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06/08/2023

Insaisissable bestiaire

Poésie, francophone, Philippe Jaffeux, Atelier de l’agneau, éditions Paraules, Jean-Pierre Longre Philippe Jaffeux, De l’abeille au zèbre, Atelier de l’agneau, 2023

Ils sont 499, les animaux que Philippe Jaffeux recense à sa manière. Des animaux connus (tels les abeilles et le zèbre qui ouvrent et ferment le défilé) ou inattendus (connaissez-vous l’anhinga, le binturong, le kétoupa, le nilgaut ou le saïmiri ? J’en passe quelques dizaines). La dédicace au prolifique poète franco-picard Ivar Ch’Vavar n’est d’ailleurs pas sans rappeler que la langue (les langues) offre(nt) d’infinies possibilités lexicales.

Et aussi des possibilités sémantiques, sur l’ambiguïté desquelles l’auteur joue sans scrupules : chaque animal est, dans son évocation, l’objet d’une trituration entre caractéristiques concrètes et abstraites. Prenons par exemple la girafe : elle « étire sa conscience pour mesurer la hauteur d’une contemplation » ; parfois s’y ajoute un jeu de mots : « Une fissure cimente la morsure d’un lézard qui ensoleille la paresse d’un mur ». Nous ne sommes pas loin de ce que les savants en matière de stylistique nomment zeugma sémantique.

Mais si leur apparence didactique n’est pas contestable, il n’y a rien de monotone dans ces pages. Les animaux, leurs gestes, leurs attitudes, leurs aspects sont sources de poésie – poésie des sens conjugués comme avec le bouvreuil qui « déploie son chant avec ses couleurs pour envelopper son envol », poésie de l’espace comme avec le canard qui « surmonte une fresque suspendue à l’élévation d’un pharaon solaire », ou du temps comme avec le papillon dont la métamorphose « attrape un instant avec la légèreté d’une idée », ou des deux à la fois (« Un saumon affronte des courants pour remonter le temps renversé »). Une poésie qui, comme chez René Char, repose aussi sur le contexte : « Le destin d’un ver luisant se synchronise avec la substance d’une nuit éblouie ». Une poésie qui, en outre, n’est pas exempte d’humour, dont l’objet peut être l’animal (« Une bécasse déplumée par un peintre sauve la nature de l’art avec son cul »), l’auteur lui-même jouant sur son prénom (« Philippe bride son étymologie avec un dada dompté par un cheval »), l’étymologie, justement (« Un furet caché derrière son étymologie vole l’origine de sa domestication ») ou l’homonymie (« Un bouddhiste se réincarne dans un lama qui rumine une homonymie sacrée »). Présente aussi, la dénonciation des cruautés (« Un poussin broyé par une machine hante la consommation d’un cauchemar ») ou du colonialisme capitaliste (« Une colonie de fourmis ouvrières libère une terre occupée par des exploiteurs »).

Bestiaire qu’il faudrait pouvoir saisir dans toutes ses dimensions, De l’abeille au zèbre est un vaste poème à lire à sa guise : dans sa continuité (favorisée par l’absence de ponctuation) ou par minuscules séquences. L’initiative est laissée au lecteur. C’est le propre des bons livres.

Jean-Pierre Longre

Poésie, francophone, Philippe Jaffeux, Atelier de l’agneau, éditions Paraules, Jean-Pierre Longre Dans le registre expérimental, Philippe Jaffeux a publié aux éditions Paraules un ouvrage intitulé Livres,  qui « tente d’évoquer la présentation de deux livres en un seul. » Chaque page est complétée par la page située en regard. Là encore, le lecteur joue un rôle important, et c’est tant mieux.

 

 

www.philippejaffeux.com

https://atelierdelagneau.com/fr

https://editions-paraules.com

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