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23/08/2010

Lire, relire... La tragédie et l’espérance, ou le roman d’une Rom

Zoli.jpgColum McCann, Zoli. Traduit de l’anglais (Irlande) par Jean-Luc Piningre, Belfond, 2007

 

Marienka Novotna, dite Zoli, restera pour toujours marquée par la tragédie inaugurale de son existence : le massacre de sa famille entière par les Hlinkas, ces fascistes qui dans les années 1930 en Slovaquie firent le lit des nazis. Seuls la petite fille de six ans et son grand-père échappèrent à la noyade sadique, et c’est ainsi que Zoli, sous la houlette du vieil homme sage et savant, commença une vie errante et exceptionnelle. Contrairement aux autres fillettes du peuple rom, elle apprit à lire et à écrire : « Très tôt, j’ai aimé tenir un crayon entre mes doigts ».

 

Après avoir survécu au nazisme, comment ne pas fêter dans les chants et la liesse la liberté apparemment revenue, Tziganes et « Gadje » au coude à coude ? Et Zoli, remarquée par le journaliste Stansky, séduite par l’idéaliste Stephen Swann venu s’installer dans la Tchécoslovaquie communiste et lui-même fasciné par la jeune femme, va devenir une idole officielle, applaudie par les foules et le régime bénissant ses poèmes qui chantent l’épopée rom :

 

« Lorsque la mort nous aura transformés en pluie,

Nous resterons au bord des nuages

Avant de continuer à pleuvoir.

Nous resterons dans l’ombre du chêne blanc

Où nous avons marché,

Pleuré, marché, au long des chemins. »

 

Mais lorsque le peuple errant, sédentarisé de force, fut parqué dans des « blocs » à la soviétique, Zoli, jugée coupable par les siens, trahie par son amour même, devenue paria chez les parias, fut de nouveau condamnée à la fuite, à la solitude, au calvaire et aux illusions. Franchir les frontières, traverser l’Europe, rêver de Paris, chercher refuge ici et là, rejetée par les siens et par les autres… Elle se fixera un jour, et elle pourra narrer à sa fille les péripéties de son existence : « C’est bien, ma fille, de pouvoir s’attendre aux surprises. […] Il est si étrange que ma vie soit arrivée si loin, mais je suis ébahie d’avoir découvert tant de beauté ».

 

Zoli, on s’en doute, n’est pas simplement un document sur la vie des Roms, ni une histoire de l’Europe ; c’est cela, et c’est bien plus : un roman, le roman d’une destinée certes représentative d’un peuple étrange, gênant et fascinant, mais d’une destinée à part, façonnée par la réalité des haines et la fluidité des rêves, par l’intransigeance de l’indépendance et la soumission aux sentiments, par l’obstination et l’ambiguïté. Un roman où, dans le va-et-vient historique, collectif et individuel entre les années 1930 et le début du XXIe siècle, la tragédie est inséparable de l’espérance : « J’ai gardé espoir jusqu’à la toute fin. L’espérance est une vieille habitude des Roms. Je ne l’ai peut-être jamais perdue ».

Jean-Pierre Longre

www.belfond.fr