06/01/2025
« Essayer d’être heureux »
François Morel, Oh ! La belle vie, « 32 conseils pour aller imperceptiblement mieux », illustré par Alain Pilon, Philosophie magazine éditeur, 2024
Humoriste ? Moraliste ? Philosophe ? François Morel est tout cela, et plus encore. Que vous soyez ou non auditeur de ses chroniques sur France-Inter, la lecture de Oh ! La belle vie, suite de textes parus entre septembre 2020 et octobre 2023 dans – excusez du peu – Philosophie magazine, vous confortera dans vos opinions interrogatives, dans vos appréciations surprises, dans vos doutes réconfortants. Alors voyons…
L’humour ? Oui, généralement sous-tendu par des préoccupations à la limite de l’angoisse, un peu comme chez Raymond Queneau. L’angoisse du contact au temps du covid, par exemple : « Les gestes barrières ne facilitaient pas l’approche amoureuse. Puisqu’on ne pouvait plus s’approcher, il devenait difficile de faire des enfants. » Ou, à la même époque, la solitude de celui qui ne peut « vivre une histoire d’amour » qu’avec lui-même : « J’ai eu le sentiment, un peu triste, un peu désemparé, comme tout un chacun sans doute, d’être seul au monde. »
La morale ? Oui, mais pas celle d’un moralisateur ; celle qui s’exprime avec l’ironie d’un observateur qui, sans se poser en donneur de leçons, s’adresse aux délateurs (« Écrire une lettre anonyme est un excellent apprentissage pour développer la dextérité, la concentration, mais également l’apprentissage de sa langue, de la grammaire et de l’orthographe »), fustige ceux qui pensent « s’élever au-dessus de la réalité » avec l’histoire de Jésus mais hésitent à « tomber des nues » en lisant le rapport Sauvé sur les viols d’enfants dans l’Église catholique, ou encore analyse les mouvements de la connerie bien répandue qui, d’abord limitée aux automobilistes, devient une caractéristique des cyclistes.
La philosophie ? Oui, optons avec lui pour celle d’Oncle Georges, natif de Sète, qui aurait eu 100 ans en 2021, mais qui a l’âge « de l’humanité tout entière, celui de l’Auvergnat, de la fille de joie et du petit cheval de Paul Fort » : « Gloire à qui n’ayant pas d’idéal sacro-saint / Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins. »
Plus encore ? Oui, bien plus ! Fin analyste de la société contemporaine et contempteur se ses excès, il raconte comment elle pourrait en arriver à interdire Le Petit Chaperon rouge, accusé de « discriminations de toutes sortes, sexisme, inceste… », se fait aussi linguiste lorsqu’il déplore la disparition, chaque année, de « milliers de mots », « remplacés par des expressions invasives, intrusives et proliférantes » (comme le fameux « du coup » supplantant tant d’adverbes pittoresques). Et surtout, François Morel est poète. Pas seulement lorsqu’il écrit une chronique entière en alexandrins – ce qui relève déjà d’un art manifeste –, mais aussi tout au long de ces pages, à la manière de Jacques Prévert (« Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple ») et en suivant les préceptes de Baudelaire (s’enivrer « de vin, de poésie ou de vertu, à votre guise »). Une poésie qui, si parfois elle frise la nostalgie ou côtoie la satire, nous aide mine de rien à « aller imperceptiblement mieux ».
Jean-Pierre Longre
11:10 Publié dans Essai, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : essai, chroniques, humour, poésie, françois morel, alain pilon, philosophie magazine éditeur, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
Écrire un commentaire