passant par « littéraire », « pérégrine », « sensuelle », « intérieure » et on en passe… Ce qui fait à la fois l’unité et la richesse de la revue, et en particulier de ce numéro 40, est exprimé dans le « Liminaire » de Gemma Serrano : « Face à l’amnésie du quotidien, la persistance des traces est proposée. […] L’instant se défait sans cesse, se forme, se déforme, se reforme et se transforme, […] l’instant modèle et métamorphose les espaces et les hommes. ». Ainsi prenons le temps de lire Nunc, maintenant, en profondeur.

Jean-Pierre Longre

www.corlevour.com

Lire la suite

26/12/2016 | Lien permanent

« La passion des baguettes »

Essai, francophone, autobiographie, musique, jazz, Alain Gerber, Frémeaux & Associés, Jean-Pierre LongreAlain Gerber, Deux petits bouts de bois, une autobiographie de la batterie de jazz, Frémeaux & Associés, 2024

On connaît l’érudition jazzistique d’Alain Gerber. On savait moins, jusqu’à maintenant, qu’il pratique depuis longtemps un instrument complexe et majeur de la musique de jazz : la batterie ; en amateur, avoue-t-il modestement, mais tout de même… Une pratique à laquelle il s’adonne encore au moins une heure par jour dans un sien cabanon isolé, ce qui lui évite les récriminations du voisinage telles qu’il les a connues lorsqu’il habitait en appartement (on pouvait s'y attendre, l’humour et la malice de sont pas absents de certaines anecdotes jalonnant cette « autobiographie de la batterie de jazz ». Voir aussi, par exemple, un furtif portrait d’André Malraux, qui dans un prestigieux restaurant lui servant de cantine « semblait tenir son propre rôle », un autre d’une Catherine Deneuve « piétinant devant un mur » chaussée de « pataugas à talons » durant le tournage d’un film…).

Difficile de mesurer toutes les dimensions de ce livre foisonnant, conduit effectivement par l’histoire des paires de baguettes pour lesquelles l’auteur avoue une véritable passion, ce qui ne l’empêche pas d’utiliser sans vergogne un vocabulaire quasiment amoureux pour décrire ses relations avec les cymbales. La science exhaustive du jazz n’est pas venue toute seule, et la dimension autobiographique laisse le champ libre non seulement à l’apprentissage de la batterie, mais aussi à l’acquisition de la connaissance des jazzmen, de leurs prestations dans les caves et surtout de leurs disques, avec des références précises aux grands batteurs concédées à qui veut y prêter l’oreille ; ils sont tous là, de Kenny Clarke à Ringo Starr (oui), en passant par Jo Jones, André Ceccarelli, Max Roach, Georges Paczynski, Buddy Rich, Elvin Jones, Art Blakey, Baby Dodds, Gene Krupa, Connie Kay ou Daniel Humair.

Mais la science musicale n’occulte pas le reste, car Alain Gerber le reconnaît, il « cultive l’art (l’art ou la marotte ?) de la digression. » L’autobiographie n’est pas seulement celle de la batterie, mais aussi celle de l’auteur en personne : la rencontre décisive de l’amour, les « petits boulots » de jeunesse pour survivre, les voyages et, bien sûr, parallèlement à la musique, la littérature. Écoutons-le, dans son inimitable style nourri de paradoxes : « Quel état des lieux suis-je en mesure de dresser ce matin, si je compare mon itinéraire d’instrumentiste à celui d’homme de plume ? D’un côté, je sais de mieux en mieux ce que je devrais faire avec mes tambours et mes cymbales, mais j’en reste largement incapable ; de l’autre, je vois très bien ce qu’il ne faut pas faire et, sauf exception, ne parviens toujours pas à m’en empêcher. » Un parallèle dont il s’étonne lui-même, mais qui est d’un riche enseignement sur la puissance de ces petits instruments que sont les baguettes et le stylo, utilisés au départ sans ambition démesurée par quelqu’un qui doute de ses capacités, ne se sent pas à sa place, comme lors de ses débuts à France Culture (on le lui a fait sentir plus tard lorsqu’il en fut brusquement exclu), et qui dit avoir « fait des pieds et des mains pour entrer dans le rang. Le rang des non-alignés ».

Sans doute. Mais ce « non-aligné » nous en apprend toujours plus, sur le jazz, sur le style littéraire (cultiver la « simplicité » – pas si simple), sur la vie culturelle, sur la vie tout court. Sans parler du plaisir toujours recommencé, jamais le même, de la lecture. Et si l’auteur de ces lignes perdait un jour la mémoire, il ne se pardonnerait pas de ne pas retenir malgré tout cette formule : « C’est toute l’énigme de la musique : avec elle, ou l’on touche au sacré, ou l’on ne touche à rien du tout. »

Jean-Pierre Longre

 

https://www.fremeaux.com/fr/

Lire la suite

21/02/2024 | Lien permanent

Pour la nouvelle, toujours

Brèves 93.jpgRevue Brèves n° 93, « Vue imprenable sur Pascal Garnier », 2010

Voici ce qu’il y a quelques années j’écrivais dans Sitartmag à propos de la revue Brèves :

 

Combien de revues littéraires les vingt dernières années ont-elles vu naître pour rapidement disparaître ? Combien de publications sur la nouvelle, genre qui, paradoxalement, se « vend(ait) mal » mais envahi(ssai)t les pages ouvertes aux jeunes auteurs et fai(sai)t l’objet de multiples concours, dans des circuits parallèles à ceux des grandes maisons d’édition ?

 

Brèves, en toutes circonstances, maintient son cap obstiné. À l’Atelier du Gué, dans l’Aude, crue ou sécheresse, tempête ou calme plat, on a l’esprit de suite, on traverse coûte que coûte, et c’est tant mieux. Daniel et Martine Delort savent où ils vont. Ils ont su composer avec le temps, avec les modes, avec les obstacles techniques, administratifs et financiers (sûrement), humains (peut-être), sans faire de concessions aux lois du commerce. Et tout en ayant vocation à éditer des livres, ils continuent depuis 60 numéros à publier leur revue, qui mêle en toute harmonie dossiers et entretiens littéraires, auteurs consacrés ou inconnus, textes inédits, notes critiques, recensions et informations.

 

Voilà sans doute la publication la plus complète, la plus sérieuse et la moins prétentieuse de la famille. Courant le risque de la nouveauté (donc de l’erreur) mais demeurant dans les strictes limites du texte narratif court, elle a fait beaucoup pour la réhabilitation d’un genre qui, naguère boudé par le monde littéraire, retrouve depuis peu ses lettres de noblesse. Beaucoup plus en tout cas que les éditoriaux désolés des grands organes. Sans effets médiatiques, sans éclats démagogiques, Brèves nous donne à lire des écrivains souvent mal connus et qui gagnent à l’être mieux, des textes venus d’ailleurs ou de tout près, en langue française ou traduits, nous renseigne sur l’essentiel de la production actuelle ; et nous montre ainsi que la nouvelle, genre à part entière qui porte en germe ou en concentré les qualités essentielles de l’art littéraire, ne peut se faire connaître que par elle-même.

Que demander de plus ? Peut-être que, arrivée au bel âge d’une séduisante jeunesse, la revue Brèves se fasse encore mieux apprécier du grand public. Nous tentons d’y contribuer.

 

Rien n’a changé, à un chiffre près. Les obstacles sont toujours là, le cap est maintenu, et Brèves en est à son numéro 93… Un numéro consacré tout entier à une « vue imprenable » sur Pascal Garnier, qui a quitté ce monde en mars 2010, laissant une œuvre noire et grise, sombre et lumineuse, inquiétante et roborative. Hubert Haddad, qui a imaginé et coordonné ce numéro, parle avec justesse d’un écrivain « qui marque la littérature française par sa langue retenue autant que retorse, rétive aux enfumages lyriques et cependant portée par une surprenante pyrotechnie d’images en noir et blanc ».

 

Ce volume donne un portrait dense et varié de l’écrivain : après quelques-unes de ses nouvelles, de nombreux souvenirs littéraires, qui ne sont pas des hommages conventionnels, mais de vrais témoignages d’amitié. Pascal Garnier n’est plus, son œuvre demeure, et l’équipe de Brèves compose obstinément, pour le bonheur de la nouvelle et des lecteurs, son « anthologie permanente de la nouvelle ».

Jean-Pierre Longre

www.atelierdugue.com

 

Un ouvrage de Pascal Garnier

 

Chambre 12, Flammarion, 2000.

 

Il a sa petite vie bien réglée, Charles, petite vie sans bonheur et sans enthousiasme, entre son travail de veilleur de nuit, les infimes occupations quotidiennes et les apéritifs pris au Balto du coin avec quelques copains dont il écoute sans les entendre les conversations de café du commerce. Une petite vie sans fioritures et sans fantaisie, étrangère aux sensations fortes et aux grands sentiments. Il est devenu une sorte de Meursault en fin de parcours depuis qu’un jour il a frappé à la porte du malheur et qu’il a payé par la prison un sursaut de révolte contre la tromperie de l’amour.

 

Il n’est ni heureux ni malheureux, et pourtant les autres autour de lui sont bien gentils et voudraient lui faire plaisir : Arlette, la soubrette rondelette qui lui fait œil et bouche de velours, les copains du Balto qui le font gagner au Loto, Madame Tellier sa patronne, qui veut lui faire prendre des vacances. Mais il ne se sent pas concerné… Ce n’est pas ce qu’il cherche.

 

Son destin, il le trouvera en la personne mystérieuse et fascinante d’Uta, belle grande dame élégante et borgne, qui hantera son esprit et sa vie, dont il ne pourra plus se séparer et qui l’emmènera pour un seul et ultime voyage qu’il voudrait interminable. Personnage décisif qui traverse sa vie d’Est en Ouest, du levant au couchant, et dont il devient dépendant comme nous tous. Uta est celle que chacun attend sans vraiment la chercher.

 

Pascal Garnier a écrit plusieurs romans noirs. Chambre 12 est un roman gris. Cette description apparemment limpide d’un quotidien plutôt désespérant n’est dénuée ni d’humour ni d’opacité, et l’écriture, à travers l’évocation de petites vies, parvient à faire entrevoir les mystères et les abîmes de l’existence.

 

Lire la suite

29/11/2010 | Lien permanent

Page : 1 2 3 4