16/07/2025
La détresse et la beauté
Pascal Quignard, Trésor caché, Albin Michel, 2025
Le titre et le début laissent envisager un roman d’aventures, et c’est le cas. Mais lire un roman de Pascal Quignard, c’est suivre les méandres infiniment poétiques de la mémoire et de la vie intérieure, et c’est aussi le cas. Le premier épisode, qui relate la découverte par Louise d’un réel trésor enfoui – pièces d’or et bijoux –, alors qu’elle enterre son chat au fond du jardin, est à la fois nécessaire et vite oublié : si cette découverte lui permet de voyager à sa guise, ce sont d’autres trésors qu’elle va trouver.
À commencer par la rencontre à Capri de Luigi, ou Ludwick, ou Ludovico, comme elle-même est peut-être Ludovica… Rapprochements intimes et variations musicales sur des prénoms qui passent les frontières, comme il y a des variations sur les états de l’eau, mer au large de Naples ou bras mort de l’Yonne, eau agitée ou stagnante, toujours porteuse de poésie ; comme aussi sur les noms des chats dont elle fait la connaissance sur les îles italiennes : Köthene et Bach, « l’oreille et le petit ruisseau », dont la mère s’appelait Arria ; des malices musicales, et surtout un autre trésor, une autre source de poésie : la présence des félins qui rythment la vie de Louise, qui l’attendent patiemment lorsqu’elle est absente, ou qui partagent avec elle des moments intimes et intenses : « Tous les trois dehors dans l’aube laiteuse ils bondirent sur la table et tous les trois nous petit-déjeunâmes de bon cœur. Puis nous parlâmes. Puis nous recommençâmes de manger. Puis nous bûmes. Puis nous fîmes pipi. Puis nous ronronnâmes. Puis le silence su fit. Le soleil nous toucha. De nouveau nous étions présents à ce monde. C’est peut-être la définition du bonheur : immédiat dans la présence. »
Nous sommes au centre des doutes, des malheurs et des bonheurs de Louise, que l’on saisit de l’intérieur (première personne) ou de l’extérieur (troisième personne), Louise hantée par la mort : celle de Peer, ce vieux chat qui lui a permis de découvrir le trésor ; et celle des hommes aimés : « C’est impossible à confesser. C’est encore plus curieux à penser, alors que les trois hommes avec lesquels j’ai vécu sont morts : mon père du temps de l’Aigle, Jean [le père de sa fille] du temps de Metz, Luigi du temps d’Ischia. Quand je considère les quelques garçons avec lesquels j’ai vécu, il me faut dire : « Peer, c’est toi qui as été l’amour de ma vie. » » Et donc aussi, Louise l’amoureuse, qui goûte les trésors de la vie. Il faut la plume précieuse de Pascal Quignard pour dire la complexité du cœur, de l’esprit et du corps, détresse et beauté mêlées : « Le chagrin illumine étrangement le monde. Le deuil y porte son ombre mais cette ombre, souvent, en souligne, en accuse, en augmente la beauté en même temps que la détresse. L’une et l’autre appartiennent au plus insaisissable de l’âme. C’est ainsi que la mélancolie embellit le présent. »
Jean-Pierre Longre
En lire plus sur Pascal Quignard :
http://jplongre.hautetfort.com/apps/search/?s=Quignard
Quignard et la peinture : Le regard et le silence. Terrasse à Rome de Pascal Quignard. .pdf
Quignard et la musique : Les oreilles n'ont pas de paupières... La haine de la musique de P.Q..pdf
17:29 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, francophone, pascal quignard, albin michel, jean-pierre longre | Facebook | |
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