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04/12/2015

« Nous n’irons plus nus »

Bande dessinée, francophone, histoire, Lyon, Christophe Girard, Les enfants rouges, Jean-Pierre LongreChristophe Girard, Le linceul du vieux monde. La révolte des canuts, livre 3, Les enfants rouges, novembre 2014

Novembre 1831 fut, à Lyon, un mois particulièrement tourmenté, fiévreux, sanglant, un mois qui a marqué une étape décisive dans l’histoire de la ville comme dans celle du mouvement ouvrier. Les deux premiers livres de La révolte des canuts racontaient les prémices de cette révolte, les injustices, les premières manifestations, la répression dans des images et des dialogues aussi expressifs que vigoureux (voir ici).

Cette vigueur et cette expressivité, on les retrouve, toujours en noir et blanc, dans le livre 3 sous-titré « À l’aube du rêve ». Un rêve qui, dans l’immédiat, restera à l’état de belle illusion pour laquelle tant de sang d’ouvriers (mais aussi de soldats et de « victimes collatérales ») aura coulé. Un rêve, tout de même, que les dernières images (un dialogue, trente ans plus tard, entre Karl Marx et le journaliste Pétretin) signalent comme les débuts de la défense du prolétariat ; un rêve que chantera, encore plus tard, Aristide Bruant : « Mais notre règne arrivera / Quand votre règne finira ».

Voilà donc un album historiquement décisif, plein d’enseignements sur la tournure qu’ont prise les événements : violences, rivalités humaines et politiques, clivage entre l’idéal républicain et les revendications catégorielles, mainmise des pouvoirs locaux et surtout du pouvoir central incarné par Louis-Philippe et par ses envoyés… L’histoire est complexe, les rebondissements et les revirements sont nombreux, les événements s’imbriquent les uns dans les autres, mais le genre de la bande dessinée aide à s’y retrouver – à condition, comme c’est le cas ici, que le texte soutienne abondamment le dessin, explicitant les enjeux, les manœuvres, les indignations, mettant en relief les portraits pittoresques aux traits marqués. Et au milieu des noms plus ou moins connus, des souvenirs plus ou moins effacés, se glissent quelques allusions malicieuses à des situations encore bien actuelles, tel le cumul des mandats (« Vous faites partie de cette nouvelle espèce de parlementaires, ces cumulards qui prospèrent et qui à force de trop vouloir faire ne font rien mais gagnent beaucoup »), ou des détournements d’œuvres notoires comme L’Angélus de Millet…

Avec les trois livres du Linceul du vieux monde, Christophe Girard met en perspective le passé local et national, rend l’Histoire accessible à tous. Instruire en divertissant, c’est toujours la bonne formule…

Jean-Pierre Longre

www.enfantsrouges.com  

www.christophegirardbd.com

19/12/2013

Une épopée lyonnaise

Bande dessinée, francophone, Histoire, Christophe Girard, Les enfants rouges, Jean-Pierre LongreChristophe Girard, Le linceul du vieux monde. La révolte des canuts, livres 1 et 2, Les enfants rouges, 2013

Christophe Girard, dont la famille est lyonnaise depuis plusieurs générations, a longtemps mûri le projet d’écrire (et bien sûr de dessiner) sur la révolte des canuts qui ensanglanta la ville en novembre 1831. Pour cela, comme un chercheur scrupuleux, il s’est longuement et assidûment documenté sur un épisode dont il n’est plus guère question, il faut le reconnaître,  dans les manuels d’histoire ; et les deux premiers albums (en attendant le troisième) intitulés Le linceul du vieux monde combinent la vivacité du dessinateur, le talent du scénariste et les connaissances de l’historien (le premier livre, notamment, campe précisément un contexte historique, politique, économique dont la connaissance est nécessaire à la compréhension de la suite).

Bande dessinée, francophone, Histoire, Christophe Girard, Les enfants rouges, Jean-Pierre LongrePas de prétention à l’exhaustivité. Les planches en noir et blanc, dont le réalisme est souvent et volontairement dépassé par un pathétique et un tragique dignes de la chanson de geste, traduisent la violence de ces journées de révolte. La violence sociale, bien sûr, qui est faite aux ouvriers, puisque leurs conditions de travail se dégradent, que leurs salaires diminuent, que leurs impôts augmentent, tandis qu’une petite caste de possédants s’enrichit de plus en plus (tiens, tiens, les temps changent, les rapports sociaux ne varient pas…) et que la Chine devient une concurrente préoccupante, avec ses produits à moindre coût et de moindre qualité (tiens, tiens, etc… !). La violence physique, aussi, lorsqu’une manifestation pacifique est réprimée dans le sang, ce qui entraîne, comme toujours dans ce cas-là, un élargissement du conflit et l’enchaînement d’autres violences.

Qui est le héros de cette épopée populaire ? Personne. Certes, il y a quelques figures dominantes issues des mondes du journalisme, de la politique, du travail. Mais le véritable protagoniste, descendu de son village de la Croix-Rousse, c’est le peuple entier des canuts, victime et rebelle, solidaire et déterminé – celui que plus tard chantera Aristide Bruant. Christophe Girard lui aussi le chante, ce héros collectif, dans un dessin tout en contrastes et en mouvements, un dessin vigoureux et précis, un dessin qui fait vivre et voisiner l’enthousiasme des luttes et la cruauté de la répression, les cris d’indignation et le rire franc de la moquerie, la générosité des pauvres et l’arrogance des nantis, la morbidité du quotidien et l’espoir d’un monde meilleur… La révolte des canuts, mémorable épisode lyonnais, devient ici épopée universelle. À suivre dans le livre 3…

Jean-Pierre Longre

www.enfantsrouges.com  

www.christophegirardbd.com