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07/11/2017

« L’émotion ancestrale »

Nouvelle, francophone, nancy huston, actes sud, leméac, jean-pierre longreNancy Huston, Sensations fortes, Actes Sud/Leméac, 2017

Neuf nouvelles de sujets et de factures diverses écrites entre 1975 et 1997, la plupart déjà publiées en volumes collectifs ou en revues… On pourrait penser que Nancy Huston a ouvert quelques-uns de ses tiroirs pour confectionner, avec la complicité des éditions Actes Sud et Leméac, un séduisant petit ouvrage au succès pratiquement assuré.

Oui, l’ouvrage est séduisant, mais d’une séduction plutôt violente, et sa diversité n’est qu’apparente. Le titre est explicite : puisées dans la vie réelle ou dans l’imaginaire, les sensations sont effectivement fortes et bousculent le lecteur, d’une manière ou d’une autre. On assiste par exemple, dans des récits à coloration kafkaïenne, à la métamorphose d’une femme en arbre, ou à l’errance supposée d’une jeune japonaise dans le métro parisien ; dans une nouvelle datée de 1986, le mur de Berlin devient une paroi transparente, témoignage concret et artistique de la « glasnost » inaugurée à l’époque ; les souvenirs sont là aussi, avec la tentative « d’une fugue définitive » de la narratrice et de son frère. Mais « il était difficile, dans la famille Huston, de quitter Edmonton en 1960. », comme il est difficile à tout un chacun d’échapper à son destin.

La quête de ce recueil est celle de « l’émotion ancestrale » que retrouve Miki « la pleureuse » : « cette nausée et ce vertige, ce besoin de se vider, de se retourner comme un gant, d’interrompre tous les processus vitaux et de trembler jusqu’à la transparence. ». Pour surprenantes que soient les péripéties que relatent ces textes, leur force est bien là : chercher le vrai au tréfonds de l’âme individuelle et collective.

Jean-Pierre Longre

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11/06/2016

« Un monde sans âme »

Roman, francophone, Nancy Huston, Actes Sud, Leméac, Jean-Pierre LongreNancy Huston, Le club des miracles relatifs, Actes Sud/Leméac, 2016  

Varian, né sur le tard dans une famille modeste et affectueuse, est un garçon surdoué, avec tout ce que cela entraîne de bonheurs et de malheurs : mémoire hors du commun, résultats scolaires brillants, vie intérieure foisonnante, faiblesse physique, élocution hésitante, comportement étrange et ambigu… Objet d’un amour exclusif de la part de sa mère et de déconvenues progressives pour son père, il devient le souffre-douleur de ses camarades et se réfugie dans la solitude.

Diplôme en poche, il part à la recherche de son père qui, pêcheur au chômage, a dû trouver du travail dans une contrée où l’unique activité est l’extraction de l’ambroisie (produit de la terre dont on comprend qu’il représente le pétrole), et où les hommes deviennent esclaves d’une société cauchemardesque, qui a quelque chose à voir avec celle du 1984 de George Orwell ou du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Varian trouve une place d’infirmier à Terrebrute, et avec deux amis crée le « club des miracles relatifs », micro-association écologiste et contestataire qui, évidemment, fait l’objet d’une répression brutale de la part des autorités d’un lieu qui porte bien son nom. Le monde dévorant de l’industrie sauvage n’a aucune hésitation devant ces combattants lucides et dérisoires de la Nature et de la Culture, ni d’ailleurs devant toutes les victimes qu’il plonge dans le dénuement, dans les cachots de « BigMax » ou carrément dans la disparition.

Le club des miracles relatifs a toutes les caractéristiques du roman d’anticipation : lieux imaginaires mais dans lesquels on reconnaît des régions réelles, comportements poussés à leur paroxysme, société implacable rejetant comme inutile tout ce qui relève de l’humain, surveillance incessante des travailleurs, cruauté de la répression… C’est par tout cela un roman engagé, voire militant, mais qui ne relève pas du manichéisme politique. Le personnage de Varian est complexe, et sa richesse psychologique est au centre du récit. C’est par le prisme de sa vie familiale, sociale, intérieure, par l’intermédiaire de ses raisonnements, de ses obsessions et de son langage particulier que nous réagissons à l’enfer qui l’environne, le ronge jusqu’à l’engloutir, comme beaucoup d’autres. Reste cependant une lueur, et l’écriture de Nancy Huston est là pour l’attester : la lueur de la poésie, poésie du récit et de sa construction, poésie que Leysa, l’amie de l’infirmerie d’AbsoBrut, lisait à Varian, et qui le rendait « un peu moins seul ». Le miracle poétique est « relatif », certes, mais il reste un motif d’espoir.

Jean-Pierre Longre

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23/08/2011

Brisures et vérités

roman,francophone,nancy huston,actes-sud,leméac,j'ai luNancy Huston, Lignes de faille, Actes Sud / Leméac, « Un endroit où aller », 2006. J'ai lu, 2011. Prix Fémina 2006.

 

Quatre récits, quatre enfants de six ans différents et réunis par une ligne dont les brisures s’ouvrent peu à peu aux yeux du lecteur. Avec Sol (« Solly, Solomon »), petit garçon américain à part entière, rêvant sur Internet de puissance et d’éternité, imaginant qu’il « contrôle et possède chaque parcelle du monde », commence le parcours généalogique ascendant d’une famille reliée par quelques points d’ancrage – un grain de beauté, une poupée que se disputent violemment deux femmes âgées redevenues petites, un « vieux nounours tout râpé »…

 

L’exploration se poursuit avec Randall, le père de Sol, que l’on retrouve à six ans entre un père dramaturge au creux de son inspiration et une mère obsédée par ses recherches sur le Mal et les « fontaines de vie », lieux où les nazis concentraient pour les « germaniser » des enfants volés dans les pays occupés. Celle-ci, Sadie, est passée à l’âge de six ans du « parfum de tristesse » quotidien ressenti entre ses grands-parents à l’agitation réjouissante et désordonnée de la vie d’artiste menée par sa jeune mère. Finalement, c’est cette dernière, Erra (ou Kristina ou AGM), héroïne du quatrième récit, qui imprime sa marque sur tous les épisodes, en pointillés incisifs puis par la découverte de ses propres origines, donc de celles de la famille entière.


Itinéraire temporel sur plus d’un demi-siècle de bouleversements et de conflits entre 2004 et 1944, Lignes de faille est aussi un itinéraire spatial entre l’Amérique moderne et l’ancienne Europe, en passant par Israël. A travers des récits de vie individuels et familiaux, c’est la destinée du monde d’aujourd’hui qui est le véritable enjeu de la narration. C’est l’Histoire vécue de l’intérieur, dans la tension d’un mouvement chronologique inversé, à la recherche d’une authenticité dont seuls les enfants, dans leur lucide naïveté, semblent capables : « En les écoutant je repense à cette idée de théâtre et me demande si au fond le gens ne passent pas leur temps à jouer des rôles, non seulement lors des mariages mais tout au long de leur existence : peut-être qu’en conseillant ses fous grand-papa joue le rôle d’un psychiatre et en me frappant avec la règle Mlle Kelly joue le rôle d’une méchante prof de piano ; peut-être qu’au fond d’eux-mêmes ils sont tous quelqu’un d’autre mais, ayant appris leurs répliques et décroché leurs diplômes, ils traversent la vie en jouant ces rôles et il s’y habituent tellement qu’ils ne peuvent plus s’arrêter ».

Ce que se dit la petite Sadie, c’est souvent ce qu’on se dit non seulement à la lecture d’un roman, mais aussi à l’observation de la société des hommes. Lignes de faille est un roman qui, au-delà de l’habileté de la construction, de l’expressivité des soliloques enfantins, de la cruauté de certains passages, de la tendresse de certains autres, tente de mettre au jour les vérités nichées au plus profond des âmes et des corps.

Jean-Pierre Longre

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