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23/11/2016

« Mégalométropolis »

poésie, anglophone, David Gascoyne, Michèle Duclos, Roger Scott, black herald press David Gascoyne, Pensées nocturnes, ouvrage bilingue – bilingual book, traduit de l’anglais par Michèle Duclos. Postface / Afterword by Roger Scott, Black Herald Press, 2016

Après la parution en français de La vie de l’homme est cette viande (Man’s Life Is This Meat) de David Gascoyne (1916-2001), dont on fête cette année le centenaire de la naissance, Black Herald Press propose une édition bilingue de son poème radiophonique, Pensées nocturnes, diffusé en 1955 par le Third Programme de la BBC. Au sommaire : le poème en trois volets (« Les Veilleurs de Nuit », « Carnaval Mégalométropolitain », « Rencontre avec le Silence »), « Le Poète et la Ville » (1981), essai de Gascoyne inédit en français, et une postface de Roger Scott – ami, archiviste, éditeur du poète et spécialiste de son œuvre ; le tout dans une traduction de Michèle Duclos.

After the publication of a bilingual edition of Man’s Life Is This Meat (La vie de l’homme est cette viande) by David Gascoyne (1916-2001), the centenary of whose birth is celebrated this year, Black Herald Press releases a bilingual edition of his radiophonic poem Night Thoughts, broadcast in 1955 by the Third Programme (BBC). This book includes the three-part poem (‘The Nightwatchers’, ‘Megalometropolitan Carnival’, ‘Encounter with Silence’), an essay by Gascoyne ‘The Poet and the City’ (1981), and an afterword by Roger Scott—a friend, archivist, and editor of the poet, and a specialist of his work; French translation by Michèle Duclos.

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Diffusé en 1955 par le Third Programme de la BBC et publié en 1956 en Grande-Bretagne, Pensées nocturnes, poème radiophonique pour plusieurs voix de David Gascoyne (1916-2001), se présente comme une déambulation en trois volets dans une ville nocturne – en l’occurrence, Londres – qui revêt des formes multiples : cité réelle, rêvée et assoupie, puis fantasmagorique et hallucinatoire, enfer souterrain et ultra-mécanisé, enfin silencieuse et apaisée, rendue à la Nature, à l’espoir et à la renaissance. Partant du thème de la Cité primitive et mythique devenue « Mégalométropolis », le poète dépeint tant « le vide éthique qui est au cœur de notre monde » que la figure du Solitaire perdu dans la multitude, tantôt « privé d’âme et d’individualité », tantôt luttant pour préserver son humanité. À travers cette exploration tour à tour tragique, satirique et existentielle de la Ville, le poète entend aborder « la nuit spirituelle » inextricablement liée à la civilisation moderne et souligner sa quête incessante de lumière, seule capable « d’écarter l’obscurité du Vide », pour citer Roger Scott, et de nous permettre d’accéder à une « solitude partagée ». En complément, deux textes, l’un de David Gascoyne, « Le Poète et la Ville », l’autre de Roger Scott, en postface, retracent la genèse de ce triptyque poétique et ses influences, parmi lesquelles les « Villes » de Rimbaud, le Paradis perdu de Milton, l’Enfer de Dante, ou encore La Terre vaine de T. S. Eliot.

David Gascoyne, l’un des grands poètes britanniques du xxe siècle, est l’auteur de plusieurs recueils – dont Roman Balcony, paru alors qu’il n’a que 16 ans, La vie de l’homme est cette viande, La Folie de Hölderlin et Poems, 1937-42. Dès 1933, lors de ses séjours en France, il fréquente de nombreux artistes et écrivains (Breton, Dalí, Ernst, Éluard…) avant de lier amitié avec Benjamin Fondane et Pierre Jean Jouve. D’abord influencé par le surréalisme (on lui doit le premier ouvrage en anglais consacré à ce mouvement et la traduction des Champs magnétiques de Breton et Soupault), Gascoyne s’en détachera pour se consacrer à une poésie humaniste et spirituelle. Son œuvre, d’une originalité saisissante et visionnaire, est marquée par une profonde angoisse existentielle, empreinte d’un mysticisme prophétique et tourmenté.

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Broadcast in 1955 by the Third Programme (BBC) and published in Great-Britain in 1956, Night Thoughts, a radiophonic poem by David Gascoyne, is a three-part quest in a nocturnal city—in this case, London—which dons various forms: a real, dreamed, and sleeping city, then a phantasmagorical and hallucinatory one, like an underground and mechanized inferno, and lastly silent and appeased, restored to Nature, hope and rebirth. Taking as a starting point the theme of the primaeval and mythic City turned into a “Megalometropolis”, the poet depicts “the ethical emptiness at the core of our…world” as well as the figure of the Solitary, either “soulless” and “devoid of all individuality”, or struggling to preserve his humanity. Through this alternately tragic, satirical, and existential exploration, the poet intends to confront the “spiritual night” inextricably associated with modern civilisation and insists on “his constant search for the light to displace the darkness of the Void” (as Roger Scott writes in his afterword), a search that may allow us to reach “a shared solitude”. This book comprises two additional texts, “The Poet and the City” by David Gascoyne and an afterword by Roger Scott: they unveil the genesis of this poetical triptych and its influences—among them the “Villes” texts by Rimbaud, Milton’s Paradise Lost, Dante’s Inferno, and T. S. Eliot’s The Waste Land.

David Gascoyne (1916-2001), one of the great British poets of the 20th century, is the author of several collections—Roman Balcony, published when he was only 16 years old, Man’s Life Is This Meat, Hölderlin’s Madness and Poems, 1937-42, while his New Collected Poems, edited and introduced by Roger Scott, was released in 2014 (Enitharmon Press). From 1933 onwards, while staying in France, he met many artists and writers (Breton, Dali, Ernst, Éluard...) before befriending the Romanian-French poet and philosopher Benjamin Fondane and the French poet Pierre Jean Jouve. At first influenced by Surrealism (he wrote the first book in English dedicated to this movement and translated into English The Magnetic Fields by Breton and Soupault), by the late 1930s Gascoyne distanced himself from it and began to write a more humanistic and spiritual poetry. Imbued with a startling and visionary originality, his work is marked by a deep existential angst while being fraught with a prophetic, tormented mysticism.

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Black Herald Press
https://blackheraldpress.wordpress.com/books/pensees-noct...  

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http://blackheraldpress.wordpress.com/buy-our-titles

17/11/2016

« Géographie sonore »

Essai, francophone, Gaëlle Josse, Le temps qu’il fait, Jean-Pierre LongreGaëlle Josse, De vives voix, Le temps qu’il fait, 2016  

La voix est « ce qui précède le verbe, la parole, le discours », écrit l’auteure dans son « Avant-dire ». Et puis le verbe est nécessaire pour en parler. Même chose avec la musique, que Gaëlle Josse évoque avec ferveur, ici et dans d’autres livres (par exemple Les heures silencieuses ou Nos vies désaccordées). Autre point commun : le silence. C’est sur les plages de silence que les sons prennent leur relief ; toute parole, toute musique se construit sur le silence. C’est ainsi que les textes de Gaëlle Josse sur la voix ont pris la forme de la brièveté, interrompus et reliés par des espaces vides comparables à ceux qui ponctuent la parole, le chant, le cri – reprises de souffle, pauses qui permettent à la voix d’être « signe de présence au monde, signe d’un possible vers autrui. », et au lecteur de méditer un instant sur ce qu’il vient de lire.

La voix, donc, thème central, est l’objet de variations multiples permettant à l’auteure d’aborder toutes sortes de sujets dont le caractère personnel s’élargit à des considérations d’ordre général. Souvenirs d’enfance, instantanés de la vie quotidienne (le métro, la rue, une réunion familiale ou amicale, la radio et la télé…), agacement et colère contre les voix qui veulent se donner de l’importance, mise en avant d’expressions sur lesquelles il est bon de s’attarder (« Parler à la cantonade », « Une voix tranchante, une voix coupante, une voix caressante », et, avant tout, le titre, auquel le pluriel donne une particulière résonance), aussi et encore la musique, avec notamment une belle description de voix chantant Schubert : « Voix de baryton pour le narrateur, voix de ténor pour l’enfant et le Roi des Aulnes, voix de basse pour le père. Le piano fait entendre les rafales de vent à la main gauche, et le galop du cheval par des triolets d’accords à la main droite. La nature tourmentée, le déchaînement des instincts, l’aveuglement puis l’angoisse paternelle, l’issue tragique. Les forces obscures contre la seule raison. ».

« Ni essai, ni récit, ni roman, ni autobiographie », précise la quatrième de couverture. D’accord. Mais si l’on peut en effet exclure le roman, De vives voix est peuplé de réflexions (essai), d’histoires (récit), de mémoire personnelle (autobiographie). Il y a donc de tout cela, à quoi il faut ajouter la poésie. Ces brefs agencements de mots tiennent souvent du poème en prose, à la fois par leur condensation et les perspectives qu’ils ouvrent. Leurs échos ont des chances de résonner bien au-delà de leurs significations premières.

Jean-Pierre Longre

www.letempsquilfait.com

http://gaellejosse.kazeo.com

08/11/2016

La route, les mots

Roman, francophone, Lionel-Édouard Martin, Les éditions du Sonneur, Jean-Pierre LongreLionel-Édouard Martin, Icare au labyrinthe, Les éditions du Sonneur, 2016  

« Tu prends la route, là, n’importe laquelle, tu débouches sur des mots. Tu peux bien sûr baliser ton itinéraire, savoir où tu vas. Mais tu peux aussi te laisser guider par le hasard, te fier à la rencontre. L’amour, les blagues, l’art : joindre, poser l’insolite, tracer du neuf dans le vieux, créer de nouveaux sens. ». Nous sommes là au cœur du livre, au centre d’un itinéraire qui, entre Le Puy et Paris, se trace dans le sillage d’un drôle de couple : lui, poète vieillissant, revenu de beaucoup de choses mais pas de l’art et de l’écriture ; elle, jeune fille de vingt ans à la langue bien pendue et au verbe déluré, Zazie du XXIème siècle issue de l'immatérialité des réseaux sociaux.

Chaque chapitre nous mène sur des territoires qui, apparemment, n’ont rien de romanesque en soi (Le Puy, Vichy, Montmorillon, Tours), avec des incursions dans le passé récent du côté de Paris et Saint-Ouen (où, finalement, tout se rejoindra et tout se dénouera). Rien de romanesque, mais Lionel-Édouard Martin (Liolio pour les intimes, au moins pour la petite Palombine) a l’art, avec une verve non vergogneuse, de faire roman des plus petits événements, des moindres situations : un repas de restaurant provincial, le cours d’une rivière, un bon crû de derrière les fagots, un souvenir d’enfance, un paysage paisiblement rural, le vide d’une ruelle… Et, périodiquement, un morceau de bravoure, une page d’épopée ou de lyrisme grandiose : l’éclatement d’un orage (« la bruyante déferlante, les fracas d’orange et de zébrures, le jour éphémère, convulsif, le battement spasmodique du noir et du safran, la cravache des bourrasques, la pluie en vrac, diluvienne, sur le monde. ») ; ou encore l’apparition de deux volets d’un triptyque de Mantegna (« un raccourci de l’angoisse déboulant sur le triomphe ») où s’est glissé un lapin, « Le lapin », roux comme le Christ dont pour le narrateur il est le symbole (tiens, l’ami versaillais amateur de littérature se nomme Portechrist – tout un programme, et pourquoi pas un fil (d’Ariane) conducteur).

Icare sortira-t-il de son dédale de routes secondaires ? Se brûlera-t-il les ailes au feu des illusions ? Se fera-t-il dévorer par un Minotaure d’aujourd’hui ? Palombine, sa virtuelle compagne de voyage, le rappelle à la réalité avec sa verdeur naturelle. Le dernier morceau de bravoure est la description savoureusement satirique d’une petite foule de parasites snobinards feignant de s’intéresser à l’art, à la musique, à la poésie, et devant qui le narrateur s’aventure à lire sa poésie, avec un succès qu’on laissera au lecteur le soin d’interpréter – de même qu’il interprétera aussi lui-même le tout dernier épisode d’un roman plein de saveurs et de réminiscences (en témoigne la liste des écrivains et artistes déroulée en annexe), d’un roman plein de tendresse et de passion, d’humour et de fureur, et dans lequel, surtout, les mots règnent en maîtres.

Jean-Pierre Longre

www.editionsdusonneur.com

https://lionel-edouard-martin.net

02/11/2016

« D’ombre et de fantaisie »

Roman, francophone, Suisse, Jacques-Pierre Amée, Infolio, Jean-Pierre LongreJacques-Pierre Amée, Comme homme, Infolio, 2016  

Jacques-Pierre Amée est un artiste. Son site Internet le prouve, qui donne à voir ses « Lipographies », inspirées par le « Nuage ôté » (le « Blur » du lac d’Yverdon que les riverains ont décidé de supprimer après l’exposition de 2002) et par les « Palafittes », ces constructions sur pilotis dans lesquelles vivaient jadis des pêcheurs. Jacques-Pierre Amée est un artiste. Son dernier roman le prouve, qui donne à lire de brefs tableaux colorés ou sombres, qui comme un peintre hollandais s’attache aux petits détails dont l’addition suggère une vision d’ensemble tantôt floue tantôt évidente, en jeux d’ombres et de lumières, et qui laisse entendre qu’une pièce de théâtre intitulée Comme homme se prépare, où les chansons, la danse, les numéros de clown seront de la partie.

Comme homme, pièce en préparation donc, est d’abord un roman racontant en un va-et-vient de séquences diverses l’histoire de Zo et Zach, qui se retrouvent chaque fin de semaine dans le chalet (ou cabane) de celui-ci, situé sur la pente d’une montagne, vraisemblablement en Suisse. Dans leurs esprits et leurs discussions, il y a le passé : Jeff, mort maintenant, qui a laissé son chalet à Zach ; Haïti, où Zo vivait lorsqu’elle était enfant et où elle a perdu sa main droite, Haïti où est morte la petite Fanette, peu après le grand tremblement de terre. Et il y a le présent : l’amour mutuel de deux êtres à la fois ancrés dans la pérennité et implantés dans la modernité; Noémie qui, ailleurs, au bord du Saint-Laurent, monte sa « pièce d’ombre et de poésie »… Bref. On ne va pas résumer ce qui est suggéré par bribes poétiques, sonores, entrecoupées de digressions ouvertes sur des horizons inattendus, éparpillés.

Ce roman, tout compte fait, est une sorte de long poème en sept chants dont l’unité est assurée par des éléments de la nature : plumes, racines, fruits, feuilles, fleurs, lune, cendres, pierre, sable… Un long poème ponctué par des chansons (Zach en a composé d’innombrables) ou des expressions aux harmoniques pleines d’écho (du genre « Poisson d’audace », « Les voix des titans déchirent l’univers », « Ensemble, joyeux et ivres, au-delà du vrai et du faux »). Un long poème dans lequel, comme il se doit, le langage est primordial, avec des jeux verbaux dont s’amuse Zach, évoquant par exemple pour Zo les Langues O (« Langues Zo ») où il a failli s’inscrire et qui sont maintenant situées dans une « ZAC »… Un long poème dans le « désordre soigneux » duquel ce qui passe par les mots est, au-delà de l’ombre et de la fantaisie et par-dessus tout, l’universelle chaleur humaine.

Jean-Pierre Longre

www.infolio.ch  

www.comme-homme.com