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02/07/2025

L’aventure et l’amitié

Nouvelle, Autobiographie, francophone, Roumanie, Panaït Istrati, Golo, Christian Delrue, éditions Plein Chant, Jean-Pierre LongrePanaït Istrati, Isaac le tresseur de fil de fer suivi de En Égypte, illustrations de Golo, postface de Christian Delrue, coll. Voix d’en bas, éditions Plein Chant, 2025

« Les enthousiastes, qu’ils soient ou non juifs, sont toujours des hommes encombrants sur cette terre. » « La destinée du vagabond est totalement contraire à celle que la création octroie au commun des mortels. » Au cas où on ne l’ait déjà fait, on mesure ici combien Panaït Istrati avait le sens de la formule, qu’il s’agisse de relater des aventures vécues par lui-même ou par ses héros. Lui-même ou ses héros : oui, car ce que vivent ceux-ci est souvent tiré de l’expérience de celui-là. La preuve en est donnée ici, grâce à la réunion bienvenue de deux récits relatifs à l’Égypte : Isaac le tresseur de fil de fer (qui sera repris dans La Famille Perlmutter) et En Égypte (précédemment intitulé Entre l’amitié et un bureau de tabac), c’est-à-dire une fiction et une narration autobiographique.

Qu’on ne s’y trompe pas : si les contextes sont similaires, les récits sont différents, dans leur contenu et dans leur style. Christian Delrue le constate dans sa postface : « D’une tonalité plus profonde et d’une progression dans l’intensité favorisée par la dimension restreinte d’une nouvelle, Isaac dégage une force interne et une qualité littéraire peu commune comparables à celles qui se déploient dans le roman Les Chardons du Baragan. » En revanche, même si l’auteur y déploie joyeusement son sens du pittoresque, En Égypte s’en tient à des souvenirs avérés. Revenons à la fiction: Isaac, jeune Juif roumain, a déserté, quitté sa famille et s’est réfugié en Égypte par amour. Situation d’emblée dramatique : un amour perdu, un geste désespéré, un refuge illusoire ; car si en Égypte il trouve de l’amitié – celle du cabaretier Binder, originaire de Galatz, et celle de Youssouf, vieux Juif arabe marchand de loteries –, ces deux amitiés provoquent chez le jeune garçon un incessant tiraillement entre la joie de vivre et la piété intransigeante ; alors, le drame se mue en tragédie, en une progression que seul un véritable écrivain sait ménager. Dans En Égypte, Istrati relate des faits vécus, en mettant en avant son amitié avec Mikhaïl et les aléas du vagabondage avec les peurs qu’il provoque, cela dès le début : « Mon cœur se réduisit aux dimensions d’une puce, au moment où je me sentis livré à ce premier grand hasard de mon existence : oser affronter le monde, sans argent, sans papier, sans même avoir payé sa place. » ; mais aussi, de ce même vagabondage, les bonheurs : « Une vie pleinement vécue, si par vie on veut bien entendre le culte de nos désirs. »

Si, comme l’écrit encore Christian Delrue, ces deux textes « appartiennent au versant oriental de l’œuvre de Panaït Istrati qui a contribué à son succès au moins autant que ses récits roumains », ils sont aussi une bonne initiation à la lecture de ses livres pour un public qui ne les connaîtrait pas. Car, dans leurs différences, ces deux récits sont singulièrement représentatifs de l’art complet de l’auteur, narrateur hors pair, aussi bien dans la fiction que dans l’autobiographie. Et les illustrations de Golo, grouillantes de vie et d’une expressivité inoubliable, donnent un piment artistique supplémentaire à l’écriture littéraire.

Jean-Pierre Longre

www.pleinchant.fr

https://lesamisdepanaitistrati.weebly.com