17/05/2015
Explorations oniriques
Guy Cabanel, Jean Terrossian, Journal intime, 1943-1953, Ab irato, 2015
Le récit de rêve fut l’un des genres de prédilection des surréalistes. Guy Cabanel, né en 1926, ne déroge pas à cette prédilection en publiant ce Journal intime de jeunesse (1943-1953), qui annonce les activités surréalistes auxquelles il participera à partir de 1958.
Vingt textes, vingt poèmes narratifs qui, abordant tous les thèmes, toutes les situations oniriques, réservent des surprises telles que seul le sommeil peut en fournir. Campagne, mer, montagne, ville, mais surtout grottes, souterrains, couloirs mystérieux sont le théâtre d’événements que la vie éveillée ne pourrait ni provoquer ni supporter. Il peut s’agir de couper sans sourciller trois de ses doigts et de les prêter à des hommes en canoë, de se dédoubler sans presque s’en apercevoir, de passer de Quimper à Dresde en un clin d’œil ; et, comme souvent dans les rêves, l’homme fait preuve d’une impuissance désespérante et assiste à des drames secrets qu’il ne peut que relater, sans rien y pouvoir. Mais le rêve, parfois, n’est pas sans malice verbale ; comment, par exemple, ne pas faire le rapprochement (sans même parler de Magritte) entre une « pipe en forme de tête de mort » qui se casse et la préfiguration certaine et mystérieuse de la mort de « Guy » – qui, se mettant lui-même en scène, atteste la véritable intimité de ce journal ? Et parfois, sans qu’on y prenne vraiment garde, comme un fil tendu entre les œuvres, passe la silhouette de l’amiral Leblanc, dont il a été question ailleurs…
N’oublions pas que ce livre a deux auteurs, ce qui n’est pas banal pour un Journal intime : l’écrivain, et le dessinateur Jean Terrossian, lui aussi surréaliste. Plus que des illustrations, plus que des ponctuations ou des récréations visuelles, ses dessins semi-figuratifs, qui combinent hardiment angles et courbes, ombres et clartés, artifices mécaniques et nature animale, réservent eux aussi de belles surprises semées de réminiscences artistiques et de mystères, dans une recherche de ce que Breton appelait la beauté « explosante-fixe ». Voilà un livre complet, à lire et à voir, qui comme toute œuvre surréaliste qui se respecte explore et sollicite les secrets de l’imagination et les méandres de l’inconscient.
Jean-Pierre Longre
10:17 Publié dans Mots et images | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, narration, dessin, guy cabanel, jean terrossian, ab irato, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
11/11/2013
Almanach insolite
Alain Joubert, Le passé du futur est toujours présent, illustrations de Barthélémy Schwartz, Ab irato, 2013
Si vous voulez prendre connaissance – sans les percer – des mystères liés à la découverte de débris humains dans le lac du bois de Boulogne ou au fond du bassin des Tuileries, n’hésitez pas à vous plonger dans ce petit livre. Vous y apprendrez aussi qui est le « cycliste inconnu » de l’autoroute A7 (vous savez, celui qui a été écrasé près de Givors), vous ferez connaissance avec Henri Sigisbée, professeur au Collège de France, vous rencontrerez Jacques Lacan et Jean-Pierre Mocky, ou encore la coiffeuse Jacqueline Gemona… Et vous assisterez à maints événements peu banals de l’existence quotidienne et de la vie rêvée.
Car Le passé du futur est toujours présent relate les « faits et gestes de quarante-huit jours oubliés », qu’Alain Joubert, ex-surréaliste et ami du vélo, a exhumés d’un almanach complet qu’avec quelques autres (Georges Sebbag, Marc Pierret, Paul Virilio) il avait tenté de réaliser.
De beaux restes, à vrai dire, que ceux de cet almanach, jadis parus sous le titre Huit mois avec sursis. C’est à la fois drôle, inquiétant, tragique, comique, réaliste, bizarre… Les textes brefs sont à lire sans idée préconçue, l’esprit ouvert et les capacités mentales (conscientes et inconscientes) en éveil. Les illustrations de Barthélémy Schwartz, suggestives, toniques, morbides, brumeuses, dialoguent harmonieusement avec les dissonances des histoires ici narrées, contribuant à les fixer dans la mémoire. En cas de défaillance, on retiendra au moins la leçon du professeur Sigisbée : « Tout trésor appartient à celui qui l’invente ! ».
P.S. : On recommandera particulièrement et sans vergogne, aux éditions Ab irato, les ouvrages de la collection Abiratures, « dédiée à l’approche poétique, ce court moment d’élaboration qui se concrétise dans la poésie, quelle que soit la forme (rêve, texte, jeu, dessin, dialogue etc.) qu’elle prend pour s’exprimer ». Parmi eux, notamment, Hommage à l’Amiral Leblanc de Guy Cabanel, précédé d’une « induction » d’Alain Joubert, justement. Un beau chantier naval et poétique.
Jean-Pierre Longre
16:31 Publié dans Mots et images | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, récit, illustration, francophone, alain joubert, bathélémy schwartz, guy cabanel, ab irato, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |