26/06/2014
Au cœur du projet « Montagnards »
Pierre Dalloz, Vérités sur le drame du Vercors, La Thébaïde, 2014
Le livre de Pierre Dalloz est certes, comme l’indique son trop modeste sous-titre, un « témoignage », mais il est aussi bien plus que cela : vue par l’un de ses acteurs principaux, c’est la véritable histoire du maquis du Vercors qui est ici dévoilée ; l’histoire non officielle, mais incontestable, avec les faits héroïques et les manœuvres politiques, les amitiés et les inimitiés, les alliances et les rivalités, les espérances et les désillusions.
Car si la bataille du Vercors a été perdue, ce n’est faute ni de préparations minutieuses, ni de combattants résolus, ni de démarches répétées auprès des autorités militaires et politiques. Ce sont (on le savait peu ou prou, mais l’auteur l’explique ici en détail) ces dernières qui n’ont pas fait le nécessaire, entraînant par leurs carences l’ordre de dispersion : « Je ne posai pas de questions. Tout était pour moi parfaitement clair. Le Vercors avait été verrouillé, mais de l’extérieur. Il était devenu une souricière. L’opération aéroportée avait bien eu lieu, mais c’étaient les Allemands qui l’avaient faite. Bref, tout s’était passé comme je l’avais prévu, mais à l’envers. Je dis simplement : « Quel gâchis ! » ».
La mémoire personnelle (« Souvenirs de France », 1941-1943, « Souvenirs de Londres et d’Alger », 1943-1944, augmentés d’un scrupuleux « Journal de mon évasion de France »), est bien sûr le moteur de l’ouvrage. Mais rien n’est vu par le petit bout de la lorgnette, au contraire. Le récit, parti du cœur même du combat et de ses préparatifs, livre des perspectives historiques (les débarquements alliés, la résistance dans les Alpes, les luttes politiques à Londres et Alger, les dessous de la diplomatie…) et converge vers des réflexions sur le sens à donner au sacrifice et à « l’épopée du Vercors » (justifiés notamment par l’aide apportée à une rapide libération de Grenoble), voire sur les rapports entre Histoire et mythe.
Qui plus est, on croise au fil des pages plusieurs grandes figures de la Résistance et des armées régulières, parmi lesquelles des écrivains comme Antoine de Saint-Exupéry, Vercors (Jean Bruller), Jean Prévost, dont il n’est jamais inutile de rappeler qu’il est mort en combattant le 1er août 1944, et auquel les premières pages rendent un bel hommage. C’est justice, comme est justice tout le livre de Pierre Dalloz, à la fois narration personnelle, essai historico-politique et précieux ensemble documentaire.
Jean-Pierre Longre
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15:13 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : essai, histoire, francophone, pierre dalloz, la thébaïde, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
23/05/2014
Mortelles espérances à Brangues
Jean Prévost, L’affaire Berthet, préfacé par Philippe Berthier, édition établie par Emmanuel Bluteau, La Thébaïde, 2014
Stendhal, fervent lecteur de La Gazette des tribunaux, y découvrit fin 1827 le compte rendu du procès d’un certain Antoine Berthet, jugé aux Assises de l’Isère pour avoir tiré, dans l’église de Brangues, sur son ex-maîtresse Madame Michoud ; condamné à mort, il fut exécuté en février 1828, à l’âge de 25 ans. Sur cette trame narrative, transfigurée par le génie du romancier, se bâtit Le Rouge et le Noir, publié en 1830.
Mais, comme le précise à juste titre Philippe Berthier, Julien Sorel n’est pas Antoine Berthet, et Stendhal s’est largement écarté du fait divers, de ses protagonistes et de sa simple relation, qui toutefois reste grâce à lui dans les annales des affaires judiciaires. Jean Prévost, dont les talents de journaliste et de romancier n’occultent pas ceux du critique et du grand stendhalien qu’il fut (ce qu’atteste, entre autres, la très belle et très originale thèse qu’il soutint à Lyon en 1942 : La Création chez Stendhal. Essai sur le métier d’écrire et la psychologie de l’écrivain.), Jean Prévost, donc, s’empara de l’Affaire Berthet pour la publier dans Paris-Soir du 10 janvier au 12 février 1942. Ici édité en volume, ce feuilleton est complété par le compte rendu fait en 1827 dans La Gazette des tribunaux et par quelques autres documents.
Tout y est, mais enrichi par l’esprit inventif et le style incisif de Jean Prévost. Sous sa plume, les brefs épisodes de la vie d’Antoine deviennent les chapitres d’un feuilleton journalistique devenu roman biographique haletant. Le frêle jeune homme victime des brutalités de son forgeron de père, devenu séminariste puis précepteur dans une famille de notables, amoureux de la mère de ses élèves, puis rêvant d’un mariage noble et tombant du haut de ses ambitions et de ses illusions, est ainsi le héros de ce récit qui ne s’embarrasse ni de précautions oratoires ni de fioritures, mais qui campe un personnage en complet désarroi social et psychologique. « L’espérance a toujours été le vrai poison d’Antonin Berthet ». Même s’il l’a inspiré, Antoine (ou Antonin) n’est pas Julien, et Jean Prévost ne nous sert pas une version remaniée du Rouge et le Noir. Son « grand récit historique » a les couleurs et le rythme du roman vrai.
Jean-Pierre Longre
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