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Rechercher : les mots du spectacle en politique

Polyphonie de la révolte

Théâtre, croate, kurde, hébreu, Ivana Sajko, Miloš Lazin, Anne Madelain, Vanda Mikšić, Sara Perrin, Mîrza Metîn, Atilla Balιkçι, Gilad Evron, Jacqueline Carnaud, Zohar Wexler, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreIvana Sajko, Trilogie de la désobéissance, traduit du croate par Miloš Lazin, Anne Madelain, Vanda Mikšić et Sara Perrin, éditions L’espace d’un instant, 2021.

Devant la violence du monde capitaliste, il y a plusieurs réactions possibles, parmi lesquelles la tentative amoureuse, le repli dans un paradis protégé ou la révolte meurtrière. Les trois pièces d’Ivana Sajko réunies dans cette trilogie illustrent en quelque sorte ces trois attitudes, tout en étant mutuellement reliées par une forme qui ne revêt pas les apparences immédiates du genre théâtral classique, mais qui n’en est pas moins résolument scénique. Comme l’écrit Miloš Lazin dans son introduction, « la parole extrêmement subjective d’Ivana donne au fond la parole au monde. Et le monde est ce qui se produit au théâtre (ou rien ne s’y passe). »

Rose is a rose is a rose (titre inspiré par Gertrude Stein) est un chant d’amour répondant à la violence de la société et des émeutes qui en sont la conséquence, à la violence de l’histoire qui envahit toutes les régions du monde (« Émeute. Émeute. Émeute. Chaque enfant avec une pierre en main. »). Une violence rythmée par des répétitions de mots, de bouts de phrases narratives, par des esquisses de dialogues, une violence à laquelle fait face le silence de l’amour : « Les bourgeons ont éclos en roses. / Rien que pour eux deux. / ET LE MATIN S’EST RÉPANDU. / Plus un mot. Et, eux, ne se sont rien dit. »

Si une rose est une rose, « la pomme n’est pas une pomme », elle est « notre drapeau planté au milieu de leurs ruines. » C’est ainsi que commence la deuxième pièce, Scènes de la pomme. S’occuper de son jardin d’Eden, ce serait se protéger de l’Enfer du monde extérieur. Mais l’ennemi a ses tactiques : « Il s’introduit dans nos rêves, répand la désinformation et l’inquiétude. Il nous assomme à coups d’arguments politiques, brise notre volonté et enlaidit nos femmes. Il pourrait même se faufiler dans notre jardin. » Alors comment attendre la fin ?

La réponse résiderait-elle dans Ce n’est pas nous, ce n’est que du verre, la troisième pièce, qui débute par l’évocation des grandes crises économiques (1929, 2008), et qui se poursuit avec toutes les misères qui en découlent ? « Ils ont dévoré l’allocation familiale, / ils ont vidé le garde-manger, / ils ont rongé tout ce qu’ils pouvaient, / ils ont mâché tout ce dont ils se sont emparés, / […] ils continuent à menacer le budget familial. » C’est ainsi que la violence issue de cette misère risque de transformer les enfants en « Bonnie and Clyde »…

L’esthétique de cette trilogie (comme celle, en général, de l’œuvre d’Ivana Sajko) met à mal la vision traditionnelle de la dramaturgie et fait appel à toutes les ressources, à toutes les libertés de la mise en scène et du jeu théâtral. Ce jeu est tributaire de textes à la fois monologiques et didascaliques, envahis par la poésie qui s’insinue dans le réel de la parole et de la scène. « Savez-vous à quel point il est difficile de jouer cela ? », est-il dit dans la troisième pièce. Partition polyphonique, cette trilogie est une symphonie verbale en trois mouvements, qui laisse la « porte ouverte » à la subversion, aux difficultés et aux bonheurs du théâtre.

Jean-Pierre Longre

 

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Théâtre, croate, kurde, hébreu, Ivana Sajko, Miloš Lazin, Anne Madelain, Vanda Mikšić, Sara Perrin, Mîrza Metîn, Atilla Balιkçι, Gilad Evron, Jacqueline Carnaud, Zohar Wexler, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreMîrza Metîn, Gravité, traduit du kurde par Atilla Balιkçι

« Ferhad a fui Şengal, livrée à la barbarie, et tente de trouver son chemin vers l’Occident. À Istanbul, il croise Şêrîn, une Kurde d’Allemagne qui tente de retourner à ses racines. Au moment où ils se rencontrent, le temps s’arrête et leurs coeurs s’emballent. Mais aucun n’interrompt son voyage, car pour chacun d’entre eux c’est une question existentielle. Mais leur parcours est semé d’embûches. Parviendront-ils à se retrouver ? Gravité est un texte basé sur des histoires vraies, qui se concentre sur les tragiques massacres subis par les Kurdes yézidis et les dilemmes rencontrés par les Kurdes de la diaspora. Une histoire d’amour poursuivie par la guerre. »

 

Théâtre, croate, kurde, hébreu, Ivana Sajko, Miloš Lazin, Anne Madelain, Vanda Mikšić, Sara Perrin, Mîrza Metîn, Atilla Balιkçι, Gilad Evron, Jacqueline Carnaud, Zohar Wexler, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreGilad Evron, Terriblement humain, traduit de l’hébreu par Jacqueline Carnaud et Zohar Wexler

« Terriblement humain met en scène deux couples de voisins et un médecin confrontés au problème des migrants. Si le premier couple appartient à la bourgeoisie aisée, ouverte sur le monde et a priori éclairée, le second est issu d’un milieu rural, populaire et pratiquant. Le migrant est incarné par un homme noir venu à pied de la Corne de l’Afrique pour témoigner de l’injustice qui lui a été faite et mourir. Quant au médecin, ancien bénévole dans une ONG en Afrique, il ne peut que constater, une fois de plus, son impuissance. »

 

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25/04/2021 | Lien permanent

« Rendre justice »

Essai, biographie, histoire, francophone, Charles Bècheras, Gérard Tracol, Gabriel Longueville, Jean-Louis Balsa, François d’Alteroche, éditions Karthala, Jean-Pierre LongreCharles Bècheras, Gérard Tracol, La Force des Pauvres. Gabriel Longueville, prêtre ardéchois, martyr de la foi en Argentine. Préface de Mgr Jean-Louis Balsa, postface de Mgr François d’Alteroche, éditions Karthala, 2019.

De Gabriel Longueville, Mgr Jean-Louis Balsa, évêque de Viviers, écrit qu’« il a découvert et dénoncé, au nom de Jésus-Christ, l’oppression, l’injustice, la dictature, la mort qui tue les petits et les faibles. ». Le livre de Charles Bècheras et Gérard Tracol réussit à montrer comment cette faiblesse peut se transformer en « force », grâce à l’engagement indéfectible de quelques hommes portés par leurs convictions et leur aspiration à la justice pour tous.

Parmi eux, donc, Gabriel Longueville, membre très proche de la famille de Gérard Tracol, dont les auteurs commencent par retracer l’itinéraire, depuis son Ardèche natale jusqu’à la province argentine de La Rioja, après une étape au Mexique. C’est ainsi qu’il passe « du temps de la découverte au temps de la colère ». Découverte d’une religiosité différente de ce qu’il connaissait, découverte de la pauvreté profonde, « problème structurel » dû au « capitalisme en vigueur », découverte de la « théologie de la libération » et du mouvement des « Prêtres pour le Tiers-Monde », « en faveur des exploités », découverte du travail manuel avec les ouvriers en bâtiment (même si les mains de Gabriel étaient déjà habiles à la sculpture, comme le montre l’illustration de couverture)… Et colère contre l’injustice sociale et contre une Église traditionnelle vendue « au capitalisme et à l’autoritarisme d’État ». Une colère qui va se muer en soif d’action, sous la houlette de Mgr Enrique Angelelli, évêque de La Rioja et signataire du « Pacte des catacombes » qui propose « deux motions complémentaires : s’engager à marcher avec les pauvres, adopter un style de vie simple en renonçant à tous les symboles du pouvoir. ». Propositions qui conviennent parfaitement à Gabriel, ainsi qu’au vicaire qui le rejoindra à Chamical en 1974, Carlos de Dios Murias. Mais le contexte politique s’assombrit de plus en plus, le climat devient de plus en plus violent, jusqu’à la prise de pouvoir du général Videla, le 24 mars 1976, et aux dictatures militaires qui se succèdent jusqu’en 1983. Répression, arrestations multiples et arbitraires, torture, assassinats, le tout inspiré par les fascistes et les nazis installés dans le pays, mais aussi par les méthodes expérimentées en Indochine et en Algérie par certains Français, et impulsé et soutenu par les USA et la CIA… Le bilan sera accablant : « 30.000 disparus (desaparecidos), 10.000 fusillés, 9.000 prisonniers politiques, un million d’exilés (pour 32 millions d’habitants) et 500 bébés enlevés aux femmes desaparecidos dans les centres de détention pour être élevés très souvent par des familles de militaires ou des proches du pouvoir. ».

Alors les choses ne traînent pas. Arrêtés le 18 juillet au soir, Gabriel et Carlos seront retrouvés assassinés le 20 juillet, ce qui provoquera « un choc considérable dans la population de Chamical et le diocèse de La Rioja », d’où émane un message intitulé « Gabriel Longueville et Carlos de Dios Murias, martyrs de la Foi ». Quelques jours plus tard, c’est au tour de Wenceslao Pedernera, militant laïque, abattu sous les yeux de sa femme et de ses filles. Puis c’est la mort de leur évêque Enrique Angelelli, au cours de ce que les autorités ont voulu faire passer pour un accident, mais qui est bel et bien un assassinat. Quatre « martyrs » victimes du terrorisme d’État, dont les itinéraires différents se rejoignent dans la révolte contre l’injustice et la misère, et dans la béatification récente qui, non sans résistance de la part de certains idéologues, leur a rendu justice en reconnaissant leur « engagement généreux au service des frères, en particulier les plus faibles et les sans défense. ». 

L’ouvrage est non seulement le récit empathique de l’itinéraire de Gabriel Longueville et de ses compagnons vers la mort, mais c’est aussi un livre qui fixe l’Histoire. Les trois chapitres de « Repères », en particulier, éclairent le lecteur d’une manière décisive sur la « théologie de la libération », sur la situation historique et géopolitique du pays, et sur « l’Église d’Argentine et la dictature ». Beaucoup de documents, au fil du texte et en annexes, donnent corps au récit, et les nombreux extraits de la correspondance de Gabriel (qui, soi dit en passant, ne mâche pas ses mots) sont autant de témoignages probants et émouvants, au même titre que le cahier photographique central. Et parmi les annexes, relevons le texte de la « puissante » œuvre pour chœur que Marcel Godard, qui était un grand ami de Gérard Tracol, composa d’après le psaume 9 en mémoire du martyre de Gabriel Longuevile, et dont voici la fin :

                   « Tu as vu, toi, nos peines et nos pleurs,

                   Tu regardes et Tu nous prends par la main :

                   Le pauvre s’abandonne à Toi,

                   L’orphelin reçoit ton aide.

                   Tu connais, Adonaï, l’attente des pauvres.

                   Tu leur donnes la force du cœur :

                   Tu écoutes pour rendre justice à l’humilié.

                   Que les pauvres cessent de trembler, Adonaï ! ».

Entre l'oeuvre musicale et le témoignage écrit, c'est bien le même esprit qui souffle. 

Jean-Pierre Longre

www.karthala.com  

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel_Longueville

http://www.amismarcelgodard.fr/pages/mediatheque/ecouter....

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06/08/2019 | Lien permanent

L’exil et l’émotion

Récit, autobiographie, théâtre, francophone, Ouzbékistan, Victoria Yakubova, Volker Schlöndorff Croatie, Syrie, Dino Pešut, Nicolas Raljević, Lada Kaštelan, Wael Kadour, Nabil Boutros, Simon Dubois, Monica Ruocco, Ramzi Choukair, Céline Gradit, Pascal Rambert, L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreVictoria Yakubova, Chez moi, préface de Volker Schlöndorff, éditions L’espace d’un instant, 2023

« Chez moi, ce n’est pas uniquement territorial, chez moi, c’est aussi temporel, c’est aussi il y a vingt-cinq ans.

Alors chez nous, c’est il y a vingt-cinq ans à Tachkent, en Ouzbékistan, quand le monde n’était pas encore fou. Voilà où c’est, chez moi.

Chez moi, c’est à la fois nulle part et partout ! Ni le temps ni l’espace n’existent, disent-ils ! Et ils ont raison. »

Le récit relate les trajets d’un exil à l’autre suivis par la narratrice, à partir de l’émigration familiale depuis Tachkent jusqu’en Israël : « Nous sommes les « décabristes russes ». Incroyable. Il suffisait d’arriver dans le pays des Juifs pour devenir russes et surtout pour arrêter d’être juifs. » Et c’est la découverte d’une autre vie, d’autres mœurs, d’autres lectures, d’une autre guerre, d’autres contraintes, de l’amour…

Victoria ou « Vika », la narratrice, va plus tard accomplir son rêve : étudier le cinéma à l’université de Paris. « Mais le cœur est-il heureux ? » S’il y a de belles découvertes, de belles rencontres, il y a aussi les difficultés pour trouver un travail, obtenir des papiers, il y a la bureaucratie, les soupçons, les tribulations de l’exil… Et que de tracasseries pour envoyer un colis en Israël, ou pour exhiber les documents nécessaires au mariage : « L’Ouzbékistan ? Connais pas. » Puis un jour, la famille Yakubov (les parents, la sœur de New York, Victoria de Paris) se retrouve à Tachkent, dans son quartier, vingt-cinq ans après le départ : la maison, le parc Kirov, les souvenirs, le deuil… et le retour chacun « chez soi ».

Remarquons-le, les éditions L’espace d’un instant on fait une exception : publier un texte ne relevant pas du genre théâtral. Mais remarquons-le encore : ce texte tient à la fois du récit, de la poésie, du cinéma et du théâtre. Récit : on aura compris qu’il s’agit d’une narration à caractère autobiographique ; poésie : les courts paragraphes sont comme des versets ou des strophes au lyrisme tantôt contenu, tantôt éclatant (à faire même pleurer les employés de mairie à qui Victoria a fait connaître sa vie pour débloquer le processus administratif !) ; cinéma : autant de paragraphes poétiques, autant de brèves séquences relevant du montage susceptible de faire du lecteur un véritable spectateur ; théâtre : l’écriture de l’autrice tient de la mise en scène des mots, les caractères de certains d’entre eux mettant en relief le pathétique et l’émotion, cette émotion qui émane de chaque page, de chaque scène, de chaque phrase. Un art total.

Jean-Pierre Longre

  

Autres parutions récentes aux éditions L’espace d’un instant :

 

Récit, autobiographie, théâtre, francophone, Ouzbékistan, Victoria Yakubova, Volker Schlöndorff Croatie, Syrie, Dino Pešut, Nicolas Raljević, Lada Kaštelan, Wael Kadour, Nabil Boutros, Simon Dubois, Monica Ruocco, Ramzi Choukair, Céline Gradit, Pascal Rambert, L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreDino Pešut, Les Érinyes, filles du désespoir. Traduit du croate par Nicolas Raljević. Préface de Lada Kaštelan

Présentation 

Un groupe de lycéens confronté à la violence et à la haine se débat pour exister et grandir. Marija a été droguée et violée en soirée par trois garçons. Roza lutte contre ses pulsions violentes et suicidaires. Dane se drogue et se bat. Ivan est passé à tabac parce qu’il est homosexuel. Martin, qu’il aime, a du mal à assumer cette relation. Sanjin est accro à la pornographie. Le viol a été filmé et diffusé sur les réseaux sociaux. Ce soir-là, Sanjin filmait. Les Érinyes, persécutrices représentées par trois jeunes filles du lycée, se chargent de dénoncer et de punir ce que la bonne société dénonce comme des travers condamnables selon « les lois de l’État et les lois du ciel ». Finalement, ce viol devient l’occasion d’une prise de conscience et d’une sortie de l’adolescence : l’amour l’emporte sur la bêtise.

Dino Pešut est né en 1990 à Sisak, en Croatie. Diplômé de l’Académie des arts dramatiques de Zagreb, il travaille comme dramaturge et metteur en scène dans différents pays européens. Ses textes ont notamment été présentés au Théâtre national de Split, au Theatertreffen à Berlin et à la Mousson d’été. Il a obtenu le prix Marin-Držić du meilleur texte dramatique à six reprises, ainsi que le Deutscher Jugendtheaterpreis et le prix de la fondation Heartefakt. En 2019, il est accueilli en résidence au Royal Court Theatre de Londres.

 

Récit, autobiographie, théâtre, francophone, Ouzbékistan, Victoria Yakubova, Volker Schlöndorff Croatie, Syrie, Dino Pešut, Nicolas Raljević, Lada Kaštelan, Wael Kadour, Nabil Boutros, Simon Dubois, Monica Ruocco, Ramzi Choukair, Céline Gradit, Pascal Rambert, L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreWael Kadour, Chroniques d’une ville qu’on croit connaître. Traduit de l’arabe (Syrie) par Nabil Boutros et Simon Dubois. Préface de Monica Ruocco

Présentation 

Chroniques d’une ville qu’on croit connaître se déroule à Damas pendant les premières semaines de la révolution de 2011. Dans un moment de profonde transformation du pays, Rola tente de formuler sa propre interrogation sur son identité sexuelle et se retrouve dans une confrontation ouverte avec le pouvoir politique et social.
Braveheart a pour cadre une petite ville française inconnue, en 2021, et traite du problème de l’acte d’écriture depuis l’exil après l’effondrement de la question de la justice et l’impossibilité du retour à la patrie. Aline essaie d’écrire du matériel créatif et se retrouve prise entre un passé traumatisé et un futur illisible. Elle entre dans une relation amoureuse avec un jeune homme qui, selon elle, travaillait dans le renseignement et qui se déguise maintenant en une nouvelle personne.

Wael Kadour, né à Damas en 1981, est auteur, dramaturge et metteur en scène. Il a été accueilli en résidence notamment au Royal Court Theatre de Londres en 2007, ainsi qu’au Sundance Institute de New York en 2017. Il quitte la Syrie fin 2011 pour la Jordanie, avant d’arriver en France début 2016. Ses textes ont été présentés notamment à la Filature, scène nationale de Mulhouse, au Napoli Teatro Festival en Italie et au Weimar Festival en Allemagne.

 

Récit, autobiographie, théâtre, francophone, Ouzbékistan, Victoria Yakubova, Volker Schlöndorff Croatie, Syrie, Dino Pešut, Nicolas Raljević, Lada Kaštelan, Wael Kadour, Nabil Boutros, Simon Dubois, Monica Ruocco, Ramzi Choukair, Céline Gradit, Pascal Rambert, L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreRamzi Choukair, Y-Saidnaya / Palmyre, les bourreaux. Traduits de l’arabe (Syrie) par Ramzi Choukair, Simon Dubois et Céline Gradit. Préface de Pascal Rambert

Présentation 

Saidnaya et Palmyre, antiques villes syriennes, sont devenues sous le régime dictatorial de hauts lieux de détention. Dans une narration qui transcende le témoignage brut, les personnages, survivants de ces prisons d’effroi, dévoilent un système qui surveille et punit, instille la méfiance jusque dans les relations les plus intimes. Récits de vie autant que de détention, les histoires singulières des personnages évoquent, en creux, les rouages d’un régime de la terreur, perpétrée depuis plus de quatre décennies au moyen d’une étroite imbrication entre pouvoir politique, religion et corruption.

Ramzi Choukair est franco-syrien. Il a longtemps vécu entre la France et Damas, avant que cela ne devienne impossible. Depuis, au gré de ses rencontres, collectant des témoignages, en voyageant où il peut, il écrit. Il tente, avec les artistes-témoins qui l’accompagnent, avec humour parfois, de raconter l’enfer de la guerre et l’oppression au quotidien, l’histoire de ceux qui ont pu fuir, celle de ceux qui sont encore là-bas. Histoire parlée, dansée, chantée, de frontières qu’on passe et de pays, de clandestinité, de résistance. Pour rendre à ces villes leur héritage, ne pas laisser le régime effacer les mémoires individuelles du peuple syrien.

 

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04/05/2023 | Lien permanent

La parole brute du théâtre

Théâtre, Russie, Kosovo, Islande, Eléna Gremina, Mikhaïl Ougarov, Jeton Neziraj, Anne-Marie Bucquet, Tyrfingur Tyrfingsson, Raka Ásgeirsdóttir, Séverine Deaucourt, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreEléna Gremina, Mikhaïl Ougarov, Une heure et dix-huit minutes ; Septembre.doc, traduit du russe par Tania Moguilevskaia et Gilles Morel, éditions L’espace d’un instant, 2021  

Eléna Gremina et Mikhaïl Ougarov (tous deux nés en 1956 et morts en 2018) combattaient contre les abus et les violences du pouvoir russe. Un engagement concret, constant, pour lequel ils utilisaient « le moyen qui était le leur, la scène » – et ce d’une manière originale, rompant avec les traditions. Les deux pièces publiées ici manifestent cet engagement et cette originalité, puisqu’elles sont en prise directe avec l’histoire récente, exploitant documents et témoignages. Cécile Vaissié, dans sa préface, explique clairement comment est né le Théâtre.doc de Moscou, « l’un des très rares théâtres financièrement indépendants de Russie », et dit comment les deux pièces « illustrent l’approche artistique » de ce théâtre en s’appuyant « sur des matériaux bruts. »

Une heure et dix-huit minutes, qui utilise entre autres documents les carnets et les lettres de Sergueï Magnitski, relate comment celui-ci, en 2009, est mort en prison à la suite de tortures, de mauvais traitements et d’une agonie d’une heure et dix-huit minutes. La pièce se divise en « rubriques » mettant en scène les monologues de personnes réelles accusées initialement par la mère du défunt : juge d’instruction, procureur, directeur et médecins de la prison, tous responsables des souffrances et de la mort de Magnitski, et montrés dans toute leur lâcheté, leur iniquité, tentant de dégager leur responsabilité, à l’image du médecin qui ne se dit plus soumis au Serment d’Hippocrate, mais au « Serment du médecin russe », ou à celle de la juge Stachina, qui nie être un être humain, mais se dit « l’instrument de la volonté de l’État. »

Septembre.doc est un patchwork d’interventions collectées « sur divers forums internet tchétchènes, ossètes et russes » à la suite des événements sanglants survenus dans une école de Beslan (Ossétie du Nord) en septembre 2004 : plus de trois cents morts provoqués par l’intervention des forces armées russes contre des terroristes tchétchènes ayant pris en otages un millier d’enfants et leurs parents. Toutes les opinions, toutes les émotions, toutes les réactions s’expriment de la part d’un population très diverse, Russes, Ossètes, Tchétchènes, Ingouches, musulmans, orthodoxes, athées, progressistes, fascistes, et tous les types de langage, du plus pensé au plus épidermique, du plus respectueux au plus insultant, du plus correct au plus crû, sont reproduits tels quels. Au public de s’y retrouver, de se faire ses idées, de se construire sa propre vérité face à ce puzzle verbal.

Théâtre document, théâtre de paroles, théâtre témoignage ? Théâtre en tout cas percutant, dont le réalisme à l’état brut, poussé jusqu’au bout de l’odieux et de l’absurde, joue pleinement son rôle. L’œuvre d’art engage non seulement les auteurs et les acteurs, mais aussi les personnages et leurs mots fidèlement représentés, et bien sûr les spectateurs ainsi pleinement sollicités.

Jean-Pierre Longre

 

Autres parutions aux éditions L’espace d’un instant :

 

Théâtre, Russie, Kosovo, Islande, Eléna Gremina, Mikhaïl Ougarov, Jeton Neziraj, Anne-Marie Bucquet, Tyrfingur Tyrfingsson, Raka Ásgeirsdóttir, Séverine Deaucourt, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreJeton Neziraj, Bordel Balkans, traduit de l’albanais (Kosovo) par Anne-Marie Bucquet

« Bordel Balkans est une réécriture de L'Orestie d'Eschyle, traitée de manière très contemporaine. Agamemnon, chef de guerre sanguinaire, est de retour des champs de bataille de l'ex-Yougoslavie. Il retrouve sa femme, Clytemnestre, qui s'est occupée de leur hôtel-bar « Balkan Express » pendant sa longue absence. Ainsi commence l'enchaînement fatal des causalités liées au destin des Atrides. Énergie kaléidoscopique de cette tragédie musicale où alternent imprécations et lamentations, chants populaires, interludes comiques et commentaires du chœur, en une sarabande effrénée dans laquelle tous les personnages sont entraînés jusqu'à l'incendie final purificateur. »

« Jeton Neziraj est né en 1977 au Kosovo. Dramaturge et scénariste, ses œuvres ont été présentées dans une quinzaine de langues en Europe et en Amérique du Nord, du théâtre national d’Istanbul à La MaMa à New York, en passant par le Vidy à Lausanne et le Piccolo à Milan. Il a été directeur du Théâtre national du Kosovo de 2008 à 2011 et dirige actuellement le Qendra Multimedia, principal pôle culturel indépendant de l’espace albanophone, qu’il a fondé en 2002. Censurée en Chine, son œuvre est très impliquée socialement et politiquement. »

 

Théâtre, Russie, Kosovo, Islande, Eléna Gremina, Mikhaïl Ougarov, Jeton Neziraj, Anne-Marie Bucquet, Tyrfingur Tyrfingsson, Raka Ásgeirsdóttir, Séverine Deaucourt, éditions L’espace d’un instant, Jean-Pierre LongreTyrfingur Tyrfingsson, Quand Helgi s’est tu, traduit de l’islandais par Raka Ásgeirsdóttir et Séverine Deaucourt

« L'écriture de Tyrfingur Tyrfingsson détone, elle est immorale, vivifiante et drôle. Ses personnages ne suscitent pas l'empathie, ils sont des figures dévastées d'une société insensée et corrompue. [...] Dans Quand Helgi s'est tu, on joue sans cesse avec la mort, on ne la respecte pas, on s'en moque. À la morgue, chacun, chacune est face à sa condition humaine. Dans l'entreprise familiale de pompes funèbres, tout est fric et corruption, la mort est un marché comme un autre, et le père et le fils, thanatopracteurs, sont de petits escrocs infantiles. L'image courante de l'Islande, celle d'un pays évolué et solidaire, à la démocratie modèle, avec sa nature sauvage et sa magie mystérieuse, est totalement renversée. »

« Tyrfingur Tyrfingsson est né en Islande en 1987. Il a étudié à l'Académie des arts d'Islande et à la Goldsmiths University de Londres. Sa première pièce lui a immédiatement valu la première de ses cinq nominations aux Griman islandais. Depuis 2011, ses textes sont créés au Théâtre de la ville de Reykjavik et au Théâtre national d'Islande. En français, ses textes ont été présentés à partir de 2018 au Festival d'Avignon, au Théâtre 13 à Paris et à la Mousson d'été. Préface de Véronique Bellegarde. Avec le concours de la Maison Antoine-Vitez et du Centre national du livre. »

 

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10/11/2021 | Lien permanent

Paris est un roman, la vie est un livre

Roman, Roumanie, Matéi Visniec, Nicolas Cavaillès, éditions non lieu, Jean-Pierre LongreMatéi Visniec, Syndrome de panique dans la Ville lumière, roman traduit du roumain par Nicolas Cavaillès, éditions Non Lieu, 2012

Comme celles de ses pièces de théâtre, l’intrigue du roman (le premier traduit en français) de Matéi Visniec ne peut être résumée. D’ailleurs il n’y en a pas, d’intrigue ; plutôt, elles sont multiples, cheminant et courant entre réalité et fiction : il y a le « journal réel » d’un écrivain qui, parvenant à sortir de la Roumanie de Ceauşescu, trouve refuge à Paris, et il y a les œuvres potentiellement écrites, sous la houlette d’un éditeur fantasque et tyrannique, par des êtres pouvant être aussi bien auteurs que personnages. Comme le dit l’observateur Georges, derrière son bar : « On dirait que nous nous trouvons ici précisément au point de passage de la frontière entre fiction et réalité ».

Le récit navigue comme un bateau dans une tempête, tantôt grimpant vers les sommets prestigieux des vagues (la gloire mondiale sur laquelle fantasme le narrateur), tantôt plongeant vers l’abîme du néant anonyme – le tout ponctué par un poème qui clôt le livre, « Le Navire », parabole de la lente destruction d’une… (ici, au lecteur de compléter).

Intrigues multiples, personnages multiples : outre l’auteur (qui n’hésite pas à se nommer en tant que personnage), l’éditeur « Monsieur Cambreleng », l’ami d’enfance Gogu Boltanski qui a suivi une autre voie, François, futur auteur malgré lui d’un « chef-d’œuvre », un étrange bossu, un guide aveugle, une jeune femme séduisante et sans cesse éclopée, tout un cheptel d’auteurs-personnages réunis dans un café de la rue Mouffetard… Il faut aussi compter avec les silhouettes d’illustres écrivains et artistes du passé lointain ou proche, de Voltaire à Sartre, d’Hugo à Breton, Beckett ou Queneau, sans oublier le trio roumain Cioran, Eliade, Ionesco…

Personnages multiples, sujets multiples : l’actualité politique, les dictatures d’Europe de l’Est, les bouleversements liés à la chute du Mur, et bien sûr Paris, la ville des lumières et des ombres, des bistrots et des librairies, des touristes et des autochtones aux origines mêlées, des enthousiasmes délirants et des déceptions amères, navire qui « fluctuat nec mergitur » malgré la houle, la ville qui est un livre vivant, plein de souvenirs et de surprises. Paris qui vit des mots, ces êtres traversant les frontières, passant « d’un cerveau à l’autre » : « Toute la ville était habitée par des mots. Je voyais autour de l’église Saint-Médard les mots des passants, d’autres mots qui sortaient des fenêtres ouvertes des immeubles, ou bien des portes des cafés. Partout où deux personnes se rencontraient et se mettaient à discuter, une nébuleuse de mots se formait autour d’eux ».

Chaque chapitre est un déroutement, au plein sens du terme, et le lecteur se laisse mener volontiers où il semble bon à l’auteur de le mener, dans les méandres de la « Ville lumière ». C’est cette instabilité qui paradoxalement fait l’unité du livre, comme dans la vie. Au-delà de la « panique » que peuvent provoquer les tempêtes et les errances, ce qui rassure, c’est le ton de Visniec, le style inimitable qui est le sien, la foi dans l’écriture, la confiance accordée aux mots. La littérature ne sombrera pas.

Jean-Pierre Longre

http://www.editionsnonlieu.fr

http://visniec.com

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03/05/2012 | Lien permanent

Tableaux de la fa(m)ille humaine

Théâtre, francophone, Roumanie, Matéi Visniec, Actes Sud, Jean-Pierre LongreMatéi Visniec, Lettres d’amour à une princesse chinoise, Actes Sud-Papiers, 2012

Tout est possible au théâtre, et dans son œuvre entière Matéi Visniec le prouve, qui sait à merveille mettre en scène les relations sociales, sentimentales, familiales, les idées, l’érotisme, la politique, la morale, la violence, la mort… Mettre en scène, c’est-à-dire faire en sorte qu’à travers les paroles, les gestes, les silences des personnages, les questions restent posées, avec leur évidence cruciale et leur complète incertitude.

Il ne s’agit évidemment pas d’asséner des réponses. Dans les huit brèves pièces de ce nouveau volume, dont le titre poétique est emprunté à celui de la première, beaucoup de tirades, quelques monologues et dialogues, montrent à mots couverts et en d’énigmatiques paraboles la complexité du monde et des êtres. Comment deux « Maisons florales », l’une plutôt nationaliste, l’autre plutôt internationaliste (dirons-nous pour schématiser) alternent rivalités sans concessions et tentatives de concertation pour servir leur gouvernement. Comment le cœur et le corps, le sentiment et le désir, la honte et l’impudeur sont à la fois moteurs et obstacles dans la vie d’un couple. Comment révolutions, contre-révolutions et fermes résolutions se noient dans la brutalité. Comment la mort, aux yeux des enfants, n’est pas aussi tragique qu’on le croit (« Mourir, chez nous, il paraît que c’est vraiment inoubliable ») !

Pas de réponses donc, pas de démonstrations non plus. Chaque pièce est un véhicule qui nous transporte vers des espaces étranges et révélateurs. Nous voici dans un empire chinois où seules les fleurs semblent avoir de l’importance ; dans une gare perdue où ne passe aucun train ; en promenade prometteuse et lente sur un corps féminin ; dans une « baignoire révolutionnaire » ; sur un littoral aux falaises vivantes ; dans un magasin de chaussures où les femmes se laissent prendre au piège… Et, comme toujours chez Visniec, la peinture de la famille humaine et de ses failles, la poésie et la musique des mots, l’humour plus ou moins voilé, la magie narrative, le jeu de l’imaginaire.

Jean-Pierre Longre

www.actes-sud.fr

www.visniec.com

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10/10/2012 | Lien permanent

« Pouvoir rire de tout, ce n’est pas rien »

Humour, francophone, François Morel, France Inter, Denoël, Jean-Pierre LongreFrançois Morel, L’air de rien, chroniques 2009-2011, France Inter/Denoël, 2011

Le vendredi matin, un peu avant le journal de neuf heures, France Inter donne la parole à un drôle de bonhomme qui s’est fait connaître jadis avec les Deschiens (ce dont on doit lui rebattre les oreilles, d’ailleurs) et qui, depuis, a fait son chemin, notamment sur les planches théâtrales et à la radio, dans ses « billets » d’humeur et d’humour.

Chroniques de circonstance qui ont pourtant une portée plus générale que les simples (ou complexes) événements auxquels elles se réfèrent, elles donnent, sans forcer la note, matière à un livre savoureux. Elles courent sur deux saisons, du 4 septembre 2009 au 30 juin 2011, et nous replongent dans l’histoire immédiate, nous rappelant des faits petits et grands qui ont ponctué l’actualité ; le tout sur le mode délicatement railleur, finement burlesque, faussement naïf caractérisant la manière de François Morel, qui ne se prive pas, parfois, de laisser s’épancher une sensibilité sincère, voire une colère à peine contenue.

On ne rappellera pas toutes les affaires, toutes les aberrations politiques et sociales, toutes les injustices, tous les scandales auxquels s’attaque l’humoriste : un par semaine en presque deux ans, le choix est trop difficile. On dira simplement que le fait de lire ces chroniques confirme l’auditeur dans ses impressions fugitives : voilà un auteur qui manie avec une belle dextérité les mots, la syntaxe, les tonalités diverses (toute la gamme qui va du style enfantin à la fausse grandiloquence), sans se départir de sa personnalité, et sans se prendre au sérieux. « J’ai envie de parler de tout. […] C’est tout. C’est rien ». C’est salutaire.

Jean-Pierre Longre

www.franceinter.fr   

www.denoel.fr

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18/02/2012 | Lien permanent

Ne pas se perdre entre les remparts

Avignon, Festival Off, 2017

1480 spectacles… Comment s’y retrouver ? Le hasard, le bouche à oreille, les parades de présentation, la critique (pour ce qui a déjà été représenté), les auteurs, les comédiens… Avignon en juillet, c’est un grouillement, un bouillonnement urbain et culturel, un mélange inédit des genres et des populations – et c’est un immense choix, un indispensable tri à effectuer. Quelques pépites ? En voici.

 

Théâtre, Littérature, Festival Off Avignon, Jean-Pierre LongreCour Nord (texte d’Antoine Choplin, adaptation et mise en scène d’Antoine Chalard), met en scène le conflit entre lutte sociale et amour de l’art : le père ouvrier en grève, le fils musicien passionné de jazz. Double combat, double engagement, deux idéaux, un rêve d’avenir pour chacun, deux protagonistes et douze personnages très bien figurés, grâce à de subtils changements a minima, par trois comédiens, Clémentine Yelnik, Antoine Chalard et Florent Malburet.

Théâtre de l’Alizé, Compagnie du midi. www.compagniedumidi.fr

 

Théâtre, Littérature, Festival Off Avignon, Jean-Pierre LongreLa révolte gronde aussi, et différemment, du côté de chez Jean-Luc Lagarce : Noce (mise en scène de Pierre Note, avec Grégory Barco, Bertrand Degrémont, Eve Herszfeld, Amandine Sroussi, et Paola Valentin) est une implacable fable socio-politique : cinq personnages prétendument invités à une noce n’arrivent pas à y trouver leur place, s’y enfonçant comme dans un cauchemar. La "farce noire" tourne à la leçon cruelle lorsque les rôles s’inversent. La violence des situations est accentuée par l’hystérisation et l’humour méchant de certains rôles. Irrésistiblement tragique.

Théâtre du roi René, Compagnie de la Porte au Trèfle. http://www.porteautrefle.fr

 

Théâtre, Littérature, Festival Off Avignon, Jean-Pierre LongreLa tragédie, Marguerite Duras l’a pratiquée à sa manière, en s’inspirant parfois de faits divers. C’est le cas avec L’Amante anglaise (mise en scène de Thierry Harcourt). Par le truchement de deux personnages, le mari et un psy/enquêteur/interrogateur, le texte tente de percer les raisons qui ont poussé une femme à commettre un crime sanglant. Judith Magre joue admirablement la folie (ou pseudo-folie) immobile et dérangeante, et ses deux comparses (Jacques Franz et Jean-Claude Leguay) accomplissent à la perfection la quête d’une vérité impossible

Théâtre du Chien qui fume, ID Production. http://www.idproduction.org

 

Théâtre, Littérature, Festival Off Avignon, Jean-Pierre LongreAutre genre de thème et de femme : Palatine (texte, mise en scène et scénographie de Jean-Caude Seguin) reprend et adapte des extraits de la correspondance de Charlotte-Elisabeth de Bavière, dite La Palatine (1652-1722), épouse de Monsieur Frère du Roi, mère du futur régent Philippe d’Orléans… et femme d’une franchise truculente, qui n’hésite pas à montrer les dessous les moins nobles de la Cour. La comédienne Marie Grudzinski la fait vivre avec beaucoup de malice, de drôlerie et de réalisme.

Théâtre des Corps Saints, Compagnie Théâtre du Loup Blanc. http://theatreloupblanc.net

 

Théâtre, Littérature, Festival Off Avignon, Jean-Pierre LongrePas de bon théâtre sans un bon texte. Les mots, parfois, peuvent devenir personnages, mis en scène avec malice. Le spectacle de et avec Michaël Hirsch, judicieusement intitulé Pourquoi ? (mise en scène d’Ivan Calbérac), pose avec drôlerie les questions qui se succèdent dans la tête des humains, de l’enfance à la vieillesse. Les mots sont triturés, manipulés, déformés, et bien sûr les questions restent en suspens… On est complice, on rit et on réfléchit. L’essentiel.

Théâtre du roi René, http://www.michaelhirsch.fr

 

Théâtre, Littérature, Festival Off Avignon, Jean-Pierre LongreD’autres mots encore, et des trouvailles subtiles et impayables avec Déshabillez mots, nouvelle collection (mise en scène de Marina Tomé). Savez-vous ce qu’est la sérendipité, ou ce que cachent l’oxymore ou le quiproquo ? Saisissez-vous toutes les subtilités du point-virgule, le mal-aimé de la ponctuation ? On en entend, voit et apprend de belles avec ce spectacle où les deux comédiennes et auteures (Léonore Chaix et Flor Lurienne) s’en donnent à cœur et à corps joie, où tout est fignolé (mise en scène, allées et venues, dialogues, inventions verbales, jeux sémantiques, humour…). Beau déshabillage d’une langue française qui ne demande qu’à se laisser faire.

Le Petit Louvre, Templiers, François Volard, Acte 2. http://www.acte2.fr

 

Jean-Pierre Longre

www.avignonleoff.com

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01/08/2017 | Lien permanent

« En faveur de la lecture »

récit, poésie, francophone, Jean-Jacques Nuel, Le Pont du Change, Jean-Pierre LongreJean-Jacques Nuel, Billets d’absence, Le Pont du Change, 2015 

Il y a eu les Courts métrages, il y a maintenant les Billets d’absence, comme de petits mots signalant que l’on est toujours là, même si la « séparation de corps » (titre du premier texte) signale un éloignement de soi, une prise d’indépendance. Jean-Jacques Nuel est toujours présent, dans une sorte de dédoublement, le trait d’union entre Jean et Jacques prenant parfois de drôles d’allure et le choix entre l’espace et le temps étant parfois difficile à faire.

La longueur des textes varie entre trois lignes et une page. C’est suffisant pour que s’y logent les surprises, l’humour (noir, rose ou les deux à la fois), les réflexions sous forme d’anecdotes légères ou tragiques (en particulier sur le livre, la littérature, la lecture), l’absurde, la poésie. Oui, quelques mots suffisent pour laisser une belle image onirique s’imposer à l’esprit (par exemple : « La ligne de flottaison du rêve était si basse que le dormeur risquait à tout moment, s’il se retournait trop fort dans son lit, de sombrer. ») ; ou pour livrer quelques confidences sur le temps qui passe, sur la mort, sur la vie, confidences qui, si personnelles qu’elles soient, concernent tout un chacun ; ou encore pour cibler quelque défaut flagrant de la société humaine.

Passent au fil des pages quelques auteurs fameux : Schopenhauer, Emily Brontë, Faulkner, Isidore Ducasse (en compagnon de route), Kafka (bien sûr), Jacques Sternberg (sans doute, en filigrane) ; mais surtout Jean-Jacques Nuel, qui, comme naguère l’ami Pierre Autin-Grenier, voue une sorte de culte mitigé au ratage, à l’échec, jusqu’à s’étonner d’être lu : « Le timide succès qui semble commencer à se dessiner aujourd’hui me perturbe et ne laisse pas de m’inquiéter : quelle erreur ai-je bien pu commettre pour plaire enfin et trouver sur le tard un public ? ». Eh bien, cher écrivain, pas d’étonnement ! Si succès il y a, il est mérité. Et vos « billets d’absence » participent sans conteste à « une politique en faveur de la lecture ».

Jean-Pierre Longre

www.lepontduchange.fr  

jeanjacquesnuel.e-monsite.com

http://nuel.hautetfort.com

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06/12/2015 | Lien permanent

Les deux sœurs

Visdei.jpgAnca Visdei, L’exil d’Alexandra, Actes Sud, 2008

 

Toujours ensemble, la devise des deux sœurs Popesco, est aussi le titre d’une pièce qui, depuis quelques années, est jouée dans plusieurs pays, parfois sous le titre de Puck en Roumanie. Le succès d’Anca Visdei, longuement mûri et largement justifié, est d’abord celui de son abondante œuvre théâtrale.

 

On ne s’étonnera donc pas de voir dans L’exil d’Alexandra, roman épistolaire, une sorte de mise en récit d’un dialogue aux accents dramaturgiques entre Alexandra et Ioana : la première a fui la dictature, la seconde, restée avec leur mère et leur grand-mère, tente tant bien que mal de se débrouiller dans le vide étouffant du règne de Ceausescu. Leur échange de lettres, sur une période de plus de 15 ans (avec une longue interruption) dit la tendresse, les anecdotes, les difficultés, les rancoeurs, les jalousies, l’amour de deux êtres qui voudraient ne rien se cacher, mais qui ne peuvent s’exprimer qu’à mots voilés : « Tante Prudence », l’odieuse et imbécile censure, veille, mais aussi, parfois, s’interposent les pudeurs et les remords… Cet échange dit aussi les métamorphoses de soi, ou plutôt du monde (« Je ne change pas. C’est la vie autour de moi qui change. Si on ne se durcit pas, on ne survit pas. Et c’est notre âge qui a changé »), la liberté retrouvée (« Dans mes rêves les plus fous, je n’espérais pas vivre ça »), mais la liberté trahie par une apparence de révolution, les faux-semblants politiques et les déceptions culturelles. 

 

Le roman baigne entièrement dans le théâtre (et vice-versa). Alexandra et Ioana ont toutes deux, sous des aspects distincts et complémentaires (l’écriture, la scène), la même vocation, et c’est ce qui renforce leur complicité (leur rivalité parfois). Shakespeare et Puck, le lutin du Songe d’une nuit d’été, sont des points d’ancrage récurrents ; et assez naturellement, Alexandra se met à « tricoter une pièce à deux personnages, une pièce épistolaire dont tu devines les protagonistes » ; les lettres, la pièce, le roman (sans compter les éléments autobiographiques) : tout s’imbrique, dans une sorte de mise en abyme de l’expérience littéraire.

 

Autre fil conducteur, noué au précédent : la langue française, dont Alexandra fait peu à peu l’apprentissage, jusqu’à l’utiliser comme langue d’écriture littéraire, et comme langue maternelle de son fils. Apprentissage difficile : « Dire que j’ai choisi le français pour me faciliter la tâche ! Dès que j’ai une idée à exprimer, pas de problème, les mots sont là, limpides et précis. Mais dès que je m’attaque au moindre sentiment, le vocabulaire se dérobe. Pour traduire dor de tara, je n’ai trouvé que mal du pays. Et si on n’a précisément pas mal ? Si c’est plus insidieux que ça, précisément comme le dor ? Nostalgie, mélancolie, ça existe encore mais pour dor, cette tristesse de l’âme qui se languit, au-delà même de la souffrance, va chercher ». Il y a toutefois la volonté indéfectible de surmonter les obstacles, jusqu’au constat d’une maîtrise parfaite : au bout du compte, Ioana constate que les colères de sa sœur n’éclatent plus en roumain, mais bel et bien en français !

 

Au-delà du théâtre, de la langue, de l’écriture, c’est évidemment l’exil qui est au coeur de tout, le titre y insiste ; l’exil politique, géographique, linguistique, familial, sentimental… Mais le choix du genre, la subtilité et la limpidité de l’écriture, la profondeur et la complexité des personnages, l’imbrication de la narration dans l’histoire roumaine et européenne font de cet exil une richesse non seulement du point de vue littéraire, mais tout simplement du point de vue humain.

 

Jean-Pierre Longre

 

www.actes-sud.fr

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04/08/2010 | Lien permanent

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