04/08/2010
« Saloperie d’existence »
Jean-Pierre Martinet, Ceux qui n’en mènent pas large, Le Dilettante, 2008
Sur la couverture du livre, un dessin de Tardi en noir et blanc campe non seulement l’atmosphère, mais, peut-on dire, la réalité de ce fulgurant roman désespéré : la tête entre les mains, un homme – Georges Maman, le (très) anti-héros – fait face à son imposant Frigidaire, que l’on devine aussi vide que le compte en banque de son propriétaire (il s’avérera qu’il n’est pas tout à fait vide, puisqu’il contient le dénouement du récit). Entre eux, quelques bouteilles de mauvais vin, une boîte de Canigou, le paysage déprimant d’une cuisine inutile.
Maman a pourtant connu une brève célébrité cinématographique et théâtrale, au temps où il semblait aimé de Marie Beretta, devenue vedette de papier glacé. De cette lointaine époque, il ne lui reste que la mémoire, les rêves et la présence à la fois haïe et recherchée de Dagonard, assistant à la télévision, et pour cette raison un peu moins démuni que son compagnon d’infortune. Ceux qui n’en mènent pas large raconte ainsi des heures nocturnes de déambulations, de perte de soi, de dégringolade, de larmes, d’hallucinations… Se réfugier dans l’alcool, dans le sommeil, dans les souvenirs illustrés par le grand écran, tout cela est-il utile ? C’est en tout cas le seul sursis, le seul moyen de nager sur les flots pourris de l’existence, un moment.
Le style de Jean-Pierre Martinet est parfaitement adapté aux êtres qu’il décrit, ces humbles ratés qui n’ont pas les moyens de se sauver du naufrage ; un style sans concessions, tout en violence et en émotion, qui frappa dur à la porte de notre indifférence. Il faut donc sauter sur l’occasion des rééditions qui sortent de l’oubli cet écrivain (1944-1993) qui fut assistant rélisateur, critique, marchand de journaux : Jérôme aux éditions Finitude, L’ombre des forêts à La Table Ronde et Ceux qui n’en mènent pas large au Dilettante ; et ne pas oublier de lire, à la fin de ce volume, « Au fond de la cour à droite », bel hommage de Martinet à Henri Calet, à « sa noirceur, sa dignité » ; Henri Calet, qui a dit l’essentiel : « Saloperie d’existence ».
Jean-Pierre Longre
21:35 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, francophone, jean-pierre martinet, le dilettante | Facebook | | Imprimer |
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