14/12/2025
Une émouvante enquête
Paul Gasnier, La collision, Gallimard, 2025
À une époque où le fait divers prend le pas, dans les informations servies par les médias, sur les autres événements, le livre de Paul Gasnier donne à réfléchir d’une manière sereine, sérieuse et touchante. Il écrit à ce propos : « Ces événements, quand on les prend un à un et qu’on les décortique, peuvent raconter leur époque et l’absurdité tragique qui pend au nez de chacun, mais leur prolifération, accompagnée à chaque fois de conclusions et de solutions clé en main, est devenue si abondante qu’elle a presque l’effet inverse, celui d’annihiler leur possible signification. […] La passion du fait divers permet à l’opinion de trouver dans l’indignation sporadique une forme de divertissement infini, et une inépuisable source d’ostentatoire vertu. »
Car la « collision » dont il est ici question est bien un « fait divers », qui toutefois touche l’auteur de si près qu’il aurait pu se réfugier dans la colère ou le désespoir. « Le 6 juin 2012, à 17h13 précisément […], Saïd, dix-huit ans, qui est alors délinquant récidiviste, remontait une rue étroite des pentes du quartier de la Croix-Rousse, en roue arrière sur une moto cross lancée à 80 km/h. Après quelques mètres, il en perdait le contrôle. La roue avant percuta en pleine tête une femme de cinquante-quatre ans, qui pédalait devant lui à vélo. Cette femme, c’était ma mère. L’hôpital Lyon Sud de Pierre-Bénite la déclara décédée une semaine plus tard. » Pierre Gasnier a alors vingt et un ans. Dix ans plus tard, il décide de faire le récit de ce drame, en se préservant des simplifications manichéennes.
Faisant alterner les faits à l’état brut (reproductions textuelles de documents, dialogues, courriers, narrations objectives d’événements), l’enquête auprès de la famille de Saïd, l’histoire de ses propres parents et les réflexions sur la confrontation des différents microcosmes qui composent et divisent notre société, l’auteur tente d’analyser les tenants et les aboutissants du drame, se demandant si et comment il aurait pu être évité. Ce faisant, il n’occulte ni l’émotion qui le ronge toujours, ni la responsabilité d’un jeune homme qui, façonné par l’argent facile de la drogue et la fréquentation d’individus peu recommandables (alors que les autres membres de sa famille sont tout à fait respectables), reproduit durablement le schéma de la délinquance, ni les méfaits d’une organisation sociale dont les « filets […] n’accrochent plus, ne rattrapent plus, et où l’obsession de soi permet tout. » Le récit de Paul Gasnier se lit à la fois comme une enquête objective et comme un témoignage émouvant, d'une grande humanité ; c’est cette complémentarité qui, outre ses qualités narratives, en fait l’un des intérêts majeurs.
Jean-Pierre Longre
19:52 Publié dans Essai, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : récit, essai, francophone paul gasnier, gallimard, jean-pierre longre |
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