2669

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/06/2022

« Elle avait toujours raison »

Récit, biographie, illustrations, francophone, Alain Joubert, Toyen. Ab irato, Jean-Pierre LongreAlain Joubert, Toyen. Petits faits et gestes d’une très grande dame, Ab irato, 2022

Comptée au nombre des surréalistes, née à Prague et figure majeure de l’avant-garde tchèque, Toyen (Maria Čerminová, 1902-1980) dépasse largement les limites des classifications. Créatrice avec Jindřich Štyrský de l’artificialisme et fondatrice du mouvement surréaliste tchèque, elle rejoint après la guerre le groupe français, liée d’une forte amitié avec certains de ses membres. L’exposition de ses œuvres (peintures, collages, dessins etc.) au Musée d’Art Moderne de Paris (jusqu’au 24 juillet 2022) témoigne de l’originalité de son œuvre.

Cette originalité, Alain Joubert (1936-2021) en témoigne à sa manière, celle de quelqu’un qui, lui-même partie prenante dans les activités surréalistes des années 1950-1960, a connu Toyen dans sa vie quotidienne, dont il évoque ici « quelques moments », montrant combien sa « vie réelle » a pu influer sur sa « vraie vie », celle de l’art. Alors nous voici embarqués avec elle au café où elle retrouvait André Breton et son groupe, ainsi que ses « complices » Benjamin Péret, Charles Estienne et quelques autres. Nous voici confrontés à un langage que l’auteur appelle « le toyen », fort en accent et en images nouvelles, du genre : « Ti sais, moi, j’y bouffe du cinéma ! » ; ou partageant avec elle des tâches ménagères qu’elle considérait comme secondaires, et un goût inattendu pour le Rock de Vince Taylor ; ou séjournant avec elle à Saint-Cirq-Lapopie, s’adonnant à la natation ou à des mimes endiablés devant ses compagnons ; ou encore à l’hôpital, où elle manifestait ouvertement sa détestation de la religion et son éloignement de toutes « racines », se caractérisant par deux mots : surréaliste et APATRIDE.

Relatés sur le mode personnel, émaillés d’anecdotes savoureuses et d’illustrations photographiques, ponctués par le tableau « L’échiquier » (1963), ces « petits faits et gestes d’une très grande dame » révèlent une personnalité hors du commun, dynamique, robuste physiquement, intellectuellement, esthétiquement. Et comme l’écrit Alain Joubert : « Soyons clairs : elle avait toujours raison… ».

Jean-Pierre Longre

https://abiratoeditions.wordpress.com

31/01/2022

Un conte enivrant et coloré

Roman, conte, peinture, illustrations, anglophone, Jim Dodge, Tom Haugomat, Jean-Pierre Carasso, Tishina, Jean-Pierre LongreJim Dodge, Tom Haugomat, Fup (L’oiseau Canadèche), traduit de l’américain par Jean-Pierre Carasso, Tishina, 2021

Voilà un vrai conte, un beau conte pour adultes dans lequel les personnages sont de grands enfants. Tout commence par la chute tragique d’un avion et la mort de son pilote, suivie de la naissance de son fils, et tout finit par une naissance d’un autre ordre suivie d’un envol surprenant, et par une autre mort. Entretemps, nous suivons l’histoire merveilleuse et truculente, vive et rebondissante de quelques personnages pittoresques et originaux.

Il y a là Jackson Santee, dit Jake, ancien joueur invétéré, rétif à toute contrainte administrative, qui pense pouvoir trouver l’immortalité grâce à un whisky de sa fabrication, le « Vieux Râle d’Agonie » dont un vieil Indien lui a donné la recette et qu’il ingurgite à grandes lampées assis sur la galerie couverte de sa maison, entre deux escapades hors de son ranch ; il y a Titou, le petit-fils que Jake a recueilli quand il est devenu orphelin, au tempérament bien différent de celui de son grand-père. « Titou aimait la pureté franche et droite du jeu d’échecs. Pépé Jake penchait plutôt vers les jeux de cartes, dans lesquels on peut bluffer et garder des atouts dans sa manche » ; l’un est matinal, l’autre se réveille vers midi ; l’un « pêchait à la mouche », l’autre « avait toujours utilisé des asticots », etc. Mais ils s’entendent à merveille, grâce « à un accord de sang qui touchait le cœur de l’un comme de l’autre. »

Roman, conte, peinture, illustrations, anglophone, Jim Dodge, Tom Haugomat, Jean-Pierre Carasso, Tishina, Jean-Pierre LongreL’occupation principale de Titou, on ne sait pourquoi (puisqu’il n’y a pas de troupeaux à garder), est de couvrir la campagne environnante de clôtures plus belles et plus parfaites les unes que les autres – et c’est à cette occasion qu’il découvre un bébé canard qu’on va appeler Canadèche (« Cane à dèche – tu piges ? Canne à pêche : cane à dèche ! »). Outre quelques comparses, compagnons de jeu et de beuverie, rencontres occasionnelles, un quatrième personnage donne bien du fil à retordre (et des barrières à réparer) à Titou : le sanglier Cloué-Legroin, qui semble aussi solide et immortel que Jake… mais on ne racontera pas la fin.

La narration brute et fraîche file son train à la fois fluide et tranquille, sans fioritures ni perte de temps. Un vrai beau conte qui enivre autant que le tord-boyaux de Jake, et un vrai beau livre tout en couleurs grâce aux nombreuses illustrations peintes de Tom Haugomat, qui apportent à l’histoire ce qu’il faut de pauses contemplatives. De grandes planches aux traits mouvementés ou paisibles, limpides ou mystérieux, alternent avec des séries de vignettes de type bande dessinée mettant l’accent sur des détails parfois insoupçonnés. Couleurs vives, formes simples et dynamiques, voilà qui, avec le récit de Jim Dodge, donne à ce livre unique une tonalité résolument artistique.

Jean-Pierre Longre

www.editions-tishina.com