19/12/2013
Une épopée lyonnaise
Christophe Girard, Le linceul du vieux monde. La révolte des canuts, livres 1 et 2, Les enfants rouges, 2013
Christophe Girard, dont la famille est lyonnaise depuis plusieurs générations, a longtemps mûri le projet d’écrire (et bien sûr de dessiner) sur la révolte des canuts qui ensanglanta la ville en novembre 1831. Pour cela, comme un chercheur scrupuleux, il s’est longuement et assidûment documenté sur un épisode dont il n’est plus guère question, il faut le reconnaître, dans les manuels d’histoire ; et les deux premiers albums (en attendant le troisième) intitulés Le linceul du vieux monde combinent la vivacité du dessinateur, le talent du scénariste et les connaissances de l’historien (le premier livre, notamment, campe précisément un contexte historique, politique, économique dont la connaissance est nécessaire à la compréhension de la suite).
Pas de prétention à l’exhaustivité. Les planches en noir et blanc, dont le réalisme est souvent et volontairement dépassé par un pathétique et un tragique dignes de la chanson de geste, traduisent la violence de ces journées de révolte. La violence sociale, bien sûr, qui est faite aux ouvriers, puisque leurs conditions de travail se dégradent, que leurs salaires diminuent, que leurs impôts augmentent, tandis qu’une petite caste de possédants s’enrichit de plus en plus (tiens, tiens, les temps changent, les rapports sociaux ne varient pas…) et que la Chine devient une concurrente préoccupante, avec ses produits à moindre coût et de moindre qualité (tiens, tiens, etc… !). La violence physique, aussi, lorsqu’une manifestation pacifique est réprimée dans le sang, ce qui entraîne, comme toujours dans ce cas-là, un élargissement du conflit et l’enchaînement d’autres violences.
Qui est le héros de cette épopée populaire ? Personne. Certes, il y a quelques figures dominantes issues des mondes du journalisme, de la politique, du travail. Mais le véritable protagoniste, descendu de son village de la Croix-Rousse, c’est le peuple entier des canuts, victime et rebelle, solidaire et déterminé – celui que plus tard chantera Aristide Bruant. Christophe Girard lui aussi le chante, ce héros collectif, dans un dessin tout en contrastes et en mouvements, un dessin vigoureux et précis, un dessin qui fait vivre et voisiner l’enthousiasme des luttes et la cruauté de la répression, les cris d’indignation et le rire franc de la moquerie, la générosité des pauvres et l’arrogance des nantis, la morbidité du quotidien et l’espoir d’un monde meilleur… La révolte des canuts, mémorable épisode lyonnais, devient ici épopée universelle. À suivre dans le livre 3…
Jean-Pierre Longre
10:54 Publié dans Mots et images | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : bande dessinée, francophone, histoire, christophe girard, les enfants rouges, jean-pierre longre | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
Une histoire qui colle aux tripes (et pas au tablier de sapeur :-)) des Lyonnais !
Mais qui se souvient de la Grève des Ovalistes ? Près de 2000 femmes en grève, chassées à la fois de leur boulot et de leur logement (la "pension" au "bouillon d'ovaliste" dispensée par le patron-papa), leurs malles sur le trottoir, pendant deux mois à l'été 1869.
Une entrée tardive de l'Internationale socialiste dans le conflit, l'A.I.T. s'intéressant surtout aux adhésions potentielles... Pour finir le recrutement sauvage de paysannes italiennes misérables que les patrons font venir à Lyon et installent en "jaunes" à la place des grévistes.
Un retour au boulot sans gain financier, mais peut-être la cheville rouge plantée au giron ? Qui sait ?
Qui se souvient de Philomène Rozan dont même l'identité n'est pas avérée ?
Que demandaient-elles ? Un prix de journée égal à celui des hommes...
"La grève des ovalistes de Lyon mérite d'être célèbre. Deux
mille femmes en grève durant un mois de l'été 1869, voilà déjà,
en ces temps où la grève demeure un acte viril de producteurs à
part entière, une manière d'événement. Qu'elles demandent en
outre leur adhésion collective à l'Association Internationale des
Travailleurs – elles, si étrangères à l'association formelle –
surprend plus encore et intrigue.(...)
Et il n'y aura pas d'héroïnes, dans cette histoire, écrasées toutes
uniformément par ces grands hommes qui les prennent en main.
C'est ce voile jeté sur elles, sur les multiples réalités de leur vie,
qui a suscité notre désir d'en soulever un coin."
Préface de Michelle Perrot au livre de Claire Auzias et Annik Houel "La Grève des Ovalistes"
http://www.static.lyon.fr/vdl/contenu/arrondissements/9ardt/actualites/2010/Journee_Femmes_2010.pdf - brochure écrite et distribuée le 8 mars 2010 dans le 9e arrondissement : "Tous égaux, les filles aussi".
Écrit par : Marie-Hélène Vernay | 19/12/2013
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