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14/04/2011

Cachée derrière…

Cordou.jpgPierre Autin-Grenier, Elodie Cordou, la disparition, « vu par Ronan Barrot », les éditions du Chemin de fer, 2010

« Elodie Cordou, outre qu’elle était parmi nous d’une éblouissante beauté, la légèreté faite plume, je l’ai déjà dit, faisait toujours preuve d’une agilité d’esprit très rare qui témoignait d’une intelligence lumineuse que ne risquait jamais d’effleurer le superficiel ». Elle a toujours détesté se faire prendre en photo, et d’une manière générale redoutait les « photographistes », leur préférant les peintres dérangeants, « briseurs d’ordre établi », tel celui qui vivait dans le village du Limousin où elle donna son dernier rendez-vous au narrateur.

Car, comme le titre et la première page du récit l’annoncent d’emblée, personne ne peut dire où se cache Elodie Cordou, ni même « attester sa présence au monde ». Ce monde de la finance et du pouvoir, incarné par son frère Jean-Maximilien, héritier de l’affaire familiale, ce monde du négoce et de la rentabilité aux yeux duquel tous ceux (dont Elodie Cordou) qui n’entrent pas dans le moule sont atteints de « déséquilibre mental », ce monde, donc, elle l’a fui pour on ne sait où, on ne sait quoi.

Elodie Cordou, alliance complexe de la douceur musicale (son prénom) et de la dureté du cuir (son nom), est éprise d’indépendance, mais sa révolte lucide exclut la violence. D’où sa disparition, ultime manifestation du refus. On aurait pourtant bien voulu la connaître en chair et en os, voir si elle est bien telle que l’évoquent les pages poétiques et litaniques, graves ou légères de Pierre Autin-Grenier, telle que nous la montrent les peintures vives et sombres, statiques ou mouvementées de Ronan Barrot – un peu ce qu’on peut voir, à l’occasion, sur les toiles du peintre d’Eymoutiers dont il est question au détour du chemin. Mais à y bien réfléchir, on ne peut la connaître que par la représentation littéraire et graphique, en retrait du réel, cachée derrière.

La combinaison du texte et de l’image illustre parfaitement, aux antipodes du figé mécanique de la photographie et des clichés de l’écriture à la mode, la profondeur de la liberté humaine et les mystères de l’art salvateur.

Jean-Pierre Longre

www.chemindefer.org

Un petit rappel…

 

Pierre Autin-Grenier, Là-haut, « vu par Ronan Barrot », les éditions du Chemin de fer, 2005.

 

Au sommet de la colline, la « baraque bleue », où vient de mourir une vieille femme qui y demeurait recluse depuis on ne sait quand, recèle des mystères insoupçonnés. Les hommes robustes chargés de la vider, à mesure de leur exploration, découvrent des secrets à frémir : des boîtes aux étranges contenus, un portrait qui nous fait remonter à des origines familiales porteuses de malédiction et de mort, et encore… laissons au texte le soin de ses effets. Les illustrations de Ronan Barrot, à grands traits sombres suggestifs et énigmatiques, s’adaptent précisément aux pages de cette nouvelle qui nous plonge dans les profondeurs lugubres du temps.

 

J.-P. L., novembre 2005

  

…et sur l’auteur : http://remue.net/cont/autingrenier1.html

11/06/2010

Les miroirs de la mémoire

ecorchurecouv1 Sandu.jpgAna Maria Sandu, L’écorchure. Vu par Marine Joatton. Traduit du roumain par Fanny Chartres. Les éditions du Chemin de Fer, 2010. 

 

En vers libres (ou en prose rythmée), une succession de tableaux tentent de fixer sur la page les fluctuations de la mémoire. Il ne s’agit pas vraiment d’autobiographie, mais plutôt de souvenirs poétisés, dans lesquels l’imaginaire et l’écriture de jeunesse tiennent aussi leur  place, souvenirs oscillant entre la première, la deuxième et la troisième personne, comme si le miroir, en fragments divers, multipliait les angles de vue et nous donnait à voir plusieurs « petites ana » dont chacune a « une histoire à raconter ».

 

Les histoires, ces divers va-et-vient dans le passé, entre la petite enfance, avec ses jeux et ses travaux, et la période des études, avec ses amours et ses débuts littéraires, nous mènent vers  « ces choses simples et insignifiantes », parfois heureuses, souvent douloureuses, qui font l’intimité d’une petite fille et d’une femme. Les jeux de l’enfance, notamment, ne sont pas dénués de violence et de sexualité naissante. Les plaisirs, les brimades, les amitiés, les inimitiés, les modes de vie, les coutumes du passé dans la Roumanie des années 1970-1980, tout est dit sans fausse pudeur, sans complaisance non plus. Et cela contribue à la poétisation de la vie, dans ses dimensions physiques et mentales, réalistes et oniriques.

 

Les dessins de Marine Joatton, à gros traits côtoyant les mots, s’y superposant parfois, les « écorchant » au passage, renforcent l’aspect visuel du texte. Ils ne l’illustrent pas, mais lui ajoutent leur dimension, à la limite du fantastique. Les qualités poétique et plastique, l’étroite complémentarité des arts font de L’écorchure ce qu’on peut appeler un beau livre.

 

 Jean-Pierre Longre

 

www.chemindefer.org