22/08/2010
« Chemin brisé »
Martin Smaus, Petite, allume un feu… Traduit du tchèque par Christine Laferrière. Éditions des Syrtes, 2009
Le clan Dunka représente, en quelque sorte, la synthèse des familles tziganes, de leurs conceptions (ou non conceptions) de l’existence. « Les Dunka ne voulaient faire de mal à personne : ils voulaient vivre. Et ils vivaient comme ils en avaient l’habitude depuis des siècles, oubliant la veille et ne voulant pas savoir ce que leur apporterait le lendemain. Ils vivaient des milliers de vies, naissaient et mouraient sans cesse chaque jour ». C’est dans ce contexte que naît et grandit Andrejko, voleur hors pair, et pour cela choyé par les petits qui profitent de ses cadeaux, jalousé par les grands qui, ne pouvant l’égaler, se dressent violemment contre lui.
Dans la Tchécoslovaquie contemporaine, des dernières années du communisme à la partition du pays, en passant par l’ouverture et la démocratisation, avec les enthousiasmes et les angoisses qu’elles suscitent, Andrejko est ballotté, avec une famille fluctuante et se délitant peu à peu, d’un lieu à un autre : du hameau campagnard, proche de l’Ukraine, où la tribu vivait selon les traditions, aux villes grises, froides, inhospitalières (Ostrava, Prague, Plzen), d’un appartement délabré à la maison de correction… De gare en gare, de rue en rue, le petit garçon va devenir un jeune homme marqué par la marginalité dans la société des « blancs », mais aussi dans celle des Tziganes devenus des « Roms » citadins, victimes et coupables de trafics en tous genres, oublieux de la liberté originelle.
Un jour Andrejko retourne au lieu rêvé de son enfance, le reconstruit, y aime sa belle cousine Anetka qui lui donne une petite fille, travaille même avec les bûcherons pour gagner la vie de sa nouvelle famille. Ansi se tisse son destin marqué par le besoin d’indépendance sans faille et d’amour absolu, puis par la tragédie. « C’est ainsi qu’Andrejko voyait son existence : un souffle saccadé et rauque, un chemin à travers des racines égarées, un chemin cahotant, un chemin brisé sur lequel restaient de cicatrices en forme de croix et des rides profondes, telle l’écorce éclatée d’un vieil arbre… ».
Livre sans concessions, ni pour les uns ni pour les autres, Petite, allume un feu… est à la fois un chant désespéré face aux cruautés de l’Histoire et de la société et une ode à l’amour et à la liberté. La musique, languissante ou endiablée, y tient la place qu’elle doit tenir ; et aussi la nature, forêts, montagnes, clairières, en toutes saisons accueillantes au Tzigane errant. Tragédie au vaste souffle poétique, le roman de Martin Smaus jette un regard aussi tendre que lucide sur les hommes, ni tout à fait bons ni tout à fait mauvais.
Jean-Pierre Longre
16:52 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : roman, tchéquie, martin smaus, éditions des syrtes, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
Un livre poignant, qui va également au-delà de la simple thématique tzigane si l'on songe tout simplement à la dimension purement humaine. (Andrejko ne signifie-t-il pas l'homme ?) Et la langue de Martin Smaus est belle, très riche. Je crois qu'il faut souligner à cet égard la qualité de la traduction.
Écrit par : Zelenska Anna | 01/09/2010
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