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04/08/2010

Les mots de la terre

Trassard.jpgJean-Loup Trassard, Conversation avec le taupier, Le temps qu’il fait, 2007

 

Qui se soucie encore des taupes ? Quelques jardiniers, quelques vacanciers retraités soucieux de leur pelouse, quelques rares paysans ? En tout cas, foi de taupier, il y en a de moins en moins, de ces petites bêtes qu’on ne voit pas, qui marchent sous terre, creusant les galeries où elles trouvent leur pitance, laissant derrière elles ces petits monticules qui empêchent de faucher.

 

Autrefois, il n’y a tout compte fait pas si longtemps que ça, pour s’en débarrasser, les fermiers pouvaient engager un « taupier », sorte de « journalier » assez miséreux mais libre, vagabond mais quotidiennement attaché au même travail, aux mêmes champs, aux mêmes maisons, aux mêmes familles chez qui il se rendait régulièrement. C’est l’un d’entre eux, Joseph Heulot, que Jean-Loup Trassard a su faire parler et dont il a su restituer la vie, avec ses propres mots d’écrivain, avec ceux de son interlocuteur, avec ceux de la campagne – mots du terroir traduits en marge pour éclairer le citadin.

 

Par la grâce de cette « conversation » entre deux hommes qui s’entendent pour de bon, on apprend beaucoup. D’abord, comment chasser les taupes le plus efficacement possible, alors que certains ont tout essayé : le poison (dangereux pour le bétail et les poules), les boules de gaz (qui ne font que les repousser ailleurs), le fusil (qui en laisse trop)… Non. Il faut être méthodique, prendre son temps, ne pas regarder aux heures de marche et à la fatigue, ne pas hésiter à se salir, repérer les passages, et avoir de l’expérience. Poser les pinces et les « pièges américains » qui claquent juste quand il le faut, ce n’est pas donné à tout le monde ; chasser « à la houette », c’est plus rapide, mais il faut être là au bon moment. On apprend aussi beaucoup sur les taupes – c’est bien normal : sur leur vie, leur survie, leur mort – et leurs peaux que Joseph Heulot peut revendre pour se faire trois sous de plus, et qui servent à faire des manteaux aux dames. On apprend encore sur la vie dans les fermes – l’essentiel, mais juste ce qu’il faut ; car le taupier n’est pas bavard là-dessus, par nature sans doute, par nécessité surtout : ne pas s’immiscer dans la vie des gens, ne pas parler aux autres de ce qui se passe chez les uns, et vice-versa, c’est le seul moyen de rester en bons termes avec tous et de continuer à travailler chez tout le monde. On apprend enfin sur le taupier lui-même, homme pauvre, dont le logis « ressemble à un terrier », qui se nourrit de peu, mais qui garde en lui « chaque champ de son territoire », et qui nous permet, grâce à ses mots, de mieux comprendre les hommes et leur attachement à la terre.

 

Jean-Pierre Longre

 

www.letempsquilfait.com  

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