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24/10/2022

Anecdotes et souvenirs littéraires

Nouvelles, chroniques, autobiographie, récit, francophone, Roger Grenier, Jean-Marie Laclavetine, Gallimard, Jean-Pierre LongreRoger Grenier, Les deux rives, préface de Jean-Marie Laclavetine, Gallimard, 2022

Roger Grenier (1919-2017), écrivain, journaliste, éditeur, lecteur chez Gallimard, a bien connu le monde littéraire. Dans cet ouvrage posthume, sous la forme d’anecdotes souvent souriantes, ironiques sans méchanceté, il rend compte à sa manière d’épisodes significatifs, parfois saugrenus, parfois émouvants, mettant en scène des personnalités connues ou méconnues.

Situés entre 1937 et 2005, maints événements confidentiels ou notoires sont tombés sous la plume alerte de l’auteur. C’est par exemple, en 1950, Marguerite Duras exclue du P. C. F. pour des raisons relevant de la morale la plus intransigeante ; la visite des fines fleurs de la Beat Generation (Jack Kerouac, Alan Ginsberg, Gregory Corso) dans les bistrots de Saint-Tropez ; les funérailles de Céline, en 1961, à l’occasion desquelles, dans son reportage pour France-Soir, Roger Grenier écrivit : « Il est toujours triste d’être obligé d’avoir honte d’un grand écrivain. » ; André Maurois faisant appel à des « nègres » ; des confidences de Serge Gainsbourg ; l’évocation de la mort, à Venise, de Wagner « se faisant faire une gâterie, comme on dit, par la femme de chambre »… On croise de grandes figures, amis ou connaissances de l’auteur, Camus bien sûr, Raymond Queneau, Jules Roy, Pierre Lazareff, Daniel Boulanger, et bien d’autres membres de la République des Lettres.

Ces échos des « deux rives » sont précédés de trois nouvelles, dans lesquelles Roger Grenier évoque aussi – souvenirs mêlés de fiction – des figures attachantes, discrètes voire secrètes, avec un art consommé du récit bref et du suspense narratif. Et ils sont suivis d’un texte s’attardant sur ce qui fut pour le petit Roger « un inépuisable livre d’images », deux volumes du magazine L’Illustration, aux photos « prodigieuses », atteignant « les sommets du chauvinisme ».

Comme l’écrit Jean-Marie Laclavetine dans sa préface, Roger Grenier fut « un esprit discrètement libertaire et d’un antimilitarisme foncier » (ce qui ne l’empêcha pas, entre autres engagements, de participer à la libération de Paris). Et dans cet ultime ouvrage, il use « toujours du ton d’ironie modeste et du sourire en coin de ceux qui ont perdu toute illusion quant aux capacités d’amélioration de l’espèce. » Un exemple pour finir ? En 1968 : « Mes fils, Frédéric et Nicolas, ont 15 et 13 ans. Comme je leur dis : « Il faudrait quand même que vous lisiez La Condition humaine ou Les Conquérants », l’un d’eux réplique : « Tu ne te figures pas que je vais lire les livres d’un ministre ! » Je me dis alors que Malraux vient de trouver sa punition. »

Jean-Pierre Longre

 

www.gallimard.fr

06/08/2016

Prémonitions

Nouvelles, anglophone, Rhoda Broughton, Patrick Reumaux, Frédéric Bézian, Henri Beugras, L’arbre vengeur, Jean-Pierre LongreRhoda Broughton, Rêves cruels, traduit de l’anglais par Patrick Reumaux, illustrations de Frédéric Bézian, L’arbre vengeur, 2014  

Les rêves peuvent-ils être prémonitoires ? Les trois nouvelles tragiques qui composent ce livre tendent à nous en persuader. En tout cas si nous les considérons comme des relations fidèles de la réalité – ce que les descriptions, les portraits, la couleur locale, l’atmosphère, les péripéties, l’écriture contribuent à nous laisser croire.

Trois nouvelles, donc, qui mettent en scène (expression particulièrement appropriée à la première) des personnages de la société anglaise aisée (affichant avec naturel leur savoir-vivre et leur mépris pour les petites gens) au tournant des XIXe et XXe siècles. C’est le premier point commun. Le second – la thématique principale –, ce sont les rêves annonçant d’horribles meurtres. Une mère de famille décide, malgré les remontrances de ses filles et les rigueurs de l’hiver, de partir voir une quasi-inconnue pour l’avertir du cauchemar qu’elle a fait à son sujet. Le second rêve, celui d’une jeune femme en visite chez une amie, laisse présager un dénouement tout aussi « cruel ». Dans le troisième récit, le rêve énigmatique d’une sœur montrera qu’il n’annonçait rien de bon pour son frère adoré militaire aux Indes…

Même si l’on s’attend, au moins en substance, aux dénouements de ces nouvelles, leur construction laisse planer mystère et suspense, entretenus par un sens aigu de la narration, l’art de camper des personnages, de les faire parler, le tout accentué par les gravures inquiétantes de Frédéric Bézian. De quoi s’effrayer délicieusement.

Jean-Pierre Longre

Nouvelles, anglophone, Rhoda Broughton, Patrick Reumaux, Frédéric Bézian, Henri Beugras, L’arbre vengeur, Jean-Pierre LongreÀ lire, dans une autre veine mais toujours dans l’esprit qui guide les éditions de l’Arbre vengeur, Le brouillard de Henri Beugras (avec des illustrations d’Alfred) (2013). Une belle et terrible fable fantastique à caractère social et universel.

 

www.arbre-vengeur.fr

04/07/2012

Gueux et nomades

Nouvelles, poésie, essai, francophone, Jean Richepin, Le vampire actif, Jean-Pierre LongreJean Richepin, Truandailles, Le Vampire Actif, 2012

Jean Richepin ? C’est La Chanson des gueux qui vient à la mémoire, guère plus. Pourtant, l’œuvre de cet écrivain à la carrière atypique (ancien élève de l’École Normale Supérieure, professeur, poète, linguiste, académicien, sans compter les métiers de toutes sortes auxquels il a touché, et avec cela passionné par la langue populaire et l’argot, condamné par la censure pour certains de ses écrits…), son œuvre, donc, est abondante, truculente et variée.

Alors, quelle bonne idée d’avoir exhumé cet ensemble de récits dans lesquels les « gens du voyage », les saltimbanques, les brigands et les miséreux occupent les premières places, dans une succession de bons et mauvais coups, de malheurs, de générosités et de violences, avec leur langage direct et imagé ! « Être libre, et vivre, et créer, et sans savoir pourquoi ni comment, telle me semble devoir être la fonction du poète, et sa joie. ». Telle est la profession de foi de l’écrivain, qui la met en pratique dans ces textes où les mots, les phrases, les différents registres de langue s’épanouissent effectivement en toute liberté. Au fil de la lecture, on découvre un styliste hors pair, dont la prose s’adapte parfaitement à des situations et à des personnages aussi divers que pittoresques.

Bonne idée, aussi, d’avoir complété ce passionnant volume par un substantiel chapitre intitulé « De l’argot et des gueux… ». On y trouve des considérations circonstanciées sur « la multiplicité des formes que [l’argot] a pu prendre au cours des siècles », puis des pages illustratives de Victor Hugo (Les Misérables) et d’Eugène Sue (Les Mystères de Paris), enfin les « pièces supprimées » de La Chanson des gueux de Richepin. Un « glossaire argotique » bien utile clôt cet ensemble qui allie avec bonheur les plaisirs de la lecture et les satisfactions de la connaissance.

Jean-Pierre Longre

www.vampireactif.com