10/03/2025
Maître de la nouvelle
Ryūnosuke Akutagawa, Les Grenouilles, traduit du japonais par Catherine Ancelot et Silvain Chupin, Cambourakis, 2024
Parmi les nouvelles que présente ce recueil, entre réalisme et fantastique, entre comique et dramatique, on a le choix. Histoires malicieuses, mystérieuses, pathétiques, poétiques, soliloques ou dialogues, souvenirs d’enfance ou d’amour, la gamme des registres et des thèmes développées au fil des ces huit textes est suffisamment variée pour qu’on ne s’ennuie jamais.
Écrits entre 1915 et 1923, ils s’inscrivent d’une part dans une tradition liée aux légendes, aux coutumes et à la spiritualité japonaises, d’autre part dans une modernité faisant appel à l’absurde, au paradoxe, à l’étrange et à la philosophie. C’est tout l’art de Ryūnosuke Akutagawa qui, né en 1892 et mort par suicide en 1927, est considéré comme « le plus grand nouvelliste du Japon ». Il faut dire que ses récits sont composés avec un art consommé du détail significatif, de la progression habilement menée jusqu’au dénouement discret ou inattendu, poétique ou tragique, parfois tout cela à la fois.
C’est par exemple une femme s’apprêtant à mourir : « Kesa souffle la lampe. Bientôt, un léger bruit dans la pénombre alors que le volet rabattu sous la galerie se soulève. Dans le même temps, un pâle rayon de lune vient éclairer la scène. » Rien de plus, rien d’inutile. Ou un personnage parti explorer le fond d’une mare : « Le voilà, ce monde mystérieux auquel j’aspirais. Tout en nourrissant ces réflexions, mon cadavre resta longtemps à contempler le nénuphar, comme un joyau au-dessus de moi. » La mort et la poésie ne se contredisent pas. Et encore : « Si les serpents ne mangeaient pas les grenouilles, elles se multiplieraient. De sorte que l’étang – le monde – deviendrait à terme trop petit. C’est pourquoi les serpents viennent nous manger. Dis-toi que la grenouille qui s’est fait manger a été sacrifiée pour le bonheur de la majorité. Parfaitement. Même les serpents sont là pour nous, les grenouilles. Toutes les choses de ce monde, de la première à la dernière, existent pour les grenouilles. Que Dieu soit loué ! » Voilà la réponse que j’ai entendue dans la bouche d’une grenouille, une ancienne à ce qu’il me semble. » Une terrible leçon pour l’humanité, qui justifie le titre du livre.
Jean-Pierre Longre
19:07 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nouvelle, japon, ryūnosuke akutagawa, catherine ancelot et silvain chupin, cambourakis, jean-pierre longre | Facebook | |
Imprimer |
Écrire un commentaire