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04/08/2010

L’Eau et le Feu

Chauviré.jpgJacques Chauviré, La Terre et la Guerre, Le temps qu’il fait, 2008

 

Certains romanciers assaisonnés à la sauce médiatique actuelle devraient lire le discret docteur Jacques Chauviré (1915-2005), et particulièrement La Terre et La Guerre. Ils y verraient peut-être, s’ils en sont capables, comment un récit de fiction peut à la fois traduire et transfigurer la réalité, comment l’écriture peut investir événements et personnages, comment un vrai roman doit être une somme susceptible de planter dans l’esprit du lecteur les bouleversements du monde et des individus, et ainsi de bouleverser le lecteur lui-même.

 

La famille Calvière vit dans les Dombes, près de la Saône que l’auteur a bien connue et si bien évoquée dans d’autres livres. Du début à la fin de la guerre de 14-18, Jérôme et sa femme Lucie, leurs enfants Laurence, Jean et Amélie vont connaître et subir ce qu’ont connu et subi bien des familles françaises durant cette période : départs pour la guerre, blessures morales et physiques, deuils, changements imperceptibles ou éclatants dans la manière d’appréhender la vie. Chacun d’entre eux, chacun de ceux qui gravitent autour d’eux réagit à sa façon au désastre, et le couple Lucie – Jérôme est emblématique de ces écarts : la piété contre l’anticléricalisme, la rigidité morale contre l’humanisme, l’émotivité nerveuse contre le rationalisme… Chez d’autres, c’est la révolte (Amélie), la résignation (Laurence), la foi en l’avenir (Jean), le patriotisme exalté, la lâcheté inavouée, la ruse, l’égoïsme, la générosité, la peur, la honte, l’opportunisme, l’aveuglement, la lucidité, le repli sur soi ; et au fil des pages, nous recevons comme parties intégrantes du roman les discussions passionnées, les grands débats d’idées et les changements culturels décisifs (découverte de Freud et du rôle de l’inconscient, premiers pas de l’art moderne, progrès technologiques, popularisation du cinéma et de l’automobile…).

 

Voilà donc l’histoire de quatre années qui ont radicalement transformé la France et l’Europe, qui ont inauguré dans le sang l’ère contemporaine. Mais La Terre et le Guerre, même si l’on y suit les étapes de la grande boucherie, n’est pas un roman historique : on s’attache aux personnages et à leurs sentiments, à leurs haines, à leurs amours, on se prend à les aimer tels qu’ils sont, quels que soient leurs défauts. Cet attachement, que visiblement nous partageons avec l’auteur, est le fruit de son écriture : descriptions, dialogues, narration sont d’une précision incisive, un peu comme chez Maupassant ou Mauriac ; mais ils n’excluent ni l’ironie légère (contre les aberrations de la morale et de la société) ni le lyrisme – celui qui clame la souffrance et la mort des hommes, les éblouissements mortels de la guerre, celui qui chante la nature, la lumière humide des marais, le feu de bois dans la cheminée, la terre gorgée d’eau. Tout cela rappelle, si l’en était besoin, que Jacques Chauviré est un grand écrivain, et laisse espérer que l’on n’a pas fini de le (re)découvrir.

Jean-Pierre Longre

www.letempsquilfait.com

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